Ahmed Djeddaï: «Nous prendrons une décision en fonction de lévolution de la situation»
Ahmed Djeddaï, premier secrétaire du FFS, à la Tribune :
«Nous prendrons une décision en fonction
de lévolution de la situation»
«Le FFS a toujours pris ses responsabilités dans les moments les plus forts. Nous ne sommes pas un parti dopposition qui fait uniquement de lopposition, nous faisons des propositions. La dernière en date remonte au lendemain de la marche du 3 mai 2001 après les événements sanglants qua connus la Kabylie. Nous avons remis un mémorandum aux décideurs»
Par Faouzia Ababsa, La Tribune, 14 mars 2002
La Tribune : Nous sommes à la veille des élections législatives. Quel est le point de vue du FFS sur la tenue de ce scrutin ?
Ahmed Djeddaï : Nous nous demandons comment on peut organiser des élections dans un climat délétère, dinsécurité et dincertitude comme celui que nous vivons, dans une situation de crise où ceux qui gouvernent le pays continuent à tenir des discours de haine, à limage de celui du chef de lEtat qui a, à partir de Tindouf, stigmatisé les Kabyles et fait comprendre quil y avait une bipolarisation arabophone-amazighophone. Ouyahia, pour sa part, a déclaré il y a quelques jours quil ira aux élections même sans la Kabylie. Ce sont autant de discours irresponsables qui portent des germes de fitna quon veut semer dans le pays. Donc, malgré toute cette crise que nous sommes en train de vivre, on nous impose une échéance au moment où les Algériens ont dautres préoccupations.
Le FFS na pas décidé de participer ou de boycotter ces élections. Cela est-il lié à la situation en Kabylie. Est-ce que votre parti sattend à ce que le chef de lEtat prenne des initiatives pour se prononcer ?
Nous navons pas encore pris de décision.
Si lon suit votre raisonnement et les arguments que vous venez de donner, on serait tenté de conclure que le FFS sinscrit dores et déjà dans la logique de non-participation
Je ne suis pas habilité à vous donner une quelconque réponse tant que le Conseil national ne sest pas prononcé. Il y aura un débat le 21 mars. Ce nest quà ce moment que nous trancherons. Quoi quil en soit, je pense que le pays a beaucoup plus besoin dune initiative politique forte. Et cest au pouvoir de la prendre. Pour ce qui nous concerne, nous avons appelé à une marche pacifique demain pour essayer dimposer les termes du débat, à savoir le recouvrement de toutes les libertés, tous les droits et surtout défendre lunité nationale menacée par le pouvoir et ses relais. Le FFS a toujours été du côté de la population. Nous avons de tout temps privilégié lintérêt du pays à lintérêt partisan. Nous prendrons une décision en fonction de lévolution de la situation.
Supposons un instant que le Conseil national décide de boycotter les élections. Quelle serait lalternative que le FFS proposera ?
Je crois quil faut laisser le Conseil national débattre et trancher la question.
Inscrivons-nous dans la dynamique des élections. Au-delà des discours idéologiques et des déclarations de principe du parti, quelles sont les propositions concrètes du FFS dans les domaines politique, économique, social, etc. ?
Le FFS a toujours pris ses responsabilités dans les moments les plus forts. Nous ne sommes pas un parti dopposition qui fait uniquement de lopposition, nous faisons des propositions. La dernière en date remonte au lendemain de la marche du 3 mai 2001 après les événements sanglants qua connus la Kabylie. Nous avons remis un mémorandum aux décideurs (Bouteflika, les généraux Mohamed Lamari et Mediène). A ce jour, nous navons reçu aucune réponse, hormis celle du chef de létat-major qui nous a déclaré que larmée est républicaine. Elle ne fait pas de politique. Cest une réponse danthologie. Alors que tout le monde sait que larmée est partie prenante dans la hiérarchie politique. Dailleurs, Larbi Belkheir la confirmé dans lentretien quil a accordé au journal le Monde. Dans ce mémorandum, nous disons que le pays est dans une impasse politique totale et que les clés de la sortie de crise sont entre les mains du pouvoir. Il faut entamer un dialogue franc, sérieux et transparent entre le pouvoir et les forces politiques qui ont un véritable poids. Ce dialogue sera bien entendu précédé de linstauration dun climat de confiance, meilleure garantie pour le processus de sortie de crise. Ce climat doit être favorisé par des mesures de détente et dapaisement que seul le pouvoir peut prendre de manière unilatérale. Parmi ces mesures -il y en a beaucoup- la levée de létat durgence, louverture du champ politique et médiatique, arrêter toutes les entraves et les harcèlements judiciaires contre la presse écrite et les journalistes. Il faut également prendre des mesures contre les commanditaires et auteurs des assassinats. Nous ne voulons ni dun faux dialogue ni dun simulacre de dialogue. Le cadre doit être accepté par tous les participants. Nous devons nous entendre sur une charte politique qui définisse les fondements démocratiques de lEtat algérien tels que lalternance, la non-utilisation de la violence pour accéder au pouvoir ou sy maintenir, la non-utilisation des mosquées à des fins politiques, le respect des droits de lhomme. Tout cela nous permettra dentrer dans la phase de transition démocratique. Nous mettrons en place les organes de la transition tels quune conférence nationale de suivi de la transition, un gouvernement crédible accepté par tous.
Qui prendrait des décisions engageant lavenir du pays ?
Un gouvernement de transition chargé des affaires courantes mais surtout dont la mission fondamentale et centrale est la préparation des élections.En fait, il sagit de créer toutes les conditions politiques, sécuritaires et techniques pour aller vers des élections propres et honnêtes. Ce serait une transition de courte durée. (Car, pour ce qui nous concerne, nous revendiquons une assemblée constituante. Il faut que les jeunes, qui représentent les deux tiers de la population, élaborent leur propre Constitution et que lon se débarrasse enfin de la pratique qui consiste pour chaque nouveau chef dEtat à se tailler une Constitution sur mesure). Pendant cette transition, lAPN doit être dissoute et le Président pourra légiférer par ordonnance à condition quil ait laccord de la conférence nationale de suivi de la transition. Dautre part, il y a une condition fondamentale que le pouvoir doit absolument accepter et satisfaire. Cest le retrait graduel de larmée du champ politique. Cest la seule garantie qui nous permettra de passer dun Etat autoritaire et dictatorial à un Etat civil et démocratique.
Revenons aux propositions concrètes du FFS dans les différents secteurs. Quest-ce que vous offrez à une population gavée de discours creux et de professions de foi et qui exige des solutions palpables telles que le logement, lemploi, la sécurité, la dignité ?
On ne peut pas avoir une démarche «économisiste». Le FFS est un parti social-démocrate. Il ne soppose donc pas à léconomie de marché. Il est, en revanche, contre léconomie du marché, contre le bradage et la destruction des entreprises.Nous sommes passés dune économie centralisée et administrée à une économie de «bazardisation». Or, il y a un juste milieu qui consiste à dire quil faut aller vers une véritable économie de marché en prenant en considération la dimension sociale. Lhomme doit être au centre de toute décision politique, économique ou sociale. Dans notre parti, nous estimons que le pays a grand besoin dun secteur public fort. Il faut le préserver. Nous ne sommes pas contre le privé. Au contraire. Le FFS estime quil faut lui donner tous les moyens nécessaires pour favoriser les PME/PMI. A ce titre, laccord dassociation avec lUnion européenne est édifiant. Je précise que le FFS nest pas contre cet accord. Au contraire. Il juge quil est nécessaire de contracter des accords aussi bien avec lUE quavec les Etats-Unis ou dautres pays encore, à condition que cela ne se fasse pas au détriment de notre pays et quil profite aux Algériens. Or, laccord avec lUE sest conclu dans lopacité totale, sans débat national, sans lavis des partis et encore moins celui des opérateurs privés et publics. Le point 2, relatif aux droits de lhomme, à lalternance et à lEtat de droit, la bonne gouvernance, ne constitue pas une condition pour les échanges économiques et les relations de partenariat. La preuve en est quau lendemain de la ratification de cet accord, lAlgérie a refusé daccueillir une organisation des droits de lhomme. Cela prouve que les responsables de ce pays piétinent à chaque fois les conventions et les traités internationaux. Enfin, il y a le problème du démantèlement tarifaire sans quil y ait une mise à niveau réelle des entreprises. Il ne sagit même pas dun démantèlement graduel. Ce qui est étonnant, cest que lAlgérie a offert un gage à lUnion européenne avant même la ratification à travers le démantèlement tarifaire contenu dans la loi de finances 2002. Les produits finis importés sont taxés à 15% alors que les matières premières le sont à 30%, comment voulez-vous que nos entreprises prospèrent ? Ce démantèlement les voue, au contraire, à la fermeture et au licenciement de leurs employés car ce sont les produits importés qui pourront être écoulés facilement, parce que moins chers. Cela prouve que ce sont les barons de limport-import -qui sont au pouvoir- qui sont derrière tout cela. Cest pour préserver leurs intérêts au détriment de ceux de léconomie nationale que ce démantèlement tarifaire a été instauré. Il y a des domaines où lEtat doit absolument être présent, comme dans la santé, la préservation et la création demplois (à travers une véritable relance économique), léducation.
Le thème des droits de lhomme est absent, est de moins en moins abordé dans les campagnes électorales et même dans les discours de la classe politique. Cela, au moment où, justement, cette question se pose avec plus dacuité
Notre parti a toujours fait des droits de lhomme son cheval de bataille. Et ce, contrairement aux autres formations politiques dont la vision rejoint celle du pouvoir et qui consiste à dire : «On ne peut pas faire domelette sans casser dufs.» Tout comme le pouvoir, ils estiment que les droits politiques, économiques et sociaux sont dissociables des droits de lhomme. Au FFS, nous avons toujours dit que les droits de lhomme, cétait luniversalisme. En Algérie, il y a violation massive de ces droits et pas seulement depuis 1992. La torture sest démocratisée, il y a eu des milliers de disparus, enlevés par les services de sécurité, des assassinats, des passages à tabac dans les commissariats, les tueries. Des citoyens ont été assassinés aussi bien en Kabylie que dans dautres wilayas du pays sans que pour autant les auteurs et les commanditaires soient inquiétés. La question des droits de lhomme a été biaisée par le pouvoir au lieu dêtre au centre des débats. Quand on arrive à jeter un défenseur des droits de lhomme parce quil en a justement dénoncé les atteintes, nous avons une idée de la vision qua le pouvoir sur la question.
F. A.