Radioscopie de la gouvernance algérienne, d’Ahmed Benbitour

Radioscopie de la gouvernance algérienne, d’Ahmed Benbitour

Gouverner autrement…

par Lamine Bey Chikhi, Le Jeune Indépendant, 19 novembre 2006

Dans l’ouvrage qu’il consacre à la gouvernance algérienne, Ahmed Benbitour retrace les principales étapes de son action à la tête de divers départements ministériels (Trésor, Energie, Finances…) et du gouvernement. Le livre s’articule autour de chapitres traitant de questions économiques (plongée dans la trésorerie algérienne, introduction dans le «puits» à devises, le temps du rééchelonnement de la dette) et politiques (l’expérience jugée éprouvante de chef du gouvernement, les élections, la démocratie, les perspectives), après une évocation de l’enfance de l’auteur et de ce que furent les premiers pas sur le chemin de l’exécutif.

Le regard que pose l’ancien chef de gouvernement sur la gouvernance algérienne est enrichissant parce qu’il est crédible et il est crédible parce qu’il repose sur l’analyse rigoureuse d’une pratique et d’une gestion politiques et économiques dans le cadre desquelles l’auteur a joué un rôle significatif.

Le livre apporte un éclairage extrêmement instructif sur des processus techniques relatifs à des dossiers qui ont été, pour notre pays, historiquement, économiquement et financièrement déterminants ; parmi ces dossiers, celui du rééchelonnement de la dette extérieure, en 1994-1995, reste une référence de premier plan ; il n’est jamais superfétatoire d’insister sur le fait que la mise en œuvre de l’opération a non seulement sorti l’Algérie de l’étranglement financier dans lequel elle se trouvait alors, mais elle lui a également permis d’entrevoir avec plus d’assurance et de visibilité les programmes de relance économique qui allaient être aussitôt engagés.

L’ex-ministre des Finances explique les tenants et aboutissants des négociations technico-politiques qui ont précédé et accompagné cette phase primordiale de la restructuration de la dette algérienne avec les Clubs de Paris et de Londres, et dont il convient de rappeler qu’elle était venue conforter puissamment la stratégie engagée en 1990-1991 par le gouvernement Hamrouche via les opérations de refinancement avec l’Italie et de reprofilage piloté par le Crédit Lyonnais.

Des propositions constructives La distance critique prise par ses soins par rapport à son action dans les gouvernements dont il a fait partie permet à Ahmed Benbitour, dans son effort d’explication et de persuasion, de séparer le bon grain de l’ivraie et de mettre en exergue un certain nombre de décantations, notamment entre ce qu’il espérait pouvoir apporter pour améliorer la gouvernance et qu’il a tenté avec une réelle conviction de réaliser là où il pouvait, d’une part, et, d’autre part, ce que les réalités du terrain (contraintes, dysfonctionnements, interférences, incohérences, incompatibilités d’humeur, opacité…) imposées soit par les hommes soit par les événements, ou par la conjonction des deux, finissaient par dicter.

On comprend ainsi un peu mieux le lien de causalité qui a pu exister entre les discordances de vision nées de ces réalités et les divergences soulevées en rapport avec bien des propositions (constructives) formulées à l’époque par M. Benbitour, en particulier en matière de réforme bancaire, de rénovation du secteur public, de gestion des collectivités locales, mais refusées par les décideurs.

Parmi les propositions de l’ancien grand argentier du pays, celle portant restructuration de chacune des cinq banques publiques autour de quatre filiales (une banque commerciale assainie, une société de gestion d’actifs non performants et de réhabilitation, une société financière de gestion des participations, une société de leasing) était pourtant intéressante à plus d’un titre ; on peut regretter qu’elle n’ait pas été retenue alors qu’elle était moderne, réaliste, prospective et ouvrait de formidables possibilités d’évolution à l’international.

Radioscopie de la gouvernance algérienne est naturellement aussi une réflexion politique sur les rapports de force liés au pouvoir, au fonctionnement du pouvoir et sur les influences, pas toujours positives, que les superstructures politiques peuvent avoir sur les aspects techniques de la gestion globale de l’Etat.

C’est, semble-t-il, dans une large mesure, en raison de cet impact, de ces connexités et des pesanteurs institutionnelles que d’autres propositions de Benbitour, de type politique cette fois, n’ont pas suscité l’attention qu’elles méritaient ; ce fut le cas pour le pacte national politique et social pour le progrès et la prospérité élaboré et transmis par ses soins en août 1995 au chef de l’Etat de l’époque.

La difficile transformation du système Les niveaux de perception des questions politiques et économiques et, par suite, les synergies qui peuvent s’en dégager au plan dialectique sont tributaires des modes de gouvernance. C’est ce qui ressort des enseignements que tire l’ancien chef de gouvernement de son expérience multivariée au service de l’Etat, et dont il décortique les soubassements et les retombées par une analyse argumentée qui renvoit systématiquement, directement ou indirectement, à la gouvernance.

«Si, écrit-il, j’insiste sur la qualité de la gouvernance et sur le niveau de qualification des gouvernants, c’est que la mission est fort complexe ; il faut trouver le savoir-faire pour dépasser la contradiction entre la consolidation nécessaire des valeurs démocratiques, d’un côté, et, de l’autre, la persistance du désintérêt pour la chose publique dans un environnement encore marqué par la culture clientéliste».

La gouvernance apparaît ainsi, à juste raison au demeurant, comme la condition préalable à la résolution des nombreuses questions encore en suspens et qui appellent des réponses pertinentes d’autant qu’il s’agit de mettre en place les moyens de «transformer le système de gestion par le développement et la généralisation, à tous les niveaux de l’administration et du secteur économique, d’une méthodologie de travail et d’analyse qui donne la place qu’il faut à la science, à la planification et au sérieux dans te processus de prise de décision».

Comme on peut s’en douter, il n’est pas du tout aisé de satisfaire à cette exigence éminemment qualitative dans un contexte où les résistances au changement ne s’expriment pas seulement dans le champ social ou à la périphérie du politique.

Et, avec le recul qu’il s’impose pour un bilan qui se veut objectif et serein de tout ce qui a jalonné son action politique et économique, l’auteur reconnaît lui-même que «s’il a réussi dans l’accomplissement de ses diverses tâches, il a, par contre, échoué dans son projet de contribuer, «à partir de l’intérieur du système» par l’analyse et des propositions de stratégies à l’avènement d’un système politique digne des sacrifices de la nation algérienne et de la grandeur de la révolution d’indépendance nationale».

Mais l’action de M. Benbitour ne s’arrête pas pour autant, elle continue, comme il l’indique lui-même à «l’extérieur du système» sur un plan intellectuel, par des réflexions de fond, à notre sens toujours utiles et qui suggèrent en tout cas une démarche dont on espère qu’elle inspirera d’autres acteurs de la vie politique nationale.

L. B. C. Radioscopie de la gouvernance algérienne, d’Ahmed Benbitour. Editions EDIF 2000, novembre 2006.