Algérie: «concorde» en trompe l’oeil
Les islamistes armés avaient jusqu’à hier pour se rendre.
José Garçon, Libération 14 janvier 2000
Neuf mois après son arrivée aux affaires, Abdelaziz Bouteflika a-t-il réussi son pari : amener les islamistes armés à se rendre avant le délai qu’il leur avait fixé et qui expirait hier ? Ces groupes, à l’exception de l’Armée islamique du salut (AIS, bras armé du FIS) qui avait négocié précédemment, avaient jusqu’au 13 janvier pour bénéficier de la loi sur la «concorde civile» qui prévoit d’amnistier tous les islamistes non impliqués dans des crimes de sang ou de viol.
Si dresser le bilan de cette loi est décisif, c’est qu’il se confond avec celui de l’action du chef de l’Etat qui avait fait du retour à la paix sa priorité, s’assurant ainsi une bonne part de sa notoriété. Six mois après l’entrée en application du décret, force est de constater que les violences se sont réinstallées dans le pays, alors qu’aucun dialogue politique n’a été tenté. Ces violences n’ont certes ni l’ampleur ni l’intensité des années les plus noires, entre 1993 et 1996. Pour autant, les massacres de civils ont recommencé. Barrages et embuscades se multiplient. Le racket a repris de plus belle. Force aussi est de constater que la «concorde civile» n’a eu de résultat tangible que sur les groupes qu’elle ne concernait pas et, surtout, qui ne participent plus aux violences depuis deux ans : ceux de l’AIS.
Ultime phase. A la suite d’un accord conclu avec l’état-major de l’armée, ses combattants respectent en effet un cessez-le-feu unilatéral depuis 1997, même si l’autodissolution de l’ex-bras armé du FIS a été annoncée seulement mardi par son chef Madani Mezrag. L’ultime phase de la reddition de l’AIS s’est d’ailleurs décidée dans des conditions totalement obscures et dans la confusion générale. Seule certitude : elle résulte d’une concession de dernière heure faite par le chef de l’Etat. Celui-ci a amnistié mardi tous les membres de cette organisation armée et leur a assuré qu’ils jouiront de «tous leurs droits civiques» et«pourront se réinsérer dans la société».
Le président algérien, il est vrai, jouait gros dans cette affaire et devait pouvoir mettre en avant un succès pour le 13 janvier. Dans ce contexte, la dissolution de l’AIS – qui a pris effet hier quand les «combattants» ont quitté leurs cantonnements pour se rendre symboliquement aux autorités – tombe à point. Elle permet à Bouteflika et aux généraux algériens de présenter à l’opinion nationale et internationale un bilan enjolivé de la «concorde civile». Et cela même si de sérieuses divergences semblent exister au sein de l’AIS et si les politiques du FIS sont plus divisés que jamais sur cette affaire. La distance prise par Abassi Madani en témoigne. La politique de Bouteflika «manque de sérieux», a affirmé le leader du FIS, pourtant peu habitué, ces dernières années, à ruer dans les brancards.
Invérifiable. En réalité, cette loi est loin d’avoir eu les résultats escomptés. Même si Alger faisait hier grand battage sur la «reddition imminente» d’un des chefs des GIA, Hassan Hattab, et de son principal adjoint, la «concorde» n’a pas provoqué de redditions en masse au sein des groupes armés qui ne sont pas partie prenante de la trêve acceptée par l’AIS. Officiellement, on affirme que 1 500 «repentis» se sont rendus, alors que, selon les estimations circulant à Alger, les groupes armés non ralliés à la trêve compteraient entre 5 000 et 7 000 combattants. Mais outre que ces chiffres sont invérifiables, tous les observateurs s’accordent à dire qu’un grand nombre de ces «repentis» sont… des membres des services de sécurité infiltrés dans les maquis.
Quelles seront dès lors les suites de la loi sur la «concorde civile» ? Les islamistes armés qui ne se seront pas rendus après le 13 janvier seront «impitoyablement combattus», a menacé à plusieurs reprises Abdelaziz Bouteflika, en précisant que les forces de sécurité utiliseraient «tous les moyens» pour en venir à bout. Le climat de violence qui s’est réinstallé en Algérie depuis deux à trois mois n’incitait déjà pas à l’optimisme. La perspective de voir s’abattre à nouveau une répression tous azimuts pour venir à bout des récalcitrants laisse craindre une nouvelle descente aux enfers avec la reprise du terrible engrenage «répression-vengeance-représailles». Signe avant-coureur : l’armée a envoyé des renforts en troupes et en matériel dans des secteurs réputés abriter des maquis islamistes hostiles à la concorde, notamment en Kabylie et dans quelques zones de l’ouest du pays. De nouveaux équipements électroniques pour les combats de nuit ont été importés, et plusieurs milliers de militaires ont en outre été rappelés.
Forcing. Pendant ce temps, les milieux hostiles à toute solution politique de la crise font le forcing. «Il n’y a plus de prétexte à faire valoir pour retarder l’éradication d’un phénomène qui a endeuillé des pans entiers de la société et a réussi à propulser le pays vers l’éclatement», affirmait en début de semaine l’éditorial du quotidien Liberté. Et d’ajouter : «Etre du côté de l’ANP (Armée nationale populaire, ndlr) dans cette nouvelle épreuve relève d’un acte de citoyenneté. Si certains y voient un discours militariste, il n’y a qu’une réponse à leur donner : l’Algérie vaut tous les risques, y compris celui d’être taxée d’éradicateur.».