Discours de Hocine Aït Ahmed devant le Conseil de l’international Socialiste

Conseil de l’Internationale Socialiste
Casablanca – 31 mai et 1er juin 2002

Résolution sur l’Algérie

En réponse à la demande des Algériens qui exigent une solution politique, seule à même de mettre fin à une décennie de conflit sanglant, le pouvoir algérien s’est contenté d’organiser une nouvelle opération électorale. Celle-ci a été massivement boycottée.
Dans la pratique, cette élection avait pour objectif principal de combler un vide politique conséquence d’un état d’urgence illégal qui supprime toutes les libertés, et à redorer la façade démocratique d’un régime protégé par sa puissance absolue, son incontrolabilité et son impunité.
Le Conseil de l’Internationale Socialiste, suite à la résolution qu’il a adoptée à Lisbonne :
– demande au Comité Méditerranéen de mettre en œuvre cette résolution et de suivre l’évolution de la situation ;
– décide l’envoi d’une délégation pour aider à la recherche d’une solution politique ;
– interpelle le Secrétaire des Nations Unies pour qu’il porte devant le Conseil de Sécurité les violations massives et systématique des droits de la personne humaine ;
– assure de sa solidarité agissante le peuple algérien et les forces démocratiques, notamment le Front des Forces Socialistes.

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FFS

Front des Forces Socialistes

Discours de Hocine Aït Ahmed
devant le Conseil de l’international Socialiste

Casablanca, le 31 mai 2002

Chers camarades,
A notre réunion d’aujourd’hui l’optimisme a peut-être été convié, mais il me semble qu’il a décliné l’invitation.
Pour de multiples raisons il me semble fondé d’être sérieusement inquiet sur les capacités de notre Internationale Socialiste à peser sur les décisions internationales. Et c’est d’abord cette incapacité à être sinon un acteur important, du moins une mouvance reconnue dans la prise des décisions qui engagent l’avenir de pans entiers de la communauté humaine, incapacité qui réduit considérablement l’impact voire l’intérêt de telles réunions. Comme l’illustre si bien l’intervention du companero Zapatero qui constate que notre Internationale ne capitalise pas assez la portée de notre éthique, de nos idéaux et de l’implantation mondiale de notre organisation.
Peut-on réduire l’idéal socialiste à des contorsions électoralistes pour arriver vaille que vaille à constituer des gouvernements ?
Et une fois ces gouvernements en place n’être capable d’aucune résistance sérieuse devant les coups portés par le grand capital aux intérêts des travailleurs et des couches les plus défavorisées par une globalisation guidée par un souci forcené du seul profit ?
Aucune résistance sérieuse non plus devant l’unilatéralisme américain dont la brutalité et l’arrogance auraient il y a vingt ans soulevé des tempêtes. Ces tempêtes qui ne sont pas de notre fait sont pourtant à l’œuvre faisant partout reculer l’espoir de réformes salvatrices au profit des tendances les plus extrémistes. Des extrémismes religieux ou laïques qui sont aujourd’hui davantage susceptibles d’emporter l’adhésion de la jeunesse que cette social-démocratie molle qui n’arrive ni à se faire accepter comme partenaire à part entière par l’américanisme triomphant ni à prendre ses distances à l’égard des dictatures les plus sanglantes et les plus grotesques.
Pouvons-nous sérieusement espérer convaincre les nouvelles générations du bien-fondé de nos principes de démocratie, de droits de l’homme de bonne gouvernance et de solidarité quand nous nous révélons incapables d’en faire un axe prioritaire de notre action ?
Depuis dix ans, l’Algérie s’enfonce inexorablement dans le chaos expérimentant, l’une après l’autre, toutes les formes de la violence et du désespoir sans susciter davantage que l’indifférence, le silence ou de vagues condamnations qui resteront lettre morte faute d’être portées avec conviction.
Avant même que les terribles attentats du 11 septembre ne viennent servir d’alibi à la répression tous azimuts et au retour en force de discours, d’attitudes et de politiques aux relents racistes, la complicité avec le pouvoir algérien avait mis à nu les limites de l’engagement démocratique chez de nombreux camarades socialistes.
Est-il nécessaire de revenir sur les terribles événements qui ont saigné la société algérienne ces dix dernières années tandis que le régime se maintenait vaille que vaille à coup de déportation de population, de disparitions forcées, de torture et de massacres à grande échelle avant de pactiser secrètement avec les chefs terroristes qu’il prétendait combattre ?
Faut-il rappeler que la seule proposition de sortie de crise négociée a été du fait de l’opposition ? que cette plate-forme de Rome a suscité un intérêt sans précédent dans le monde musulman parce qu’elle introduisait la notion de contrat politique dans un système de pouvoir qui jusqu’à aujourd’hui l’ignore ? Comment ne pas voir dans le déchaînement actuel des passions et la multiplication des impasses à quel point il fût criminel – non seulement pour l’Algérie mais pour tout un pan de l’Humanité – de refuser de soutenir cette initiative ?
Est-il sérieux de prétendre combattre le terrorisme quand on crache avec autant d’arrogance sur la seule manière de l’isoler et de la priver des moyens pacifiques de lutte contre la détresse sociale et le vide politique, au sein de populations éreintées par la mauvaise gouvernance et l’incurie de leurs dirigeants, et qui n’ont plus que l’émeute comme seul moyen de s’exprimer.
Aujourd’hui encore dans un pays de non droit, de non démocratie et où la mort s’est banalisée parce que la vie a perdu son sens, des élections sans enjeu vont – encore une fois – démonétiser l’action politique pacifique en réduisant la compétition électorale à une mascarade ne concernant que quelques chasseurs de primes de députés dans un Parlement sans nul pouvoir !
La pauvreté et le dévoiement des pratiques politiques en cours sont les premiers recruteurs du terrorisme et rien ne sert de condamner ce dernier tant que des régimes brutaux, incompétents et impopulaires continueront à le générer en sévissant contre leurs jeunesses à qui ils ont confisqué le passé, le présent et l’avenir.
Depuis plus d’un an, la révolte populaire en Kabylie n’a rencontré que manipulations et répression de la part du régime. Cette situation s’est aggravée avec l’entêtement du pouvoir et son incapacité à ouvrir des perspectives politiques crédibles. Aujourd’hui encore et malgré la vigilance de la population, des dérapages extrêmement dangereux risquent d’entraîner tout le pays dans une nouvelle flambée de violence aux conséquences incalculables.
Le cynisme à l’œuvre sur la scène internationale qui rend fréquentables les tortionnaires, les assassins de masse et les corrompus notoires pour peu qu’ils permettent d’engranger des profits au nom de la sacro-sainte loi du commerce, ce cynisme qui s’affiche en B 52 quand la barbarie menace ses intérêts est pourtant d’une impuissance sidérante quand il s’agit de prévenir justement la généralisation de la barbarie. La prévenir en s’attaquant aux racines du mal par les impératifs du développement durable, de la bonne gouvernance et du respect des droits de l’Homme.
L’Algérie, dont la population est recrue de douleur par dix années de violence d’Etat et de terrorisme fait face à une paupérisation sans précédent et à une crise de gouvernance majeure voire d’ingouvernabilité, se trouve aujourd’hui livrée à un pouvoir fort sur le plan militaire mais en pleine décomposition politique morale et maffieuse.
Tous les ingrédients sont réunis pour une explosion dont la situation quasi-insurrectionnelle en Kabylie et les multiples émeutes qui secouent l’ensemble du pays sont les signes avant-coureurs. Si rien n’est fait pour prévenir l’irréparable et si la diplomatie persiste à n’être rien de plus qu’une bureaucratie au service des intérêts économiques nous allons sûrement rentrer dans une zone de turbulences aux conséquences imprévisibles pour tous. Il sera alors trop tard pour faire le plaidoyer de l’impuissance, car elle sera totale.

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