L’Algérie, vers un rôle plus important sur le marché gazier

Avec ses GME vers l’Europe

L’Algérie, vers un rôle plus important sur le marché gazier

Par Mustapha K. Faïd *, La Tribune, 24 octobre 2002

Cet article se veut une contribution à la réflexion relative à l’évolution du marché gazier, notamment européen. Il se compose de trois parties : I- Le gaz algérien, stratégies et approches. II- Perspectives du marché gazier européen et atouts du gaz algérien. III- Le projet du gazoduc Nigeria-Algérie.

I- Le gaz algérien, stratégies et approches

Disposant de ressources importantes et d’infrastructures d’une fiabilité prouvée, l’Algérie exporte environ 60 milliards m3 (Bcm) de gaz par an. C’est un quasi-doublement des quantités exportées, par gazoducs et sous forme liquéfiée, par rapport à 1994. Cette expansion des exportations n’a pas été sans contraintes, d’ordre financier bien sûr, mais également d’ordre organisationnel, notamment dans la mise en œuvre des programmes, que ce soit ceux relatifs à la rénovation des usines de liquéfaction ou ceux ayant trait à la mise en place de nouvelles capacités de production et de transport.L’effort d’investissement relatif à l’augmentation des capacités d’exportation de gaz, de plus de 4 milliards de dollars, a été d’autant plus méritoire, il faut le souligner, qu’il a été réalisé dans un contexte politique et économique pour le moins «ardu». Qui plus est, aucune interruption des exportations n’a été enregistrée même aux moments les plus durs de la situation sécuritaire. Cet objectif, affiché voilà plus de 10 ans, est maintenant atteint, voire dépassé. «L’appétit vient en mangeant», et le challenge que se donne Sonatrach est d’un niveau supérieur au regard des différentes actions menées tous azimuts, pour augmenter les ventes de gaz : développement de champs, nouvelles infrastructures de transport, mise en place de partenariats, prises de participation dans l’aval, etc.M. Ali Hached, vice-président, a déclaré lors du dernier sommet des dirigeants de l’industrie gazière : «Notre potentiel gazier constamment révisé à la hausse, conjugué aux perspectives fort prometteuses de croissance de la demande en Europe conforte notre objectif de porter nos exportations annuelles de gaz naturel à 85 Gm3 à l’horizon 2010.» Ce développement ne se fait pas sans bouleversements en matière d’accompagnement et d’approche commerciale.Sur le plan de l’option stratégique, il est clair que trois objectifs sont visés :1- l’accroissement de la part du gaz algérien sur ses marchés traditionnels les plus proches en Europe du Sud. Cette augmentation, qui répondrait aux besoins en forte croissance de cette région notamment pour la production d’électricité, serait effectuée, essentiellement par gazoducs, et ce, pour plusieurs raisons :- une grande partie (10 à 15 Bcm/an) de ce développement serait effectuée au moindre coût, par l’addition de stations de compression sur les ouvrages existants, à l’Est le Transmed Enrico Mattei et à l’Ouest le Gazoduc Maghreb Europe Duran Farell (GME),- le renforcement de la relation avec ces marchés par le biais de nouveaux liens physiques, outre qu’il contribuerait à une plus grande sécurité d’approvisionnement du consommateur européen, valoriserait mieux le gaz puisque le coût de revient serait moindre que dans le cas d’une chaîne GNL. – la réalisation de ces nouveaux gazoducs à l’Est et à l’Ouest, atteignant directement les marchés visés, assurera une plus grande diversification des moyens d’exportation.La capacité d’exportation par gazoducs pourrait être ainsi portée à près de 60 Bcm avant la fin de la présente décennie, soit une augmentation de 80%. 2- Stabilisation des marchés déjà approvisionnés en GNL et diversification autant que faire se peut des débouchés. C’est ainsi que la construction d’une usine de liquéfaction de 4 millions de tonnes par an à Bethioua et l’acquisition de méthaniers de grande capacité sont prévues dans le cadre du projet de développement intégré du champ de Gassi Touil, et dont l’appel d’offres est en cours. Cet appel à une association est une première pour l’Algérie puisque l’on verrait la participation de partenaires au développement d’infrastructures de liquéfaction et éventuellement de transport par canalisation.Parmi les marchés qui pourraient être visés avec cette nouvelle capacité de GNL, il y a la Grande-Bretagne et les Etats-Unis.Le marché britannique, prévu net importateur à partir de 2005-2006, pourrait être atteint :- soit, à travers l’unité de regazéification de Zeebrugge en Belgique et en empruntant le gazoduc Interconnector qui relie l’Europe continentale à l’Angleterre, et dont l’augmentation de la capacité, à 16,5 Bcm, vient d’être décidée ;- soit par l’intermédiaire d’une unité de regazéification qui serait réalisée sur la côte britannique.Le marché des Etats-Unis, quant à lui, dont le potentiel de demande de GNL est très important, serait approvisionné à travers les usines de regazéification existantes et/ou les nombreuses unités en projet actuellement. Tenant compte de la probable fermeture de GL4Z (ex-Camel), la capacité d’exportation de GNL serait, à partir de 2006, de près de 35 Bcm par an. Les capacités d’exportation (gazoducs et liquéfaction) dont disposerait l’Algérie au début de la moitié de la présente décennie seraient donc d’environ 95 Bcm par an, soit une augmentation de plus de 50%.3- Soutien de ce développement par la mise en place d’un partenariat commercial. Le développement envisagé s’accompagne de la volonté de mettre en place un partenariat commercial, attestant d’une «ambition» à moyen et long termes. Il aurait pour finalité de :- s’assurer une partie de la rente disponible en aval,- favoriser les relations à long terme,- considérer une flexibilité réciproque dans les liens commerciaux,- minimiser dans une certaine mesure les effets conjoncturels et l’acuité des contraintes,- connaître les rouages et les conditions du marché.Sur le plan de la démarche développée par l’Algérie ces deux dernières années, on remarquera qu’elle allie deux aspects l’un relatif au «dialogue ou concertation», l’autre ayant trait à l’approche commerciale.Pour ce qui concerne le «dialogue ou concertation», plusieurs forums, conférences, rencontres officielles et/ou informelles, ont été initiés et organisés par le ministère de l’Energie et Sonatrach pour tenter de susciter l’intérêt des partenaires et d’expliciter l’approche de l’Algérie en matière de coopération dans le domaine de l’énergie. Ces rencontres, à l’échelle des sociétés mais également à l’échelle de gouvernements et institutions, ont eu pour résultats quelques accords avec certains partenaires. Elles ont eu en outre le mérite de faire entrevoir une évolution dans la prise en charge des préoccupations et des contraintes des partenaires par la partie algérienne.Cet effort d’ouverture devrait être consacré notamment par la nouvelle loi algérienne sur les hydrocarbures, une fois que celle-ci sera adoptée.Quant à l’aspect commercial, le marché paraît apprécier l’évolution qui est donnée par un début d’implication de Sonatrach dans l’aval.Il semble cependant que des interrogations pour le long terme demeurent. A l’origine de cette incertitude, il y a notamment les préoccupations qui séparent l’Algérie, comme d’autres producteurs de gaz d’ailleurs, et la Commission européenne. Ces préoccupations, quelque peu trop médiatisées par les parties et sûrement non «sans arrière-pensées» de part et d’autre, sont disjointes et répondent à des logiques différentes, avec une échelle de temps distincte.Le différend entre les parties se focalise notamment sur la clause de «destination». Au sein de la Commission, on soutient que l’ouverture du marché, en multipliant les acteurs, favorisera entre autres, la sécurité d’approvisionnement. Faut-il encore que cette ouverture ne se limite pas au seul côté des acheteurs, mais soit également effective du côté des fournisseurs. Or, la dépendance gazière de l’Union européenne vis-à-vis des importations devrait croître, passant de 40% en 1999 à 50% en 2010, voire 70% en 2020. Aussi, la Commission, dans le cadre d’une vision géostratégique de la sécurité d’approvisionnement, tente de réduire autant que possible l’assujettissement de l’Union européenne à l’importation à partir de ses trois fournisseurs traditionnels de gaz naturel (Russie, Algérie et Norvège). D’où la nécessité absolue pour la Commission de rechercher une sorte d’«atomisation» de l’amont avec la participation de «revendeurs» de gaz sur le marché. Pour le producteur, qui est à la recherche de la meilleure valorisation de son gaz, une destination libre signifie qu’il ne bénéficiera plus de toute la rente que lui permet le marché et que la multiplication d’acteurs «intermédiaires» ne rendra que plus forte la pression qui s’exercera sur lui pour une baisse des prix. Cette situation pourrait aller jusqu’à provoquer une «compétition gaz-gaz» d’une même source.Ce sont donc des préoccupations aussi légitimes auxquelles fait face l’Algérie. On remarquera néanmoins que Sonatrach adopte une attitude assez pragmatique, qui est en fonction des opportunités du marché qui lui sont offertes. Nous citerons entre autres :- des ventes de GNL en spot de 2,4 Bcm en 2001,- une joint-venture de commercialisation de GNL avec Gaz de France,- la prise de participation dans le terminal espagnol de réception de GNL de Ferrol,- la prise de participation de 30% dans la société de commercialisation espagnole Cepsa Gas Comercializadora pour vendre du gaz à des clients éligibles, ce qui constitue une première pour l’Algérie,- un partenariat à hauteur de 30% avec la société Cepsa, dans la production d’électricité, avec un approvisionnement en gaz algérien de quatre usines de cogénération d’une capacité de 200 MW en Espagne.«L’évolution de l’environnement gazier nous amène à développer une stratégie dynamique qui nous permet de nous adapter continuellement aux exigences et conditions du marché», a affirmé M. Hached.Qu’en est-il des perspectives du marché européen du gaz et des atouts du gaz algérien ?Ce thème sera traité dans le prochain numéro.

M. K. F.

* Consultant – Président de SPTEC