Hocine Aït-Ahmed: Ârch, la tribu; Ârouch les tribus

Ârch, la tribu; Ârouch, les tribus

Hocine Aït-Ahmed, Note politique du 26 mars 2002

Il faut s’interroger sur ces mots, ensuite sur les faits qu’ils recouvrent et enfin tenter de reconstruire le sens de la vision qui explique leur intrusion soudaine ainsi que la poursuite de leur instrumentalisation stratégique.

Arouch est le pluriel de Arch. L’utilisation faite indistinctement de l’un pour l’autre, tout particulièrement en Kabylie où il fit une apparition spectaculaire lors du Printemps Noir 2001 illustre le dépérissement total, de la mémoire collective sinon du mot lui-même, du moins de tout mythe prétendument fondateur ou prestigieux. (Voir la brève note historique accompagnant ce texte)

VERITE D’ADEQUATION

C’est par l’établissement des faits – indépendamment des stratégies ou des buts recherchés, que passe la frontière entre la vérité et l’affabulation. L’embrasement généralisé de la Kabylie dont le monde fut témoin, à partir de fin avril 2001 ne fut pas un phénomène de génération spontané suscité par je ne sais quel appel ou rappel d’une mythologie tribale légendaire .

L’assassinat d’un adolescent, dans l’enceinte même d’une gendarmerie, le 18 avril 2001, fut le déclic d’une onde de choc qui déclencha des manifestations pacifiques de protestation et de solidarité à travers toute la région. Telle est la vérité d’adéquation; C’est évidemment cette jeunesse, l’écrasante majorité de la population, qui, flairant le complot, mit en branle organisa et réussit, pendant une dizaine de jours à maîtriser la formidable insurrection morale de la rue. Il est vrai que ces jeunes avaient déjà acquis des réflexes de mobilisation rapides à force de désamorcer les grosses manipulations du pouvoir. Grâce à eux, notamment, les 2 coups de force pervers : le faux vrai ou le vrai-faux enlèvement du chanteur Lounès Matoub, puis son assassinat, avaient été mis en échec; le but obsessionnel des deux opérations était manifestement de faire basculer la Kabylie dans la stratégie éradicatrice et militariste des généraux. Le quadrillage de la Kabylie par les sections du Front des Forces Socialistes (FFS) et par ses municipalités largement majoritaires dans les wilayas de la région, avait bien sûr contribué à noyer et neutraliser par des marches imposantes et pacifiques, les groupuscules subversifs et activistes dont le rôle était d’inciter à la violence et à l’émeute.

VERITE : BAS LES MASQUES !
TENTER DE DEVOILER LA NOUVELLE STRATEGIE GLOBALE DU POUVOIR EN KABYLIE

Le sort du Printemps noir 2001 ne sera pas du tout le même que les deux cabales criminelles qui l’avaient précédé. Bien que l’objectif stratégique fut le même à savoir : noyer la Kabylie dans le sang pour mettre fin à son rôle politique moteur. Apparemment les stratèges en chambre ont tiré les leçons des deux opérations avortées – même si le meurtre de Matoub, avait, hélas, réussi. Enfermés dans leurs recours traditionnels au gangstérisme en vue de régler les problèmes politiques, ont-ils compris que leur absence de tactique a torpillé leur stratégie ?

Force est de constater d’abord que le Printemps noir n’est pas une opération ponctuelle ; il continue à s’installer dans la durée ; dans moins d’un mois, il aura imposé à la population au quotidien une année d’intimidations, d’humiliations et de provocations intolérables. Sans remonter loin dans le passé, les expériences récentes ont démontré que l’instant nécessaire pour appuyer sur la gâchette ne peut suffire à comploter la déstabilisation d’une société politiquement aguerrie. Même avec le soutien d’une armature d’agitateurs, de pyromanes bien rodés et de faux démocrates à l’affût.

Mais quel sens construire à partir du TEMPS ainsi érigé en élément tactique décisif, sinon qu’il s’agit cette fois d’une opération de grande envergure ? On ne lésine pas sur les moyens et les batteries de « L’Etat » mais encore faut-il prendre le temps pour les rassembler, les affûter puis les combiner .

L’impitoyable chasse à l’homme déclenchée, sans motif apparent, par les forces de la gendarmerie à partir du 28 avril 2001, ne contredit pas pour autant l’existence d’un plan stratégique global. Bien au contraire, et sans en révéler les tenants et aboutissants, elle a malgré tout trahi ses objectifs politiques, psychologiques et diplomatiques immédiats. La conduite même de cette répression sauvage était une traduction opérationnelle d’une volonté politique sans équivoque. Elle a été cyniquement revendiquée. Sortant ainsi de leur art confirmé du déguisement, les autorités n’en ont ni accusé les  » Islamistes  » ni incriminé des  » bavures  » selon leurs vieux clichés. En tout cas, pour ce qui est des bavures, ce serait un modèle du genre, vu la simultanéité des dizaines d’assassinats perpétrés à balles réelles, le même jour, samedi 28 avril, presque dans le même quart d’heure et ce, dans des agglomérations et villages éloignés les uns des autres. Que des gendarmes aient poursuivis des blessés pour les achever à coup de bottes ­ selon les témoignages de journalistes pourtant proches du pouvoir – ne laisse aucune marge au hasard -: Les unités de la gendarmerie avaient bel et bien reçu, d’Alger, l’ordre de réprimer sans états d’âme les populations désarmées, fussent-ils manifestants ou non.

Un double message se dégage de l’ampleur et de la brutalité de ce coup de force : d’une part frapper de terreur la population et surtout la jeunesse de la région. A l’exemple du carnage des jeunes algérois abattus à la mitrailleuse lourde en octobre 1988. Et d’autre part frapper de stupeur la communauté internationale afin d’éviter des réactions hostiles à la dictature et, du coup, pour décourager un mouvement de solidarité internationale avec l’opposition démocratique

C’est dire que la planification globale des facteurs diplomatico – psychologiques avait pour priorité d’aggraver l’isolement international et le désespoir des populations dans le but de les réduire à la merci du régime.

En bref, cette opération de grande envergure avait pour souci fondamental de combiner tous les moyens pour désorganiser, démoraliser et normaliser la Kabylie. Cependant, instruits de leur méconnaissance totale des réalités du terrain et non encore remis des échecs de leurs tentatives de déstabilisation précédentes, les généraux ont fini par comprendre que la destruction des forces stratégiques de la région constitue le préalable incontournable à la réalisation de leur dessein totalitaire .

Curieusement le mouvement Arch- Arouch ­ le monstre du Loch Ness – surgit au lendemain des manifestations impressionnantes organisées par le FFS à Alger le 3 et 31 mai 2001, et au moment où la dissidence nationale citoyenne et pacifique ( note ) amorcée en Kabylie s’était progressivement élargie à d’autres régions du pays. Ces sursauts de détermination populaire venaient de contredire les analyses classiques superficielles fondées sur la passivité des Algériens et sur la fiction bi-polaire pouvoir/intégriste. Ils ont rétabli aux yeux de l’opinion internationale la véritable équation politique qui oppose la société algérienne au système mafieux qui s’est imposé depuis prés de 4 décennies.

Pire pour le sort de la junte : la société apparaissait grosse d’une protesta à l’échelle nationale.

Que l’émergence spontanée de cette organisation ârch-ârouch, soit venue se greffer sur un profond mouvement de dissidence citoyenne pacifique et national, pour le coiffer, le prendre en main et le pervertir n’était pas une simple coïncidence. Il s’agit de la plus monstrueuse machination politico – psychologique qu’ait connu cette région. Sans ancrage historique ni implantation sociale, elle ne fait qu’instrumentaliser la colère d’une formidable jeunesse otage d’une répression féroce et d’une impasse national sans issue. Elle pousse l’escroquerie jusqu’à revendiquer la formulation  » dissidence citoyenne  » – un mot d’ordre largement popularisé par le FFS – pour la dépouiller de sa signification et de sa portée nationale. Une technique totalitaire bien rompue dans l’art de semer la confusion en galvaudant et dénaturant le vocabulaire démocratique.

FAIRE VIRER LE SENS DES MOTS EN ABSENCE DE SENS.

Par contre elle bénéficie de nombreux atouts : Une sur-médiatisation quotidienne par la presse dite indépendante. Des troupes politiques importantes intégrant les divers appareils militaro – sécuritaires déguisés en civil ( gendarmes, milices ). La DRS offrant un quadrillage professionnel renforcé de ses structures locales et willayales. Des centaines de miliciens au service de deux seigneurs de la guerre. Les associations ACT et ACB ( Associations citoyennes de Tizi-Ouzou et de Bejaïa ), qui ,certes gardent une nuisance corruptrice parce que subventionnées sans limites par le pouvoir, mais qui restent politiquement marginalisées dans la société; car leur chef, Aïssat Rachid notoirement connu comme colonel de la DRS a été promu depuis 3 ans  » conseiller aux Affaires kabyles  » auprès de Bouteflika. Il faut ajouter à cette constellation, un agrégat de groupes gauchistes ainsi qu’un résidu de noyaux durs du RCD – non remis de leur discrédit politique – qui, en sous-main, redoublent de zèle au sein des ârouchs chargés de l’agitation violente et des actes de sédition .

En tout état de cause, l’effet d’annonce spectaculaire que fut la manifestation gigantesque organisée, par les Arouch à Alger le 14 juin 2001, fut leur consécration la plus frappante. L’estimation donnée de cette ruée sur la capitale avoisinait 1 million de manifestants pouvait difficilement être contestée, malgré les légendaires sur – ou sous – évaluations « algériennes ». Il est vrai que l’événement surgit dans un climat de répression et de terreur à son paroxysme, et, au surplus sur un terrain politique totalement bloqué par l’impuissance et le désespoir. Le discours non-violent et pacifique du FFS ne pouvait être qu’en porte-à-faux avec le ras-le-bol général. D’autant que la stratégie d’une omerta totale imposée par le pouvoir réel, depuis près de 3 mois, ne permettait aucune lueur d’espoir. Qui plus est: la société n’avait aucun recours puisque les 3 instances destinées à jouer le rôle de recours et de façade démocratiques : le » chef de l’Etat et des forces armées « , l’Assemblée Populaire Nationale et le gouvernement, était frappées d’un mutisme absolu: pas le moindre message d’apaisement à la population et surtout pas la moindre mise en garde aux forces de sécurité. D’ailleurs les événements tragiques de Kabylie auraient été sûrement évités, si le discours que Mr. Bouteflika vient de prononcer, le 12 mars dernier, l’avait été il y a un an. C’était au moment où les unités de gendarmerie avaient précisément lancé à Bejaïa leurs vastes manœuvres de racket et d’humiliations gratuites, en prélude bien lisible, au Printemps noir. Il avait alors choisi la provocation à la prévention.

INSTRUMENT POLITIQUE POUR QUELLE STRATEGIE

Le concept des Arouch, dernière découverte des laboratoires de la police politique, illustre l’opacité et la manipulation qui fondent le fonctionnement du régime. Tout en induisant en erreur l’opinion nationale et internationale, l’intrusion des Arouch vise du même coup à fausser les analyses des responsables étrangers. Mais l’objectif central des mafieux est surtout de ne révéler ni leurs intentions ni leurs dispositifs, en sorte que les démocrates crédibles et conséquents ne puissent anticiper et rien entreprendre avec certitude.

Or, au départ déjà, la nature populiste fascisante de ce mouvement s’est trahi en jouant sur la surenchère du consensus communautaire, c’est à dire sur l’unité de la Kabylie à travers son unicité politique. Le dessein maquillé étant de détruire le dernier bastion de toutes les formes de pluralisme arrachées de haute lutte. Cette organisation présentée comme porteuse de modernité a exclu la participation des mouvements associatifs et syndicaux, celle des femmes en particulier. Dès lors cette stratégie de l’apprenti sorcier, condamnent ses auteurs à exercer une redoutable violence historique en s’acharnant à enfoncer dans un moule tribal archaïque, une population forgée pendant des siècles par les traditions de forum et de participation publiques dans les villages et les douars
( groupes de villages ).

Par ailleurs, la pratique de cette organisation durant ce Printemps noir qui n’en finit pas, prouve qu’elle constitue, – en l’absence quasi totale de ce qui est appelé Etat et que s’installe un chaos organisé et rusé – l’instrument principal pour réaliser les objectifs du pouvoir en Kabylie.

A savoir:

– Régionaliser , ghettoïser et pervertir la problématique en jouant sur un irrédentisme régionaliste, autonomiste voire séparatiste.

– Diviser pour régner, en s’acharnant à isoler et diaboliser la Kabylie aux yeux du peuple algérien, qui s’était fortement solidarisé par des manifestations à travers le pays lors des tueries du printemps dernier.

– Inciter à l’émeute, entretenir un climat de violence, menaces de provocations et d’intimidations, pour mettre politiquement hors-jeu les forces démocratiques autonomes et pacifiques. Et, partant, pour que les Arouch parviennent à exercer une hégémonie autoritaire tout en monopolisant la représentation politique au profit de leurs commanditaires.

– Faire de la Kabylie un abcès de fixation obsessionnel, afin de pervertir et d’évacuer les enjeux politiques nationaux majeurs liés au retour de la paix, à l’exercice véritable de la citoyenneté et à l’éradication des fléaux sociaux.

– Centrer la problématique fondamentale du pays sur la plate-forme d’El-Kseur qui revendique notamment le départ de la gendarmerie et la reconnaissance de Tamazight comme « langue nationale ». C’est une façon d’enterrer les propositions de sortie de crise contenues dans le mémorandum adressé par le FFS à Bouteflika, et aux généraux Mediène et Lamari en juin dernier. En termes concrets, la manœuvre consiste à substituer la demande du rappel de la gendarmerie de Kabylie – simple mesure de sécurité -, aux revendications FFS de nature fondamentale portant sur la levée du dispositif d’exception lié à l’état d’urgence, et sur le retrait de l’armée du champ politique. En effet, tous les moyens sont prioritaires pour éviter d’aborder l’impératif d’une solution politique à la sale guerre qui vient de dépasser sa 10éme année de tueries et de dévastation.

– Préparer les conditions d’une « blitz-répression » généralisée pour mâter la population, une fois pour toute, et entamer un processus de réformes – coups de force pour éradiquer les forums des villages et des douars, ces derniers espaces publiques qui échappent à l’empire du pouvoir et de ses lois scélérates. Certes, Causa Nostra sacralisée par l’Unité Nationale se suffit à elle-même et pourrait donc se passer de toute justification au regard de l’opinion internationale. Mais aux actes criminels d’échelle, elle trouvera des déguisements d’échelle, comme, par hypothèse, de mettre au même niveau national les prérogatives et le fonctionnement des collectivités locales. L’heureuse standardisation patriotique oblige.

L’éventualité d’une tentative de tchétchénisation de la Kabylie est rendue plausible par l’apparition – aussi spontanée que les Arouch ­ d’une mouvance terroriste : les ( GSPC ) Groupes Salafistes pour la Prédication et le Combat, proche des thèses de Ben Laden – déjà créditée, d’une redoutable nuisance à côté des nombreux G.I.A.

Après tout, Poutine, l’instructeur d’hier, n’a fait que copier sur ses anciens élèves algériens, le savoir-déclencher une guerre: il suffit de manigancer un attentat aveugle intégriste qui fauche effroyablement des centaines de victimes parmi la population civile, et le tour est joué devant l’opinion nationale. Quant aux répercussions internationales, il peut les affronter avec ou sans l’exemple de la 2e guerre d’Algérie car il n’a pas perdu la main d’une diplomatie agressive et habile, et d’un rideau de fer adéquat pour dissimuler ses crimes contre l’humanité et s’entêter à refuser toute solution politique. Le livre qui vient de paraître  » Un témoin Indésirable « , sous la plume d’Andreï Babitski, est utile pour comprendre et la tragédie algérienne et les risques de tchétchenisation de la Kabylie.

Plus significative est l’organisation des Arouchs en 2 branches complémentaires: « dialoguistes » et  » radicaux « . Elle illustre la mise en place d’un dispositif tactique, destiné à camoufler la grosse frappe stratégique en préparation. En réalité les faux dialogues avec le Premier ministre visent à accréditer à l’étranger l’esprit d’ouverture des autorités sur les problèmes « kabyles ». De plus en reconnaissant les Arouch comme uniques interlocuteurs de la région, ils excluent les forces démocratiques représentatives. Par ailleurs la gestion des affaires kabyles par le dialogue, pourrait faire croire à la communauté internationale qu’un dégel similaire pourrait évoluer vers un véritable dialogue national en faveur de la paix. Hypothèse qui est totalement étrangère à la réflexion et aux comportements des décideurs.

Quant à la branche « radicale », signalons d’abord qu’elle vient d’ajouter le qualificatif  » révolutionnaire  » au sigle  » Dissidence citoyenne  » pour le substituer au caractère  » pacifique et nationale  » de l’authentique dissidence prônée par le FFS. En réalité, c’est elle qui prend en charge les tâches et les manœuvres stratégiques. Elle s’occupe des tentatives de manipulation des populations et notamment de l’encadrement des jeunes dont la tranche d’âge se situe entre 14 et 20 ans. L’état de grâce étant terminé, ses mots d’ordre de grèves ou de marches se heurtent à la prudence, à la méfiance et à la force d’inertie des montagnards. D’autant que les chefs clandestins du mouvement n’ont pas réussi à garder longtemps l’anonymat et qu’ils ont dévoilé leurs liens secrets avec les appareils d' »Etat ».

La capacité de nuisance des « radicaux » ainsi d’ailleurs que des « dialoguistes » est dans leurs moyens financiers colossaux. Des centaines de permanents locaux, nommés chefs de quartiers, d’îlots et de villages, s’ajoutent au maillage étroit de la Kabylie par leurs agents. Ils déversent des sommes énormes pour entraîner des bandes de jeunes – otages de l’extrême pauvreté – à l’émeute, à la pyromanie, au brigandage et à la violence. Ils disposent de parcs de véhicules de toutes sortes, et ne se gênent pas pour réquisitionner par la contrainte, camions et surtout tracteurs pour casser à grande échelle. En outre ils entretiennent sans arrêt, des campagnes de propagande, de rumeurs, de manipulations et d’agitations psychologiques, grâce à leurs énormes moyens d’impression et de communication.

Le plus inquiétant est que les Arouch ne cachent plus leurs attaches avec les généraux. Le samedi 23 mars, sous prétexte de dialoguer, leurs chefs ont rencontré longuement deux généraux : Touati, qui avait géré l’Etat de siège en octobre 1988, aujourd’hui conseiller à la présidence et à la défense, et Saïd Bey, qui fut chef de la 1ère Région militaire de Blida lors des massacres de la Mitidja et qui est aujourd’hui à la tête de la 5ème Région de Constantine. Entre Alger et Constantine semble donc s’esquisser l’étau qui pourrait le cas échéant perpétrer un complot contre le cœur de notre pays, qui serait de loin plus dévastateur que la terreur coloniale hystérique de Mai 1945 .

Sans tomber dans les déductions hâtives ou les a-prioris idéologiques, ne peut­on pas s’interroger sur les méthodes singulières dont les dirigeants du parti, des dizaines de cadres fédéraux et locaux et des centaines de militants base, ont été ciblés, arrêtés voire enlevés, puis interrogés et surtout soigneusement listés, à la suite de la manifestation interdite du 14 mars dernier ? N’y ­a-t-il pas là des signes précurseurs d’une mesure préliminaire destinée, en cas d’opération policière ou meurtrière, à détruire l’encadrement démocratique expérimentée de la Kabylie ( à l’exemple des démocrates Hutus, portés sur les listes noires des miliciens, et dont les dictateurs rwandais se sont débarrassés dans la foulée de leur entreprise génocidaire contre les Tutsis ).

Que conclure, sinon que le devoir de responsabilités impose – sans tomber systématiquement dans le catastrophisme – d’envisager les pires scénarii. En espérant que l’annonce d’un péril plausible suscitera les sursauts internationaux capables de le désamorcer à temps. Sursauts que l’historien Toynbee a dénommé les « réflexes d’œdipe », et dont nous espérons qu’ils contribueront à mettre fin à cette sale guerre infligée à la nation algérienne et qui, depuis 10 ans est exclue du champ politique et médiatique international .

Hocine Aït-Ahmed

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Hocine Aït-Ahmed
Note historique sur les  » Arch-Arouch  »
26 mars 2002

Le système tribal fondé sur une parenté ethnique réelle ou mythique existe toujours dans les zones rurales des pays en voie de développement.

L’effondrement, aux alentours du 15ème siècle, des trois principales dynasties maghrébines a abouti à un démembrement en de multiples royaumes. L’unification administrative réalisée sous leur bannière s’est brisée pour laisser place à l'(ré)émergence des tribus. Celles-ci, libérées de toute arbitrage imposé par une  » autorité centrale  » tombèrent dans des cycles de guerres inter-tribales.

La Kabylie fait exception dans son organisation de type communautaire mais dont l’unité est le village. Le Professeur Duverger donne trois exemples de cité – républiques : l’Agora hellénique, les Landsgemeinde ( demi-cantons helvétiques ) et la Djamaa kabyle. Le vote des lois en présence de l’ensemble des villageois, les traditions de débats publiques lié au principe de rès publica. Le conseil du village kabyle est désigné par consensus, pour une courte période ( au moins une année ) il est assisté de représentants des différentes parties du village au sein de Tajmaât, l’instance collégiale du village ( dont certains sont plus collégiaux que les autres pour des raisons sociales ou économiques, presque partout et toujours ). Le pus souvent les villages se fédèrent à d’autres villages, pour constituer des douars.

Sans vouloir idéaliser l’Agora, les landsgemeinde et les djamâa Kabyles comme des modèles de démocratie, puisque les femmes et les étrangers, notamment, étaient exclus du débat et des droits attachés à la citoyenneté antique. Ces franchises seront, du reste, finalement acquises partiellement par les femmes. Toutefois, la cité Kabyle engage son honneur à protéger la vie et les biens des étrangers ou exilés qui se mettent sous la protection de Tadjmaât.

Pendant des siècles l’Empire romain s’était vu obligé de traiter avec le « Conseil de la Confédération Quinquegentienne  » englobant les 5 plus grandes vallées des 2 versants du Djurdjura. Des siècles plus tard, pour sauvegarder leurs institutions ancestrales contre les velléités centralisatrices des dynasties maghrébines, les kabyles ont pris l’initiative d’arabiser les noms de leurs instances villageoises. C’est ainsi que le Gouram ( le sage ) chef du village s’appelle l’Amin, l’un des surnoms du prophètes qui signifie intègre et digne de confiance. De même que le conseil du village a pris le nom de Tadjmaât ( la djemâa en arabe ), qui veut dire communauté. Même les autres membres de Tadjmâat, prennent l’appellation arabe de Tamen ( plur. Touman ), celui ou ceux qui se portent garant de la gestion de l’Amine.

Les villages et douars ont également fait échec aux tentatives du pouvoir ottoman d’Alger qui, dès le 16e siècle sur les ruines des dynasties maghrébines, s’étaient acharnés à briser ce cadre d’organisation en tentant de ressusciter le système et les conflits tribaux.

En Algérie le phénomène tribal avait été maintenu par la colonisation. Il avait d’abord été géré par  » les Bureaux Arabes  » mis en place pendant la longue conquête militaire pour mieux contrôler les régions amazighophones plus difficiles à soumettre.  » Les Affaires indigènes » désignent à leurs têtes des caids, des aghas et Bachaghas, dénominations et fonctions calquées sur le modèle  » ottoman « . Elles ont pris en compte la spécificité de la Kabylie en nommant des caids à la tête des villages regroupés en douars.
Les prédispositions du village kabyle à devenir des municipalités avaient probablement incité le ministre de l’intérieur socialiste Depreux en visite en Kabylie, en automne 1945, après les grandes répressions de Mai 1945 à ériger, à titre d’expérience, le statut de quelques villages ou douars de Kabylie en communes de  » pleine exercice ». Par opposition aux communes indigènes appelées pudiquement  » mixtes « , dirigées par des potentats – administrateurs. A noter que les Djemâas kabyles ont presque toujours réussi à doubler les institutions administratives coloniales. C’est elles qui désignent des comités Ad Hoc appelés aussi Djamâa, pour régler des litiges intérieurs, réconcilier des villages d’un même douar. Elles parvenaient même à court-circuiter les méandres de la justice coloniale, en réglant de graves crises entre douars de différentes vallées dont les enjeux pouvaient porter sur des questions de souveraineté territoriale ou des dettes d’honneur par exemple.

Les Assemblées communales instituées après l’indépendance avaient une existence fictive et inopérante dans l’ensemble du pays. Leur fonctionnement était faussé par les truquages électoraux, par la primauté du parti unique, l’intrusion généralisée de réseaux mafieux, et la tutelle draconienne et corruptrice des préfets. Le vide politique consécutif à l’extinction des libertés d’expression et d’organisation autonomes, a certes rabattu l’opinion vers les mosquées, mais c’est le système ârouch qui, dans les Constantinois récupérera la scène politicarde, surtout électorale au bénéfice des officiers et autres dignitaires de la Nomenclatura. En Oranie et dans le Sud algérien cette prééminence allait plutôt aux confréries religieuses, en bulletins de vote ou en défilés carnavalesques de soutien aux potentats du coin.

En Kabylie, ni les ârouch ni les confréries religieuses, n’avaient fait leur apparition pendant les élections municipales de 1997. Jamais élections algériennes, même à l’époque coloniale, n’avaient été si ouvertement et brutalement falsifiées, par des commandos fascistes de l’armée, de la police et des milices. Les wilayas de Kabylie ont échappé aux coups de force hystériques grâce a leur contexte sociologico – stratégique. L’habitat n’est pas atomisé comme dans la plupart des campagnes algériennes. Villages et douars formés par des traditions publiques, disons pré-civiques, jaloux de leur souveraineté, et averties contre les techniques de la fraude ont su imposer leur contrôle.
Une grosse épreuve de falsification de la part du pouvoir aurait provoqué des torrents de révolte que le FFS aurait eu du mal à calmer.

Bien sûr, la fraude n’a pas manqué au niveau des listes électorales revues et corrigées par les agents de la DRS nommés à la tête des mairies. Le FFS à remporté 75 pour cent de l’ensemble des APC et des APW ( Conseils de Wilayas ). A Tizi-Ouzou, sur les 67 APC, le FFS en a remporté 48 plus l’APW. A Bejaia, il dirige 36 APC sur 52 et il gère l’APW de Bejaïa. La gestion transparente de ces municipalités en présence des citoyens et citoyennes a permis un dialogue permanent avec eux. Ces derniers savent le refus des autorités de financer les projets économiques et culturels des APC / FFS. Quoiqu’il en soit, les délibérations des ces communes se font en présence de la population; la distribution des logements sociaux se fait sous leur contrôle, recourant notamment au tirage au sort, mais toujours au profit exclusif des familles en détresse. Cette expérience de gestion détonne, évidemment, avec les pratiques mafieuses qui, ailleurs, constituent la règle et provoquent chaque jour des émeutes. Dans d’autres régions du pays.

Le pouvoir local FFS gène, par son caractère exemplaire; cependant, il ne deviendra un  » casus Belli « , que lorsque le Livre Noir confectionné par nos différents élus locaux et wilayaux publia les noms d’officiers et autres comparses civils, qui avaient fait main basse sur les biens communaux tout en s’adonnant aux spéculations foncières. C’est alors que commença en Kabylie la gestation du futur phénomène ârouch : déjà, le serpent était dans l’œuf : les agents de la police politique, les mafieux nommément désignés par le Livre Noir, les chefs des milices, les officiers de gendarmerie privés de leurs bons d’essence gratuits et autres plus grosses faveurs offerts par les APC de papa, se mirent, alors à multiplier rencontres clandestines harcèlement des commerçants et provocations des citoyens.

Hocine Aït-Ahmed