« Plaintes contre des députés »
ENTRETIEN AVEC Me BELLOULA (AVOCAT DE L’ANP)
Plaintes contre des députés
Entretien réalisé par Abder Bettache, Le Soir d’Algérie, 31 janvier 2002
Tayeb Belloula est l’avocat chargé par le ministère de la Défense du dépôt de plainte contre les journalistes pour diffamation. Dans cet entretien exclusif, cet ex-rédacteur en chef du journal Le Peuple et ex-bâtonnier, commente et explique sa démarche et celle de la partie plaignante.
Le Soir d’Algérie : vous avez déposé une plainte contre des journalistes au nom du ministère de la Défense. Vous ne pensez pas qu’il s’agit là d’une atteinte à la liberté d’expression ?
Tayeb Belloula : Les journalistes ne sont pas les seuls à être poursuivis en justice par le ministère de la Défense nationale. Il y a eu également dépôt de plainte contre des parlementaires et contre un ex-haut fonctionnaire de l’Etat. Pour les députés, le parquet général a saisi le président de l’Assemblée nationale pour prendre les mesures appropriées afin de permettre à la justice de faire son travail, conformément à la loi.
L.S. : L’interpellation du président de l’APN vise-t- elle à lever l’immunité parlementaire ?
T.B. : Absolument ! Vous savez que le député dispose d’une immunité qui le protège des poursuites judiciaires. C’est pour cela que le parquet général a saisi les responsables de l’APN pour donner suite à cette demande.
L.S. : Peut-on connaître les noms des députés poursuivis en justice par le MDN ?
T.B. : Je ne peux pas citer de noms tant que la demande formulée par le parquet général auprès de l’APN n’a pas encore abouti. Mais je peux tout de même vous citer le cas du député Ahmed Djeddaï, que la presse avait déjà évoqué. Cependant, je tiens à faire la précision suivante : contrairement à ce que dit maître Khaled Bourayou, le fait de saisir le parquet général en portant plainte contre des journalistes est une procédure régulière. Le vrai débat est celui du respect des droits des mis en cause pendant toute la procédure.
L.S. : En portant plainte contre des journalistes qui font un travail dinformation, vous ne pensez pas qu’il sagit là, purement et simplement, d’une atteinte à la liberté d’expression ?
T.B. : Les journalistes ne sont pas à l’abri dune comparution devant la justice lorsquils diffament des gens ou des institutions. Ils ne dis-posent pas d’immunité. Et puisque vous parlez de liberté d’expression, cette dernière ne signifie pas dénigrement. Le journaliste doit faire preuve de professionnalisme en présentant les preuves de ce qu’il avance. S’il fait dans la diffamation, là il s’expose à des poursuites judiciaires, comme tout citoyen. La procédure en vertu de laquelle le journaliste est déféré devant une juridiction existe dans tous les pays démocratiques. En France, des responsables d’Etat et des journalistes sont poursuivis en justice.
L.S. : Dans notre pays, pensez-vous que le journaliste peut ester une institution comme le MDN ?
T. B. : Pourquoi pas ? Il y a eu des cas où des citoyens ont porté plainte contre le ministère de la Justice. Tout dépend de la nature de l’affaire.
L.S. : Cette action menée contre la presse est-elle confortée par le nouveau code pénal ?
T.B. : Non. C’est une procédure qui existait avant la promulgation du nouveau code pénal. La procédure n’a rien à voir avec la réforme de la justice. La défense de la démocratie et la liberté d’expression sont étroitement liées à une application juste des lois de la République. Le journaliste ou le citoyen reconnu coupable de diffamation sans présenter les preuves de ce qu’il avance doit être puni conformément à la loi. Maintenant, si la situation se présente autrement, la relaxe doit être prononcée.
L.S : On dit que le ministère de la Défense a arrêté toute une liste de journalistes qu’il compte ester …
T.B. : A ma connaissance, il n’y a que trois journalistes qui sont poursuivis en justice par le ministère de la Défense : le caricaturiste Dilem du journal Liberté (trois plaintes), la journaliste Salima Tlemçani d’ El Watan (une plainte) et le journaliste SAS du quotidien Le Matin (3 plaintes).
L.S. : En votre qualité d’homme de droit et ex-bâtonnier, n’est-il pas gênant pour vous de porter plainte contre des journalistes au nom du ministère de la Défense ?
T.B. : Au nom de la liberté de la presse, le journaliste n’a pas le droit de toucher aux personnes et aux institutions de la République. Me concernant, je tiens à dire que j’ai toujours défendu la liberté de la presse, de surcroît la liberté d’expression. J’ai défendu des journalistes dans des procès de diffamation, et moi-même j’étais journaliste. J’étais le premier rédacteur en chef du journal Le Peuple de 1962 à 1964. J’ai créé également le journal de l’immigration algérienne en Europe El Djazaïri . Et comme vous le dites, j’étais bâtonnier durant deux mandats. La défense de la liberté de la presse, nous l’assumons tous mais dans un cadre professionnel, loin des injures et de la diffamation.
L.S. : D’un autre côté, cette action en justice enclenchée par l’institution militaire n’est-elle pas annonciatrice d’un acharnement contre la presse ?
T. B. : Absolument pas. La presse doit faire dans le professionnalisme et l’investigation. Il faut rendre compte de tout ce qui se passe dans notre société, en toute objectivité et en présentant les preuves. Je dirais plutôt que le journaliste qui fait dans la diffamation doit être dénoncé.
L.S. : Etes-vous convaincu par la mission pour laquelle vous avez été saisi ?
T. B. : En ma qualité d’avocat, j’ai toujours pris la défense de la presse et je continuerai à le faire. Je ne suis pas contre la presse, mais je suis plutôt contre ceux qui s’écartent du droit d’informer pour s’adonner à la diffamation.
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Sagit-il de Belaïd Abdesslam ?
Dans lentretien quil nous a accordé, M e Tayeb Belloula a indiqué que le ministère de la Défense nationale a déposé également plainte contre des parlementaires et un ex-haut fonctionnaire de lEtat. Si, pour les premiers, il ne cite que le député du FFS Ahmed Djeddaï, il a évité de révéler lidentité du haut fonctionnaire. Sagit-il de lex-chef du gouvernement Belaïd Abdesslam ? Tout porte à le croire, puisque cette personnalité politique, dans un entretien accordé à lhebdomadaire El Khaber El Ousboui, a tiré à boulets rouges sur le conseiller du président de la République, le général major Mohamed Touati. Belaïd Abdesslam avait tenu des propos critiques envers le haut responsable de lANP, laccusant davoir traîné larmée dans un terrain qui nest pas le sien. Lex-chef du gouvernement avait déclaré que le général Mohamed Touati est à lorigine de la situation que traverse linstitution militaire. Mieux, il dira que la chute de son gouvernement a été décidée par la hiérarchie militaire sur proposition du général major Mohamed Touati. Concernant le député du FFS Ahmed Djeddaï, ce dernière a tenu des propos critiques envers linstitution militaire. Sa dernière sortie médiatique remonte au forum d El Youm. Le ministère de la Défense national a jugé les propos du premier secrétaire national du FFS de diffamatoires.
A. B.