Hydrocarbures: Pas de comparaison entre lArgentine et lAlgérie
Projet de loi sur les hydrocarbures
Pas de comparaison entre lArgentine et lAlgérie, selon Khelil
Le Quotidien d’Oran, 5 octobre 2002
Le débat est encore ouvert sur le projet de loi relatif aux hydrocarbures. Au moment où le partenaire social le rejette, dans le fond et dans la forme, le ministre de lEnergie et des Mines, Chakib Khelil, fait campagne pour le projet.
Malgré toutes les critiques de la Fédération des pétroliers et la polémique sur la privatisation du secteur et de Sonatrach, le ministre se montre convaincu et rassurant sur son «texte», qui sera soumis prochainement aux débats, au niveau de lAPN.
Pour répondre aux inquiétudes de lUGTA, premier opposant acharné à cette loi et aux réserves du patronat, Chakib Khelil écarte tout parallèle fait entre le cas algérien et celui de lArgentine. Lors dun point de presse, animé au Camp 5 de Sonatrach, à Aïn El-Bya, en marge de sa visite effectuée, jeudi, avec le ministre des PME/PMI à Oran, Khellil sest montré affirmatif : «Je crois quon ma donné plus de crédit que je navais, en me qualifiant de gestionnaire du dossier des hydrocarbures de lArgentine, à lépoque où j étais à la Banque Mondiale. Je tiens à souligner, que la loi sur les hydrocarbures de lArgentine na rien à voir avec la nôtre. Pour ce pays, le gouvernement avait décidé de la privatisation des hydrocarbures. Tandis que, dans notre projet de loi, qui se rapproche de celui du Brésil et de la Norvège, dans le type dorganisation, la souveraineté reste la même. LEtat reste le propriétaire des ressources. Il nest pas possible de promulguer une loi, qui nest pas en adéquation avec la Constitution !». Pour lever toute équivoque sur la question de la privatisation de Sonatrach et du secteur, le ministre explique : «Cest un argument qui disparaît du moment que la loi ne parle pas de privatisation de Sonatrach et que, donc, nous sommes daccord avec le partenaire social sur ces deux questions, qui concernent lemploi et la privatisation. Quant à la question de la privatisation du secteur des hydrocarbures, je tiens à rappeler quil est déjà privatisé». Il sera, cependant, catégorique, en affirmant : «le projet a été soumis au gouvernement, après un travail de trois ans, effectué par un groupe de travail composé des représentants du ministère, de Sonatrach et du ministère des Finances. Le syndicat a été sollicité pour y participer, mais a refusé dy assister pour ne pas cautionner les résultats de ce travail. Le dossier doit être approuvé par lAPN. Cest à cette instance de trancher». Pour le ministre, «lEtat doit remplir sa fonction, qui est celle de définir la politique dans le secteur énergétique des hydrocarbures. Cest lui qui doit promouvoir linvestissement et extraire le maximum de revenus pour en faire bénéficier le pays». Et dajouter : «la nouvelle législation va renforcer lEtat de droit. Cest lagence ALNAFT, qui va jouer le rôle de l Etat. Elle na pas de conflits dintérêts. Elle a pour mission dattirer les investisseurs».
Evoquant le gain attiré, après linstauration dune nouvelle gestion des appels doffres, Chakib Khelil souligne : «avant 2001, on a signé 2 contrats par an dexploration et dexploitation. Depuis 2001, 10 contrats ont été signés, dont celui avec les Chinois, dune valeur de 400 millions de dollars». Ajoutant que «la possibilité est ouverte à tout le monde de venir investir dans le pays, pour le développement économique et laugmentation de la croissance économique, qui est actuellement de 3%». Pour cela, dira-t-il, «il faut des investissements directs en Algérie. Avec tous les projets inscrits, on arrive à un niveau dinvestissement de 5 milliards de dollars. Ce chiffre doit augmenter jusquà 10 milliards de dollars, afin de créer suffisamment demplois et réduire le chômage».
Lautre point abordé, lors de cette conférence de presse, concerne les avantages accordés à Sonatrach dans la nouvelle loi sur les hydrocarbures.
Le ministre insiste pour dire que cette société a la possibilité dinvestir en Algérie et à létranger. La loi oblige Sonatrach à investir dans le gazoduc. Comme elle lui cède un taux de 25 à 30% sur les contrats signés. «Mon ambition est que cette société rapporte au pays autant dargent que possible de lextérieur.
Actuellement, on fait de bonnes rentrées et on compte augmenter notre production».
B. Mokhtaria
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Les contre-arguments des patrons
Dans une prise de position intitulée «Ne pas céder aux pressions étrangères» et rendue publique, jeudi dernier, le Forum des chefs dentreprises (FCE) donne ses raisons pour rejeter, sur le fond, lavant-projet de loi sur les hydrocarbures, qui doit consacrer la libéralisation totale du secteur algérien de lénergie.
Lorientation du projet, qui se fonde sur le postulat dune exploitation maximaliste des ressources, risque, selon les patrons privés, de créer des problèmes dapprovisionnements à lhorizon 2030. Plus grave, le régime des concessions risque de rendre impossible de tenir les engagements contractés par lAlgérie, dans le cadre de lOpep, et porte atteinte, de ce fait, à la souveraineté du pays sur ses ressources.
Le FCE, qui a transmis son document au Chef du gouvernement, regrette l absence de débat autour dun projet, qui engage lavenir de tout le pays. «Il ne serait pas très raisonnable, que le débat sur lavenir dun secteur, qui procure au pays plus de 95% de ses recettes en devises et plus des 2/3 de ses ressources fiscales, soit éludé ou évacué trop rapidement, encore moins que les options, à prendre à ce sujet, puissent être les otages dune confrontation entre ladministration et le syndicat», estiment les patrons, qui sinterrogent sur les raisons du choix de Chakib Khelil dabandonner, dans son projet de loi, le principe dit du «partage de la production» pour revenir au régime de la «concession».
Selon les patrons, ce choix est dautant plus problématique que les dispositions de la loi actuelle sur les hydrocarbures nont pas empêché l Algérie dêtre «le premier pays au monde en termes dattraction dans le domaine des investissements dans le secteur pétrolier». A ce titre, le FCE rappelle, quen dehors de lAlgérie, «aucun autre pays na signé dix contrats dexploration en un an».
Informant que dix autres contrats du même genre sont prévus dêtre signés, dans le courant de lannée en cours, le FCE se demande, une nouvelle fois, pourquoi il est décidé d«abandonner ce système de partage de la production, qui a fait les preuves de son efficacité, pour un système de concessions dont, précise-t-il, nous ne mesurons pas, à ce jour, toutes les retombées politiques et économiques».
Pour le Forum des chefs dentreprises (FCE), le projet de Chakib Khelil est hypothétique et équivaut «à lâcher la proie pour lombre». Pour eux, le pays ne peut se permettre de lâcher sa maîtrise sur ses hydrocarbures pour l hypothétique promesse de pouvoir vivre des seules royalties, que lui procureraient leur exploitation par les compagnies étrangères.
Pour les patrons, léconomie du pays connaît des carences dans, pratiquement, tous les domaines et cest grâce à Sonatrach et aux revenus pétroliers quelles ont pu, plus ou moins, être comblées. Le FCE rappelle, à ce propos, que de nombreux investissements et dinnombrables projets d intérêt national nauraient pu exister sans lapport des ressources prélevées au titre des gains du secteur de lénergie. Un secteur qui a toujours constitué la pierre angulaire de la politique de développement de l Algérie. Estimant que la loi Khelil va inévitablement provoquer l «affaiblissement» de la seule compagnie pétrolière, dont dispose le pays alors que, rappelle-t-il, la tendance mondiale est au renforcement des entreprises nationales, le FCE pense également que le «projet de loi sur les hydrocarbures est une concession très importante faite de manière unilatérale et dont le bénéfice sera amoindri, sinon gaspillé, dans la balance des négociations à venir».
Enfin, il appelle le gouvernement à ne pas céder si «ces projets ne sont que le résultat de pressions répétées de lextérieur».
Zine Cherfaoui
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Bouteflika et le carton rouge du FCE La nouvelle bataille du pétrole
Le projet de loi sur les hydrocarbures est en passe de devenir labcès de fixation des oppositions au pouvoir. Dans cette montée des oppositions, se mêlent aussi bien des inquiétudes fondées que des logiques politiques liées aux prochaines échéances présidentielles.
Les critiques ne se limitent plus au syndicat pétrolier ou à quelques partis politiques. Maintenant, cest au tour du Forum des chefs dentreprises (FCE), censés défendre le credo libéral, de monter au créneau pour contester lopportunité dun changement du système de partage en vigueur dans le secteur des hydrocarbures.
Le cadre juridique actuel, qui a largement permis des investissements extérieurs étrangers substantiels, nexplique pas pourquoi les pouvoirs publics veulent le remettre en cause, pour «entrer dans un système de concessions», dont les conséquences et les «retombées politiques et économiques» ne sont pas mesurées. La charge des patrons privés est rude et, une fois nest pas coutume, ils attaquent les initiateurs du projet sur le terrain même de la souveraineté nationale.
Cest le thème opposé habituellement par les gouvernants algériens, qui est retourné contre eux. Non seulement, aux yeux des patrons privés, le projet est économiquement nuisible et injustifiable, mais il obère gravement les capacités du pays à utiliser sa rente pétrolière dans une logique économique nationale. Il est clair que le FCE ne sarrête pas à la question de Sonatrach. La «non-privatisation» de lentreprise publique, selon le discours des autorités, faisant office décran de fumée à un retour au système des «concessions», qui prévalait avant les nationalisations.
Lobjet de la polémique nest donc pas Sonatrach – même si cela y est lié – mais les ressources pétrolières du pays. A largument officiel de maximisation de lexploration et de la production, les patrons opposent l impératif de songer aux générations futures, mais aussi à la capacité politique du pays à observer les disciplines commerciales contractées dans le cadre de lOpep. Outre ces arguments, un cadre du secteur a ajouté que le système des concessions ouvert, y compris pour le transport, risque aussi de frapper, de plein fouet, nos investissements dans ce domaine. Il avance, à ce sujet, que plus de 40% des recettes de Sonatrach proviennent du transport (pipelines – gazoducs) et quouvrir ce domaine revient à perdre définitivement le contrôle sur lusage de ses ressources.
Largumentaire économique général vient donc sajouter à celui, plus politique, de la souveraineté nationale. Il est certes difficile de séparer léconomique du politique, surtout dans un pays où les hydrocarbures constituent la principale ressource du pays. Largumentaire a au moins le mérite de la clarté. Les concepteurs dun projet, contesté désormais par des adeptes apparents du libéralisme, doivent dorénavant donner des explications fondées, sans se focaliser sur lhistoire de la privatisation de Sonatrach.
Jusque-là, Bouteflika a pu défendre sa politique de concorde, sur laquelle il était constamment sous largument que ceux, qui le critiquent, ne disposent pas dalternative. Il se retrouve aujourdhui, à moins de deux ans de la fin de son mandat, face à un dossier beaucoup plus lourd où des contradicteurs, dhorizons divers, lui reprochent docculter la préférence nationale en faveur des entreprises étrangères.
Bouteflika, à moins de faire rapidement sauter un fusible, risque de se retrouver dans une situation difficile. Quil recule sur le projet ou quil le maintienne, il donnera à ceux qui affûtent leurs armes, pour lui barrer la route dun second mandat, une cause autrement plus sensible que celle de la préférence pour «léradication».
M. Saâdoune