Ali Benhadjar raconte la guerre interne au sein du GIA

ALI BENHADJAR RACONTE LA GUERRE INTERNE AU SEIN DU GIA

El Kadi Ihsane, Algeria Interface, 27 décembre 2001

Médéa, 27/12/2001 – Les révélations « solennelles » de Djelloul Bouhamdi, alias Abou Oubeïda, membre du GIA arrêté et présenté à quelques journalistes début novembre, étaient en partie fausses. C’est sans doute le cas pour leur « volet historique » portant sur les circonstances de la mort de Mohamed Saïd et d’Abderrezak Redjam, les anciens dirigeants du FIS devenus membres du GIA, de la mort de Djamel Zitouni, émir national du GIA, et du kidnapping des sept moines trappistes de Tibhirine, à Médéa.

Abou Oubeïda a fait de son chef Antar Zouabri l’auteur principal de tous ces assassinats. Le témoignage sur ces faits, recueilli par Algeria Interface auprès d’Ali Benhadjar, ancien émir de la Ligue islamique pour la daâwa et le djihad (LIDD) dément la plupart de ces assertions. Il apporte des précisions inédites sur les débuts de la guerre interne au sein du GIA, sur l’embuscade qui a emporté son chef, Djamel Zitouni, et sur l’enlèvement des moines trappistes, en 1996.

Ali Benhadjar, candidat du FIS aux élections législatives de 1991 a bénéficié de la loi sur la « concorde civile » et vit aujourd’hui à Médéa. Il a été d’abord membre du GIA avant de fonder, en 1997, son propre mouvement armé, la LIDD, qui a céssé les combats après des accords avec l’armée algérienne. Il a directement vécu les trois affaires, deux d’entre elles s’étant directement jouées sur son territoire, djebel Tamesguisda.

Le récit de l’assassinat d’Abderrezak Redjam et de Mohamed Saïd par le GIA
« Mohamed Saïd et Abderrezak Redjam étaient en mission à l’Ouest au printemps 1995 afin de convaincre l’Armée islamique du salut (AIS) de se joindre à la moubayaâa [allégeance] à l’émir du GIA. Leur rencontre avec Kada Benchiha de la zone 4 (chef du GIA pour l’Ouest), avec Amor Habchi du Centre, et Ahmed Benaïcha de l’AIS a montré que chez ceux-ci, il y avait beaucoup de réserves à l’égard de Djamel Zitouni et de la manière dont il était devenu émir national du GIA après la mort de Chérif Gousmi. » Cette mission coïncide avec la fameuse offensive de l’ANP de Aïn Defla qui a défrayé la chronique, en mars 1995, les médias ayant annoncé « plusieurs centaines de terroristes abattus ».

Aussitôt après cette mission, Mohamed Saïd et Abderrezak Redjam ont été convoqués au PC du GIA à Bougara (Blida). « Zitouni les soupçonnait d’avoir comploté contre lui. Sur leur chemin vers Bougara, ils se sont arrêtés chez nous à Tamesguisda, du 20 au 22 juillet 1995. J’ai tout fait pour les convaincre de ne pas continuer leur chemin. Nous avions des indices sur les intentions de la djamâa [groupe] de Djamel Zitouni. Amor Habchi, émir du Centre, avait été condamné à mort et exécuté après son retour de l’Ouest. Mais Mohamed Saïd n’a rien voulu savoir. Il nous a répondu qu’il ne serait pas le prétexte d’une division entre les musulmans. »

À l’automne suivant, « l’émirat national du GIA » a rendu public un communiqué annonçant la mort au combat, l’istichhad , de Mohamed Saïd, « accroché par l’armée » alors qu’il allait rendre visite à des parents. « Nous savions que c’étaient eux qui l’avaient tué, lui, Abderrezak Redjam, ainsi que d’autres frères assimilés à la djaz’ara [courant politique du FIS dirigé par Mohamed Saïd]. »

Un plan de liquidation d’éléments réfractaires de Médéa
La suspicion est à son comble à la fin 1995. C’est au tour d’Ali Benhadjar et de trois de ses compagnons d’être convoqués au poste de commandement (PC) de Bougara: « Nous avions envoyé, au nom de la katiba (escadron) de Médéa, une lettre dans laquelle nous attirions l’attention du madjliss echoura [conseil consultatif] du GIA sur ses dérives extrémistes et sur certaines pratiques inconvenantes. En effet, il y avait des allures de Hidjra oua Tekfir [littéralement, Exil et excommunication, groupe islamiste extrémiste] dans ce qui se faisait. »

Devinant le sort qui les attendait, Ali Benhadjar et ses compagnons ont refusé de se rendre chez Djamel Zitouni. Une commission de la mousalaha [réconciliation] s’est alors rendu à Tamesguida avec à sa tête, Farid Achi, dhabit charîi [officier légal, exégète] de l’émir du GIA. Après 15 jours de palabres, « la commission a conclu que les divergences n’étaient pas insurmontables. Elle nous a invités à envoyer une délégation pour les aplanir définitivement avec le madjliss echoura ». Mais, très vite, il s’est avéré qu’il s’agissait d’un nouveau piège.

« On voyait les indices du khidaâ [trahison]. […] Nous avions convenu de nommer à la tête d’une katiba locale un de ses membres qui connaît mieux le terrain et les hommes. Eux voulaient nommer quelqu’un de Bougara. Ils ont accepté mais, une fois reparti, ont désigné d’autorité un proche de Djamel Zitouni. Les éléments de la katiba l’ont refusé en présence de la commission qui était venue l’installer. Ensuite, ils nous ont proposé une liste nominative de la délégation qui devait se rendre chez eux. Ils se sont arrangés pour y mettre les quatre qui avaient déjà été convoqués. J’ai refusé d’y aller! » D’autres accepteront. Une délégation de cinq membres quitte Médéa, le 16 novembre 1995, jour des élections présidentielles. Un seul en survivra.

Arrivés au PC de « l’émirat national », ils ont été séparés et liquidés l’un après l’autre, « à part un vieux, mort d’une crise cardiaque ». L’unique survivant reviendra un an plus tard seulement à Tamesguida pour y raconter le récit de cette « délégation de la fitna [discorde]». Entre-temps, en particulier depuis l’affaire des moines au printemps 96, la guerre entre la katiba de Médéa et l’émirat national du GIA devient totale. « Ils nous ont attaqués à plusieurs reprises à Tamesguida même. »

L’émir Djamel Zitouni est mort dans une embuscade du groupe de Benhadjar
Une des répliques obtient presque par hasard un résultat des plus spectaculaires. C’est le 16 juillet 1996, un peu après 20 heures, que Djamel Zitouni, l’homme le plus recherché d’Algérie, tombe dans une embuscade de la katiba de Médéa, dirigée désormais par Ali Benhadjar.

« Nous savions par où passaient les hommes du GIA pour venir de Chréa vers Médéa.Ce jour-là, des éléments sont partis faire le guet avec armes, munitions et ravitaillement. À la tombée de la nuit, un véhicule tout-terrain s’est présenté. L’opération (embuscade) a duré peut-être trois minutes. Nos éléments ont récupéré des armes et des documents. En les consultant, nous avons compris que parmi les trois occupants du véhicule, il y avait un ou deux dirigeants importants du GIA. Un de nos hommes connaissait Djamel Zitouni, mais il n’a pas eu le temps de l’identifier. Nous avons appris quelques jours plus tard qu’il s’agissait de lui. »

Pourquoi s’était-t-il aventuré jusqu’aux abords de Médéa? « Un transfuge du GIA nous a raconté plus tard que Djamel Zitouni était venu superviser un projet d’attaque contre des militaires. C’est un homme du GIA de Médéa qui avait proposé l’opération. Après, ils ont pensé qu’il travaillait pour nous et qu’il avait attiré l’émir national dans un guet-apens. » Cette version des faits a également été rapportée par un communiqué du groupe de Antar Zouabri, fin 1996. Ainsi, contrairement aux déclarations du membre du GIA, Djelloul Bouhamdi à la presse, en aucune manière Antar Zouabri n’est derrière la mort de Djamel Zitouni, auquel il a succédé dès l’automne 1996.

« Nous n’avons pu avertir les moines du plan de leur enlèvement »
L’enlèvement des sept moines trappistes en mars 1996 est également à mettre « sur le compte » de Djamel Zitouni. « Il nous a ordonné de le faire lorsqu’il essayait de rétablir son autorité sur la katiba de Médéa. Nous lui avons répondu que nous leur avions donné une parole de croyant et que nous comptions la respecter. Nous devions prévenir les moines des risques qu’ils encouraient. Mais, en fait, le GIA avait déjà préparé son coup avant de passer très vite à l’action avec l’aide de quelques éléments de la région de Médéa. »

Les sept moines trappistes, une fois enlevés, n’ont pas pu être transférés en une nuit jusqu’à Bougara, dans la Mitidja, comme le laissent entendre les déclarations de Djelloul Bouhamdi. Ils sont restés au moins 24 heures dans la région de Médéa: « Des ralliés, anciens du GIA, nous ont raconté plus tard que le groupe qui a enlevé les moines s’est caché au lever du jour à Guerouaou, sur les chemin de crêtes qui mène vers les montagnes de Chréa, lieu de passage pour descendre vers Bougara. D’ailleurs, ce jour-là, les hélicoptères n’ont pas cessé de bombarder cette position. Chose que nous ne comprenions pas. » Dès le début, les recherches de l’armée ont délaissé le massif de Tamesguida. « Ils savaient que nous n’avions pas enlevé les moines. »

Ali Benhadjar résume en deux, trois formules la ligne de partage entre le GIA, d’une part, et la LIDD et l’AIS, d’une part: « Nous croyions la lutte politique préférable pourvu que nos droits soient garantis. La lutte armée était un moyen de défense. Pour le GIA, il n’y avait de vrai combat que le combat armé. Tout le reste était haram [illicite]. Il y en a qui ont été liquidés dans les maquis parce qu’ils écoutaient une cassette de Abassi Madani ou d’Ali Benhadj… »

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