De nombreuses arrestations à Alger
50 000 marcheurs, venant pour la plupart de Tizi Ouzou, Béjaïa et Bouira, ont été bloqués, hier, à Naciria. Plus de 27 blessés ont été enregistrés lors des affrontements qui les ont opposés aux gendarmes.
Environ 1000 personnes ont réussi à se faufiler, hier, à travers les barrages de police et de gendarmerie installés un peu partout sur les routes de Tizi Ouzou, Béjaïa, Bouira et dans les quartiers dAlger, pour se rendre au stade du 5 Juillet, lieu de départ de la marche des archs vers la présidence de la République.
Si les marcheurs nont pas pu aller plus loin que Chevalley, cest parce quun service de sécurité des plus sophistiqués a réussi, lui aussi, à quadriller le complexe olympique et à en contrôler tous les accès. Daprès les marcheurs rencontrés sur les lieux, le cordon de sécurité a commencé à prendre effet à partir de 3 h du matin. «A 6 h, tous les accès étaient interdits», dira un délégué du village de Aït Djellil, dans la daira dAmizour, présent à Alger avec 10 autres délégués depuis deux jours. Résultat : 180 arrestations selon la coordination des archs de Tizi Ouzou. Dautres sources parlent de 150 arrestations, tandis que dautres encore ne citent quune centaines de cas. Cest dire toute la confusion observée sur place à la suite de lintervention musclée des services de sécurité. Femmes, hommes et vieillards vont, en effet, essuyer bousculades et insultes. A 14 h 30, les manifestants, harcelés pour quitter les lieux, ne savaient toujours pas ce quil était advenu de certains de leurs délégués.
Des informations recueillies auprès des manifestants font, en effet, état de larrestation de lensemble des membres du comité daccueil et de la Coordination présents à Alger depuis quelques jours déjà. «On nous a frappés sans pitié et sans distinction», sécriera un manifestant. Un constat qui sera repris par lensemble des personnalités politiques rencontrées sur les lieux, dont des députés FFS et RCD affairés à recueillir les noms des personnes arrêtées.
Le mouvement associatif sera, lui aussi, présent en force à ce rassemblement, avec notamment M. Ould Ali Hadi, pour le MCB et Mme Zinou, pour le Comité national contre loubli et la trahison. Le premier ne manquera pas de dénoncer «la répression sauvage dont été victimes les marcheurs», et de sélever «contre linterdiction de circuler qui frappe les populations». Et dajouter que face à un tel comportement, la mobilisation nen a été que plus renforcée : «Elle est intacte, voyez, les gens sont arrivés à forcer les barrages.» Pour le cas des personnes arrêtées, M. Ould Ali plaidera pour un point dinformation avec les responsables des archs autour de la marche et des détenus dont il faudra établir la liste avant dentamer les démarches nécessaires auprès des services de sécurité pour obtenir leur libération. Ce sera aussi loccasion de décider de la suite à donner à cette action. Entre-temps, un policier promettra à un représentant de la Coordination interwilayas que les personnes embarquées seront relâchées : «Voyons, cela ne fait pas 24 heures quils sont au commissariat, ce sera une simple formalité». Un manifestant ne manquera pas de réitérer sa volonté de sintroduire à lintérieur du stade, quand bien même laccès sera des plus sévères (on apprend en effet que seules les personnes munies dune invitation seront autorisées à assister à la cérémonie douverture qui aura lieu vers 20 h). «Pas question pour nous de retourner en Kabylie dans ces conditions», clamera-t-il.
Pour Mme Zinou, les policiers se sont tout simplement comportés en agresseurs. «Les personnes ciblées sont les jeunes, mais pour nous, ce comportement ne date pas daujourdhui, puisque nous avons vu cela un certain 14 juin et un certain 7 juillet à Staouéli.» A propos du Festival international de la jeunesse et de létudiant, elle fera remarquer quon ne peut pas organiser un festival de la jeunesse quand cette même jeunesse est emprisonnée. Elle conclura en dénonçant la «démocratie de façade», qui veut que lAlgérie soit en fête un certain 8 août à Alger : «La jeunesse est dans les commissariats !». A titre de rappel, Mme Zinou dira avoir interpellé, à loccasion de ses passages dans lHexagone, des associations françaises quant à leur participation à ce festival. «Seulement voilà, non seulement les Italiens font la sourde oreille à la requête des archs, mais ils se permettent aussi de nous donner des leçons de morale…» Les associations de femmes, dont les Femmes dAlger, Femmes action solidarité, Tharwa nFatma nSummer et AITDF dénonceront la tenue de «ce festival et diront que largent quil va coûter au peuple algérien pourrait bien servir à construire des écoles et autres établissements publics. «Le fils du contribuable nen profitera pas, cest sûr.» A loccasion, elle dit aussi soutenir le mouvement des archs dans sa plate-forme de Illoula, mais quelle exige dy joindre les points relatifs à labrogation du code de la famille et du Code pénal. «Nous sommes en train de revivre lère de Boumediène… avec un plus de violence», sécrieront-elles ensemble. Un appel sur le téléphone mobile ne manquera de faire état daccrochages à Chorfa, dans la Vallée de la Soummam, à Tidjelabine et à Naciria, occasionnant 4 blessés graves… Par ailleurs, le comité populaire de Béjaia dénonce dans une déclaration rendue publique hier «le déploiement répressif mobilisé pour protéger la vitrine dun régime qui continue dinterdire lexpressioin de la jeunesse algérienne. Un régime qui repeint quelques façades, mais qui ignore nos revendications identitaires, sociales, démocratiques élémentaires». Le même comité réitère son rejet de ce festival qui «boycotte la jeunesse algérienne et qui méprise les souffrances de notre peuple». Le comité relance son appel pour lorganisation dune marche nationale sur Alger contre la hogra et la misère.
Par Djamel Amrouche
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«Sils avancent, chargez»
Comme lors de la marche du 5 juillet, dimpressionnants barrages des brigades antiémeutes ont été déployés hier sur lautoroute est. Les manifestants venus de Kabylie ont été empêchés de gagner Alger et ont dû rebrousser chemin après accrocs et échauffourées, notamment à Naciria. La circulation était dailleurs faible durant toute la journée, le syndrome du 14 juin étant toujours présents dans les esprits.
En état dalerte, les forces de sécurité ont ceinturé la capitale et bloqué toutes les portes daccès. Vérification didentité, fouilles, tous les véhicules étaient passés au crible dans les deux sens de l’autoroute-est. Cela a donné lieu, dans certains endroits, à de longs embouteillages. A lentrée de Tidjelabine, à près de 45 km de la capitale, un barrage des brigades antiémeutes de la gendarmerie bloquait quelques centaines de manifestants qui avaient pu contourner le premier barrage, installé à Naciria. Près de vingt véhicules (camions, voitures, cars, blindés) était rangés sur le bord de la route. Matraques, bombes lacrymogène accrochées au ceinturon, un chien tenu en laisse : les gendarmes étaient prêts à charger à tout moment. En face, les marcheurs, encadrés par des délégués, scandaient des slogans désormais célèbres («Ulach smah ulach», «Pouvoir assassin», «Tamazight à lécole»,…), et proféraient parfois des insultes à lencontre de leurs anges gardiens. Sous un soleil de plomb, ils ont improvisé un sit-in, guettant la moindre nouvelle de leurs camarades bloqués à Naciria ou ceux retenus à Alger. Certains dentre eux ont essayé de forcer le barrage mais les encadreurs ont dû les rappeler à lordre. A laide de sa radio, lun des officiers écoutait les ordres : «Restez calmes. Maintenez la distance vis-à-vis deux, sils sentêtent à avancer, chargez.» Au comble du désespoir, des manifestants balançaient des pierres aux gendarmes qui sen protégeaient avec leurs boucliers. Quelques heures auparavant, ces derniers avaient lancé quelques bombes lacrymogènes pour repousser lassaut.
Les choses sétaient plutôt tassées depuis, en dehors de quelques accrocs verbaux. Manifestants et brigades anti-émeutes ont retrouvé le sourire. Vers 14 h 00, les premiers ont décidé dabdiquer, promettant de revenir; les gendarmes ont levé le barrage tout en continuant dassurer le contrôle des lieux.
Par Lyes Bendaoud