La colère des sinistrés de Boumerdès

Ils dénoncent les mauvaises conditions de vie dans les chalets

La colère des sinistrés de Boumerdès

El Watan, 28 mai 2006

Les émeutes qui ont secoué la ville de Thenia, ce week-end, ont eu un effet de contagion : l’écho est venu de Bordj Menaïel, à une quinzaine de kilomètres à l’Est. Quelque 200 occupants de chalets, appuyés par d’autres citoyens et quelques travailleurs de l’APC qui se reconnaissent dans leurs revendications, sont venus se rassembler devant le siège de l’Assemblée.

Les manifestants, qui se plaignent du « retard dans la distribution des logements pour les sinistrés » ainsi que de « mauvaises conditions de vie dans les sites de chalets », réclament le départ du P/APC. Le rassemblement a duré près d’une heure, et en se séparant, les manifestants ont exigé des « solutions dans les meilleurs délais à tous les problèmes soulevés ». Faute de quoi « nous reviendrons à la charge pour ne jamais céder sur le départ de toute l’équipe aux commandes des affaires de la collectivité », menacent-ils. Les sinistrés du séisme de mai 2003 de la commune de Bordj Menaïel trouvent que « la résidence dans les chalets a trop duré ». « Nous sommes des familles nombreuses entassées dans des espaces réduits. Parfois nous sommes 2 ménages dans un seul chalet. Nous voulons en finir avec tout cela le plus vite possible », nous a-t-on dit. Thenia, en revanche, ne pouvait pas se rétablir totalement hier du choc des émeutes du week-end : les traces de la révolte étaient encore visibles jusqu’en fin de journée et le mal n’était que plus grand. Suie de pneus brûlés, troncs d’arbres et pierres ayant servi de barricades des rues attestaient qu’un vent de colère a soufflé par là. Les éléments des brigades antiémeutes armés de matraques, de bombes lacrymogène et de boucliers occupaient toujours les points stratégiques de la ville. On a eu peur, très peur, que les jeunes en colère fassent plus de dégâts. Mais ce qui témoignait que les choses n’étaient pas encore arrangées, c’est indéniablement la présentation devant le magistrat instructeur de 19 prévenus pour répondre des chefs d’inculpation de destruction de biens d’autrui, destruction de biens de l’Etat, incendie volontaire, atteinte à corps constitué et atteinte à l’ordre public. Jusqu’en fin de journée, ils défilaient encore devant le juge en charge de l’instruction de leur cas. Pendant tout le temps qu’ils passeront au tribunal, une cinquantaine de citoyens observent un sit-in devant l’institution judiciaire pour protester contre leur arrestation. « Beaucoup ont été arrêtés dans la foulée, car les éléments des forces anti-émeutes ont interpellé sans discernement. Il y en a parmi ceux qui sont à l’intérieur du tribunal des citoyens qui étaient juste devant leur maison ou de passage dans la rue. C’est nous qui avons plutôt subi la répression puisque beaucoup de jeunes ont été roués de coups. J’ai vu devant moi un enfant atteint au visage par une bombe lacrymogène, qui a failli le défigurer et d’autres bombes sont tombées jusque dans l’enceinte de certaines habitations », témoignent des citoyens venus se solidariser avec les leurs. Au cours de la discussion, on revient sur les « véritables cause du soulèvement ». « Le match de foot n’a été qu’une étincelle. Le malaise est trop grand à Thenia puisqu’on y vit toutes sortes de problèmes. La reconstruction qui devait se faire après le séisme n’est pas entamée à ce jour, les chalets sont distribués d’une manière entachée d’irrégularités, le chômage lamine la population et j’en passe », dira un jeune. Les manifestants évoquent aussi le « retard enregistré dans la reconstruction de l’hôpital de la ville » qui directement ou indirectement générerait de l’emploi pour une bonne partie de ses habitants. « On parle même de le délocaliser, le déplacer à Boumerdès », tonne un autre. D’autres citoyens, de tout âge, interviennent pour soulever leurs problèmes. Ils en veulent surtout aux élus et aux responsables locaux qui, à leurs yeux, « ne font rien pour venir en aide aux démunis ». « Tout va aux puissants, à ceux qui sont bien appuyés. » Certains dénoncent surtout l’« entremise de l’imam de la mosquée de la ville qui lors de la prière du vendredi s’est mêlé de la manipulation pour fustiger les jeunes mécontents ». « Pourquoi ne condamne-t-il pas les multiples irrégularités qui viennent de la part de certains responsables ? », lance-t-on. En tout cas, la crise couvait à Thenia « depuis longtemps déjà » soutiennent nos interlocuteurs et le pire est à venir si rien de sérieux n’est fait, prédit-on. « Pourquoi veut-on nous envoyer dans d’autres communes au lieu de nous construire des habitations, ici, dans notre ville. Dans toutes les autres communes s’érigent de nouvelles cités après le séisme, sauf à Thenia ! », ajoute-ton.

Ces logements qui ne viennent pas !

En réponse aux doléances de ses concitoyens, le P/APC répond : « Nous avons fait tout ce qu’une Assemblée élue peut faire pour régler le maximum de nos problèmes. Je ne veux pas, moi-même, voir la population se débattre dans des difficultés. Mais si l’on me pose le problème du chômage, je réponds tout simplement que la solution n’est malheureusement pas à mon niveau. Combien de postes peut-on créer à l’APC ? Ceci relève de la politique de l’emploi national. » Le premier magistrat de la commune qui « espère une mesure d’apaisement de la part de la justice pour les 19 accusés », déclare que le relogement des sinistrés est « un véritable problème pour la commune ». Quant à la distribution « douteuse » de chalets dont on parle, le maire dit défier toute personne qui lui révélera un cas suspect sur les 300 chalets affectés par l’APC. Sans bien sûr se porter garant de la distribution effectuée pendant les premiers temps par la daïra. « Nous avons 2000 demandes pour quelque 4 ou 5 chalets que libèrent leurs occupants après leur relogement. Que faire ? », ajoute-t-il. En définitif, la solution réside dans le lancement le plus vite possible des 252 logement prévus à Thenia dans le cadre de la reconstruction de la zone sinistrée. Au sujet de l’hôpital, le directeur de la santé, M. Naâmani, nous dira que « sa reconstruction a été inscrite au lendemain du séisme même et qu’une enveloppe de 100 milliards a déjà été débloquée à cet effet ». Il ajoutera pour être plus précis : « Les études sont lancées et une entreprise étrangère a été choisie pour mener la reconstruction. Mais comme c’est un projet important, le dossier est au niveau de la commission nationale des marchés, qui tient à s’assurer que l’entreprise sélectionnée est en mesure de la tâche, et le chantier sera lancé cette année. Il nous a fallu du temps pour convaincre les bailleurs de fonds, car cet hôpital sera reconstruit avec l’apport du Fonds saoudien pour le développement. Nous avons, quant à nous, fait tout notre possible pour relancer une bonne partie des activités de cette importante structure de santé. Il ne s’agit donc pas de délocaliser l’hôpital de Thenia, celui de Boumerdès étant un projet à part ». « Afin d’aller vers un règlement définitif de la crise, le wali a demandé aux citoyens de déléguer des représentants avec qui il pourra s’entretenir de tous leurs problèmes afin de leur trouver des solutions le plus vite possible », nous a confié le P/APC. Hier en fin de journée, le juge instructeur entendait encore les 19 accusés et à Thenia on était à l’affût de leurs nouvelles.

Kamel Omar