Un Festival mondial de la jeunesse en trompe-l’oeil

Un Festival mondial de la jeunesse en trompe-l’œil

Le pouvoir n’a pas lésiné pour donner à l’Algérie une image de normalité

Par José Garçon, Libération, 9 août 2001

«Ce pouvoir qui se nourrit de mensonges et veut faire croire, derrière la répression et la fuite en avant, à une Algérie virtuelle.»
L’éditorialiste du «Matin»

Il aura fallu transformer Alger en forteresse pour que la révolte qui gronde dans la société ne vienne pas perturber l’inauguration du XVe Festival mondial de la jeunesse. Pour le président Bouteflika, qui n’en finit pas de lorgner vers les années 70, la tenue à Alger d’une grand-messe née de la guerre froide et de ce qu’on appelait le camp socialiste et l’anti-impérialisme devait donner au monde entier l’image d’une Algérie revenue à la «normalité» après avoir «vaincu le terrorisme». Une occasion aussi de redorer le blason d’une poignée de généraux assumant la réalité du pouvoir depuis quatre décennies, mais redoutant des poursuites internationales dix ans après le début d’une «sale guerre» qui continue à faire des victimes. Rien n’aura donc été négligé pour camoufler, à coup de peinture, de rénovation bâclée et d’installations électriques, la misère et la décrépitude d’une capitale où les rares espaces verts partent mystérieusement en fumée les uns après les autres au désespoir des Algérois.

Logiques opposées. Pour les jeunes Algériens, la tenue même de ce qu’ils appellent «un carnaval» est indécente au moment où certains d’entre eux peuvent encore mourir après avoir été grièvement blessés au cours de la répression des émeutes qui ont secoué la Kabylie et d’autres régions du pays. Coordination des tribus et villages de Kabylie, associations de jeunes, comme RAJ, ont donc utilisé le Festival pour poursuivre la mobilisation et accentuer la pression sur le pouvoir. Et pour dénoncer devant des délégations étrangères, venues finalement bien moins nombreuses que l’espérait Alger, «le vrai visage d’un pouvoir qui dépense 380 millions de dinars (5,79 millions d’euros) pour faire croire que le pays n’est pas en crise, alors qu’on s’y enfonce chaque jour davantage». Ces deux logiques opposées ne pouvaient évidemment cohabiter, les autorités étant obsédées par la crainte de voir leur fête tourner à la Bérézina. Cela aurait été le cas si des centaines de milliers de manifestants avaient défilé dans la capitale aux cris de «pouvoir assassin», comme cela a été le cas à deux reprises avant que toute marche y soit interdite.

Dans ce contexte, l’ouverture même du festival sans incident majeur, du moins jusqu’à hier soir, constitue un succès pour Alger, le doute ayant plané presque jusqu’au bout sur un boycott international massif. Mais pour cela, les militaires auront dû boucler pendant plus de vingt-quatre heures la capitale et toute une région. Et interdire… un concert de Gnawa Diffusion prévu par les jeunes de Raj. Ils auront ainsi montré, une fois de plus, à quel point ils sont coupés de leur rue. «Il y a, remarque un diplomate algérien, quelque chose de dément à célébrer la jeunesse et la liberté dans une capitale sous haute surveillance policière, quand toute la jeunesse du pays est sacrifiée, sans avenir et qu’elle descend depuis quatre mois dans la rue au moindre prétexte pour crier sa révolte face aux restrictions draconiennes des libertés et à la hogra», ce mépris teinté d’injustice dans lequel le pouvoir tient la population.

Fuite en avant. L’éditorialiste du quotidien Le Matin ne dit pas autre chose. Evoquant ce «festival îlot dans un pays exsangue», il dénonce «ce pouvoir qui se nourrit de mensonges et veut faire croire, derrière la répression et la fuite en avant à une Algérie virtuelle […] et à la fausse grandeur d’un pays éclipsé de la scène des vivants». Face à cela, la mobilisation d’une partie importante de la société pour tenter une contre-manifestation pacifique aura rappelé qu’il existe dans le pays une revendication démocratique que les autorités n’ont de cesse d’étouffer.

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