Des peines de prison ferme prononcées
Procès des étudiants de Bouzaréah
Des peines de prison ferme prononcées
Mohamed Mehdi, Le Quotidien d’Oran, 27 mai 2002
Deux ans d’emprisonnement ferme pour six étudiants, 8 mois de prison ferme pour onze autres, 2 relaxes, et une peine de 6 mois avec sursis pour les deux militants des droits de l’Homme. Le verdict a jeté un froid terrible dans la salle d’audience. Peu après, des parents des étudiants condamnés éclatent en sanglots, d’autres sombrent dans une crise de nerfs avant d’être évacués à l’extérieur. Dehors, des personnes venues pour soutenir les étudiants crient « pouvoir assassin ».
La première réaction recueillie sur place a été celle du président de la LADDH. Maître Ali-Yahia Abdennour dira: » C’est un procès politique. Par la sévérité du verdict, le pouvoir a voulu délivrer un message: celui du verrouillage qui atteindra désormais tous les segments de la société ». Les quelques élus du FFS, du RCD ainsi que les militants du PST, venus nombreux, diront de même en insistant « sur la valeur politique dangereuse » du procès.
Pourtant, rien ne présageait un tel verdict, en dépit de la sévérité du réquisitoire du ministère public qui a requis 4 ans de prison ferme. L’audience a commencé à 9 heures 50, mais à cause de l’exiguïté de la salle, le juge a ordonné d’appeler les étudiants accusés par groupes de 10, puis de 9. Les deux militants de la LADDH, eux, ont été appelés en dernier à la barre.
Le premier a avoir été interrogé est Larabi Samir. « Vous étiez parmi le groupe d’étudiants le jour des évènements ? », interroge le juge. « J’étais à la fac parmi plusieurs milliers d’étudiants, ce n’était pas un groupe », répond Larabi. Questionné sur la nature des banderoles arborées par les étudiants contestataires, Larabi explique calmement que leur contenu avait une relation directe avec la situation de l’université algérienne, comme celle qui s’exprime « contre la privatisation du savoir et de l’université » et contre la hogra. Après lui, les autres étudiants donneront la même version, à quelques différences près. Tous ont clamé leur innocence par rapport aux actes qui leur sont reprochés. Plusieurs ont même raconté comment ils ont tout fait pour ramener le calme au sein des centaines d’étudiants qui ont chahuté la visite de Bouteflika au campus de Bouzaréah.
Dans la deuxième partie du procès, le représentant du ministère public a axé son réquisitoire sur la « préméditation et la préparation des actions ». « Vous étiez informés qu’une importante visite officielle allait avoir lieu le 18 mai ? » , « vous aviez préparé à l’avance les banderoles ? », « quelles sont les insultes que vous avez proférées devant le président de la République ? », n’a cessé d’interroger le procureur. « Comment saviez-vous que le président allait venir ? », s’adresse-t-il à l’un d’eux. « Je ne le savais pas », répond ce dernier. « C’est en franchissant le seuil de l’université que je l’ai appris en découvrant les banderoles de « bienvenue au chef de l’Etat ». A la fin de son réquisitoire, le ministère public a réclamé 4 années de réclusion ferme pour six prévenus et 3 années fermes pour le reste du groupe.
Dans leurs plaidoiries, les avocats de la défense ont insisté sur le fait « qu’aucun parmi les prévenus dans cette affaire n’a été arrêté au moment des faits. Pas même ceux qui ont été interpellés le 18 mai. Plusieurs étudiants ont été arrêtés le lendemain dans un café, dans un bus de transport universitaire ou dans une résidence universitaire. Il se trouve même parmi eux un artiste-dessinateur, Bendaoud Amine, qui a été arrêté le 19 mai à Bouzaréah, « à l’extérieur de l’université », expliqueront-ils. Ce point fera dire à certains d’entre eux que les 18 étudiants et l’artiste-dessinateur ont été arrêtés uniquement par le fait qu’ils sont originaires de Kabylie. « Imoun Abdelkrim n’était même pas à Alger au moment des faits. En séjour dans son village, il est rentré le 18 mai en fin d’après-midi. Il a été arrêté le lendemain à 8 heures du matin », ajoutera un autre avocat.
Le collectif des avocats a rejeté en bloc les accusations contre ses mandants. En absence de preuves matérielles tangibles, ils ont réclamé l’innocence pour les 19 accusés.
L’audience suivante a été consacré au deuxième dossier de cette affaire. Les deux militants des droits de l’Homme, Khelil Abderrahmane et Mourad Sid-Ahmed, arrêtés le 19 mai dans un café à Bouzaréah, sont accusés, dans le PV de police, d’avoir eu l’intentions d’inciter à l’émeute par le simple fait de s’être retrouvés à Bouzaréah au lendemain des évènements. Cette accusation est balayée par l’ensemble des avocats qui ont plaidé dans cette affaire. Me Bouchachi, en raison de l’absence de la moindre preuve, discours, tract ou tout autre document prouvant la volonté d’appeler à des émeutes, réclame l’innocence pour ses mandants.
Les plaidoiries se termineront vers 15 heures. Vers 19 heures, le verdit est tombé.