Akbou, l’escalade

Algérie : la situation s’aggrave

Akbou, l’escalade

Le Matin, 20 juin 2001

Rien n’allait plus hier soir à Akbou d’où les habitants lançaient des appels de détresse.
On dénombre déjà cinq morts par balle.
Cinq morts et plus de 120 blessés ont été enregistrés tard dans la soirée de lundi à Akbou où les affrontements se poursuivent encore. Les CNS ont encore tiré à balles réelles sur des manifestants venus les bombarder de pierres ! Ce fut le cas lundi dernier vers 17 h dans le quartier sud de la ville d’Akbou. Une colonne de véhicules transportant les CNS venus renforcer la brigade de gendarmerie prise à partie la veille par les jeunes émeutiers a tiré sur la foule à balles réelles après avoir usé et abusé de bombes lacrymogènes lancées sur la foule et à l’intérieur des habitations. Les jeunes ont répliqué par une pluie de pierres.
C’est à hauteur de l’hôtel Le Palace sur la RN26 que les CNS ont sorti leurs armes et tiré droit dans la foule. Les premières victimes ont été acheminées vers l’hôpital central vers 17 h 15. Le personnel hospitalier est mobilisé dans sa totalité. Deux jeunes sont transportés sans connaissance, les médecins constatent immédiatement leur décès.
Il s’agit de Arezoug Slimane (28 ans) et de Nekali Abderahmane (27 ans). De source hospitalière, ces deux hommes sont morts par balle. Les blessés affluent par dizaines vers les urgences.
Des cas de traumatisme graves sont recencés et admis en chirurgie. Il s’agit de blessés par balle et par arme blanche. Sur les 82 personnes blessées, 13 sont gardées à l’hôpital dans un état de gravité allant du traumatisme simple au coma avancé. C’est notamment le cas du jeune joueur de football Sidhoum Hakim atteint d’une balle au poumon et celui d’un gendarme blessé par des pierres.

Les CNS squattent l’hôpital
Vers 17 h 45, deux camions des CNS défoncent le portail de l’hôpital pour y faire admettre un des leurs blessés par une balle maladroitement tirée par un des ses collègues, semble-t-il.
Ils ont interdit durant près de deux heures l’accès aux blessés civils et à leur famille usant pour ce faire de jets de bombes lacrymogènes à l’intérieur de l’hôpital.
« Ils ont pénétré dans le bloc opératoire et menacé les médecins, proférant des insultes et des grossiéretés pour faire passer le CNS blessé en priorité.
Ce dernier atteint par balle dans le cou a décédé quelque temps après son arrivée », témoigne un médecin présent sur les lieux.
Appel au don de sang
Face à cette situation, les élus locaux et les responsables des comités de suivi ont fait appel à la solidarité, au don de sang et de médicaments. Une longue chaîne humaine s’est formée à l’entrée de l’ancien hôpital en grand besoin de produits d’urgence. Pour rappel, les affrontements entre les jeunes révoltés et les CNS ont repris le samedi 16 juin dans l’après-midi pour se poursuivre tard dans la nuit de lundi à mardi.
Le bureau de l’ONM, ceux de l’UGTA et de l’UNPA ainsi qu’un local de Sonelgaz ont été démolis et incendiés ; le tribunal et l’ancienne bâtisse de la gendarmerie ont été réduits en ruine.
Hier, vers 1 h du matin, un convoi de CNS s’est adonné au saccage et au pillage des boutiques voisines de l’hôpital emportant aliments, fruits et légumes.
Ne pouvant plus supporter les insultes et les grossiéretés proférées par les CNS et les gendarmes, les habitants de la cité des 504 Logements mitoyenne à la brigade de la gendarmerie ont quitté leur habitation pour se réfugier chez leurs proches.
Dans la matinée de mardi, les CNS ont occupé les locaux des services hydrauliques face à l’hôpital central.

« Evitons les pièges du pouvoir »
Sur appel des comités de suivi, la population s’est rassemblée vers 11 h sur la place centrale du village face à l’APC. Les parents des deux victimes Arzoug Slimane et Nekali Abderrahmane ont demandé aux manifestants d’observer un répit de deux jours afin de permettre l’enterrement des deux jeunes assassinés dans le cimetière des martyrs.
Les organisateurs de ce rassemblement ont terminé leur intervention par le rappel de la promesse du commissaire de « faire partir les CNS le plus tôt possible », appelant les jeunes à la vigilance. « Evitons les pièges que nous tend le pouvoir qui veut nous pousser à l’irréparable pour justifier son recours à l’utilisation des armes », conclut l’un des organisateurs.

Décès d’un troisième manifestant
Les affrontements qui ont repris vers 13 h à proximité de l’hôpital entre les jeunes révoltés et les éléments de la CNS se sont soldés par la mort du jeune Mesbah, originaire d’Ighil Ali. Les CNS stationnés dans la cour du bâtiment des services hydrauliques, face à l’hôpital, ont ameuté tous les habitants d’Akbou et des environs qui ont exigé leur départ. Le jeune Mesbah, troisième victime en moins de 24 h, est mort par balle. Le nombre de blessés qui avait atteint 82 hier matin augmentait d’heure en heure après la reprise des affrontements pour dépasser la centaine. Le vieil hôpital a rouvert pour prendre en charge les blessés par balle et autres projectiles.
Il est à signaler que des affrontements se sont produits entre les membres du comité de suivi et les députés de la région. Ces derniers ont promis de tout faire pour éviter de nouvelles victimes. Le répit promis par les jeunes, hier matin lors du rassemblement de 11 h, n’a pas été respecté parce que le départ des CNS ne se précise pas. Il devient même difficile de récupérer les dépouilles des victimes dans ce climat d’affrontements. En début de soirée un quatrième manifestant est décédé après été touché lui aussi par une balle.
Rachid Oulebsir

 

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