Belaïd Abdesselam publie un livre sur Internet
Belaïd Abdesselam publie un livre sur Internet
Manœuvres et Intrigues au cœur de l’Etat
par K.Selim, Le Quotidien d’Oran, 18 juillet 2007
« Pour rétablir certaines vérités sur treize mois à la tête du gouvernement », par Belaïd Abdesselam. C’est le titre du livre de 322 pages mis en ligne ( http://www.belaidabdesselam.net/) par l’ancien chef du Gouvernement où il explique comment il a été désigné à cette fonction, immédiatement après l’assassinat de Mohamed Boudiaf sur la base d’un simple engagement « moral » implicite découlant des idées qu’il a exposées aux décideurs, en l’occurrence le général Khaled Nezzar. Entre juillet 1992 et Août 1993, Belaïd Abdesselam, on s’en souvient, a moins « gouverné » que résister pour rester conforme à ses idées. La plus importante à ses yeux étant de ne pas accepter d’aller au rééchelonnement. A partir de ce préalable, exprimé ouvertement, aux décideurs, il allait mener une politique économique qui a soulevé des polémiques enflammées. Les 13 mois de gouvernement de Belaïd Abdesselam ont été marqués par la polémique, le livre est, sans équivoque, marqué du sceau de la polémique. Il est largement destiné à répondre au Général Touati qui avait déclaré que le gouvernement de Belaïd Abdesselam a été démis en raison de son échec dans le domaine économique. L’ancien chef du Gouvernement se défend d’une volonté de règlement de compte mais considérant qu’il n’était lié à aucun « clan » et « groupe d’intérêts » et ne « disposant pas de relais politiques ou médiatiques » pour défendre sa politique, il recourt au « moyen direct » de la plume pour « communiquer sa vérité ».
C’est donc par Internet que Belaïd Abdesselam livre son appréciation des 13 mois de son gouvernement qu’on découvre, à la lecture, assailli de manoeuvres et d’intrigues. Immanquablement, on parlera de « règlements de comptes ». Le général Mohamed Touati, alias le « Mokh », mot que Belaïd Abdesselam utilise à plusieurs reprises avec dédain et à un degré beaucoup moindre, Réda Malek qui poserait, selon lui, à un statut « marjaiya » indu. On retrouve beaucoup de faits connus. Comme ces deux opérateurs économiques qui, grâce à leur accointance, ont raflé tout l’argent mis à disposition du secteur privé pour « l’importation de produits destinés à la revente en l’état et non pour des opérations d’investissement. Des opérateurs que le Général Touati prend sous sa protection de manière quasiment ouverte ».
UN PROPHETE DESARME
On reconnaîtra sans peine ces deux opérateurs, qui ne sont pas nommément cités. Il y a du « marxiste » chez Belaïd Abdesselam, c’est sur le terrain économique, que tout se joue. Et sa présence à la tête du gouvernement devait être aux yeux de certains et notamment du « Mokh » l’occasion de démystifier le courant nationaliste et l’amener à accepter le rééchelonnement. C’est sur terrain qu’il a « résisté ». C’est sur terrain aussi qu’il a subi les hostilités des « groupes d’intérêts ». La création du « comité ad-hoc » qui soumet l’octroi des devises aux opérateurs à l’aval du gouvernement avait suscité une furieuse campagne de presse. Le code des investissements qu’il a préparé et qui n’est pas passé ? Uniquement parce qu’il a introduit un article exigeant que l’on connaisse les origines des fonds. Une disposition qui, selon Touati, aurait vidé le texte de sa substance. On découvre aussi sous les lignes de Belaïd Abdesselam, un Général Touati « s’informant » auprès du Trésor français pour vérifier la véracité des propos du chef du Gouvernement algérien. « En vérité, mes heurts avec mes détracteurs et, en particulier, avec le Général TOUATI, traduisent, simplement, l’affrontement avec ceux qui vouent une haine sourde mais farouche à ce qu’ils appellent les errements du passé ; ceux qui considèrent que notre révolution a fait son temps et que le moment est, enfin, venu non seulement de se libérer de ses contraintes, mais aussi de prendre revanche sur elle et sur tout ce qu’elle a promu ou incarné ». Le décor est ainsi planté et le livre fourmille d’informations, souvent connues, mais qui prennent un sens politique précis avec la lecture que leur donne Belaïd Abdesselam. On notera à ce sujet que le ministre des Affaires étrangères, Réda Malek, n’a pas jugé utile, comme l’attendait Belaïd Abdesselam, de réagir à une déclaration d’Alain Juppé jugeant le « statu-quo » en Algérie intenable. Polémique, ce livre (www.belaidabdesselam.com) l’est indéniablement. Est-il utile ? Indéniablement. Il livre, aux politologues, une image assez hallucinante du fonctionnement de l’Etat sur fond d’intrigues et de manoeuvres de coulisses. Certains se délecteront des révélations, des piques assassines que rend Belaïd Abdesselam à ceux qui l’ont présenté comme un « ringard ». Mais l’intérêt du livre dépasse celui du règlement du compte. Il est un témoignage de l’intérieur sur le fonctionnement de l’Etat qui a tendance à conforter l’idée de l’existence d’un pouvoir occulte capable de bloquer un gouvernement. Abdesselam, lui-même, découvre que certains de ses propres ministres avaient un « double langage ».
20 ANS APRÈS, L’ETAT N’EST PLUS LE MÊME,
LES COLLABORATEURS NON PLUS !
«J’étais parfaitement conscient que beaucoup, parmi ceux qui, du fait des circonstances, étaient mes collaborateurs et même mes ministres, ne partageaient pas les idées que je défendais et n’adhéraient que du bout des lèvres aux objectifs et aux orientations formulés dans le programme de travail de mon Gouvernement. Au fond d’eux-mêmes, ils se consolaient à l’idée qu’ailleurs, là où se prenaient les décisions fondamentales, c’est-à-dire là où opérait le Général TOUATI, leurs objections seraient satisfaites et les intérêts auxquels ils se rattachaient sauvegardés et assurés de prévaloir sur toute disposition visant à les contrarier ». Voilà un constat qui vaut son pesant d’or même si Belaïd Abdesselam n’en mesure pas toutes les implications. Car, il découvre, comme un prophète désarmé, qu’on ne gouverne pas sans un soutien politique et à plus forte raison, on ne peut faire une politique contraire aux intérêts du système qui l’a désigné. Il faut lire ce livre où Belaïd Abdesselam, revenu aux affaires pour 13 mois, découvre qu’en 20 ans, l’Etat qu’il connaissait n’est plus le même et que même ses anciens collaborateurs ne sont plus les mêmes. Il découvre que ce système s’est débarrassé de Chadli Bendjedid et Mouloud Hamrouche pour « poursuivre leur politique avec moins de brio ». La morale de l’histoire, guère conforme aux idées de Belaïd Abdesselam, est que seule une démocratie, non spécifique et sans ajout d’aucune sorte, peut donner un gouvernement effectif, pouvant mener une politique et être sanctionné pour sa réussite ou son échec. C’est ce qu’a découvert Belaïd Abdesselam pendant 13 mois après 20 ans d’absence. Seul gros problème : il ne le dit pas encore. Comme si défendre la démocratie serait aussi un reniement…