Abdelaziz Belkhadem: «Nous sommes satisfaits de létat actuel des relations algéro-françaises»
Abdelaziz Belkhadem au Quotidien dOran
«Nous sommes satisfaits de létat actuel des relations algéro-françaises»
Lounès Guemache, Le Quotidien d’Oran, 27 juillet 2002
Le Quotidien dOran: Vous venez de rencontrer les principaux responsables français. De quoi avez-vous parlé ?
Abdelaziz Belkhadem: Dabord, jai remis au président Chirac une lettre dinvitation du président Bouteflika. M. Chirac a accepté de venir en Algérie, au début de lannée 2003, à loccasion de «lAnnée de lAlgérie en France». Cette visite sinscrit dans le cadre de la continuité des efforts déployés par les deux présidents pour un renouveau des relations entre la France et lAlgérie.
Jai eu à constater chez les responsables français que jai rencontrés une détermination et une volonté dasseoir une coopération entre nos deux pays, pas seulement en matière déchanges commerciaux, mais aussi dans les autres domaines.
Q.O.: Etes-vous satisfaits de létat actuel des relations entre les deux pays ?
Abdelaziz Belkhadem: Bien sûr que nous ambitionnons dobtenir plus et mieux. Parce que ce qui lie lAlgérie à la France nest pas peu: il y a lhistoire, la géographie, les relations humaines et la forte communauté algérienne en France qui est en attente dune meilleure coopération entre le pays dorigine et le pays daccueil. Tout cela amène les autorités des deux pays à coopérer davantage et ne pas sen tenir aux simples échanges commerciaux. Mais au regard de ce que nous souhaitons, ce nest pas encore lidéal. Toutefois, comparé à ce qui existait il y a quelques années, nous avons quelques motifs de satisfaction.
Q.O.: On observe une certaine frilosité de lUnion européenne à légard du Maghreb, depuis le gel du processus de Barcelone. Cette situation influe-t-elle négativement sur les relations franco-algériennes ?
Abdelaziz Belkhadem: La France, tout comme lItalie et lEspagne, joue un rôle de locomotive dans le nécessaire développement des relations entre lEurope et les pays de la rive sud de la Méditerranée. La dernière réunion euro-méditerranéenne qui a eu lieu à Marseille a permis de réviser le processus Meda pour faciliter les décaissements et permettre une meilleure visibilité du partenariat entre les deux parties. La France a fait beaucoup defforts dans ce domaine. Mais, malheureusement, le processus de Barcelone, même sil est généreux dans ses objectifs, reste modeste dans ses résultats. Une situation qui est due, peut-être, à la persistance du conflit au Moyen-Orient et des lenteurs des procédés utilisés par lUnion européenne en matière de partenariat avec les pays de la rive sud de la Méditerranée.
Q.O.: Vous êtes en poste depuis plusieurs années.
Pourquoi avoir attendu quun gouvernement de droite soit élu en France pour venir en visite de travail ?
Abdelaziz Belkhadem: Cest seulement le planning qui a fait que la visite a lieu maintenant. Ma visite constitue le premier acte politique entre deux nouveaux gouvernements après des élections législatives en Algérie et en France. Mais cela na aucun lien avec la couleur politique de lactuelle majorité qui gouverne la France.
Dailleurs, jeudi, à lInstitut du monde arabe à Paris, jai eu une discussion informelle avec lancien ministre français des Affaires étrangères, M. Hubert Védrine.
Q.O.: Depuis plus dun, la Kabylie est en proie à des émeutes. Plus récemment, une polémique a éclaté à Alger sur les relations entre larmée et le président Bouteflika.
Avez-vous abordé ces sujets avec Jacques Chirac ?
Abdelaziz Belkhadem: Pour ce qui concerne les événements de Kabylie, le gouvernement algérien a engagé un dialogue avec les représentants des ârchs. En présentant son programme devant les députés de lAssemblée nationale, le chef du gouvernement a renouvelé son appel au dialogue. Le président Bouteflika a pris des mesures concrètes pour satisfaire certaines revendications formulées par ce mouvement, notamment la constitutionnalisation de la langue tamazight. Nous avons dailleurs constaté un début dapaisement. Notre politique est claire: toutes les revendications légitimes sont les bienvenues et elles sont prises en charge. Ce qui nest en revanche pas toléré, cest la violence: incendie des bâtiments officiels, trouble à lordre public…
Q.O.: Et la crise entre larmée et le président Bouteflika ?
Abdelaziz Belkhadem: Ce sujet na pas été abordé…
Q.O.: Ces derniers jours, lAlgérie connaît une recrudescence inquiétante des attentats terroristes…
Abdelaziz Belkhadem: Notre politique est claire: il faut combattre la criminalité, dans le cadre du droit. Mais, en aucun cas, il nest question dabandonner la politique de concorde civile et de réconciliation nationale.
Q.O.: Récemment, une crise a éclaté entre le Maroc et lEspagne. Son dénouement na été possible que grâce à une intervention de la diplomatie américaine, alors que lEurope sest montrée incapable dagir…
Abdelaziz Belkhadem: Nous saluons le dénouement heureux de cette affaire. Elle a été réglée grâce à lintervention américaine, peut-être parce que les Etats-Unis ont de bonnes relations à la fois avec le Maroc et avec lEspagne.
En ce qui concerne lEurope, je ne sais pas si lUnion européenne sest pleinement investie pour régler ce problème.
Q.O.: Durant la crise, lAlgérie a observé une position qualifiée dambiguë. Est-ce le début de la constitution dun axe Alger-Madrid qui viendrait contrer laxe Paris-Rabat ?
Abdelaziz Belkhadem: Le problème ne sest pas posé en termes de contestation de souveraineté pour nous amener à soutenir fermement le Maroc ou lEspagne. Le différend portait sur la militarisation ou non de lîle du Persil. Et lAlgérie refuse les faits accomplis, au Sahara Occidental comme ailleurs. Nous avons de très bonnes relations avec Paris et Madrid. Nous avons de bonnes relations avec beaucoup de capitales européennes. Et nos relations sont normales avec nos voisins marocains, mais on souhaite quelles deviennent excellentes.
Q.O.: Ne doit-on pas aller vers la fin des colonies dans le Maghreb ?
Abdelaziz Belkhadem: Il faut aller vers une décolonisation de tous les territoires non autonomes. Ils doivent retrouver leur autonomie. Tous les pays doivent respecter le droit des peuples à lautodétermination.
Q.O.: Le report du sommet de lUMA na pas facilité la relance des relations entre le Maroc et lAlgérie…
Abdelaziz Belkhadem: Nous sommes les premiers à avoir déploré le report, à la dernière minute, du sommet de lUMA. Nous nous étions pleinement investis dans lorganisation du sommet. Tous les pays avaient donné leur accord pour son déroulement au plus haut niveau.
Malheureusement, quelques heures avant sa tenue, le roi du Maroc a fait savoir quil ne participerait pas et le dirigeant libyen a demandé son report…
Q.O.: LAnnée de lAlgérie en France aura lieu en 2003. Quattendez-vous de cet événement ?
Abdelaziz Belkhadem: En Algérie, on sinvestit pleinement pour que lAnnée de lAlgérie en France soit une réussite totale. Jai trouvé la même détermination chez mes interlocuteurs français. Nous ne voulons pas quelle soit seulement une curiosité intellectuelle. Pour nous, cest loccasion de montrer aux Français et au monde entier le vrai visage de lAlgérie.
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Fin de la visite de Belkhadem en France
Paris réaffirme son soutien à Bouteflika
« Cette visite est une réussite totale. Nous avons constaté une nette détermination des autorités françaises daller de lavant dans la refondation de nos relations et de leur volonté dencourager les échanges entre nos deux pays ».
A lissue dune visite de deux jours à Paris, Abdelaziz Belkhadem a de bons motifs dêtre satisfait. Le chef de la diplomatie algérienne, venu en France essentiellement pour obtenir un soutien ferme de Paris à la politique du président Bouteflika, ne pouvait pas espérer mieux comme résultat : Jacques Chirac se rendra à Alger, début 2003, en visite dEtat, la première dun président français en Algérie depuis 1989. Une fois sur place, le chef de lEtat français devrait notamment réaffirmer le soutien de la France à la politique du président Bouteflika. Une démarche prônée, depuis quelques mois, par lambassadeur de France à Alger, Hubert Collin de Verdière.
Auparavant, cest le ministre français des Affaires étrangères, Dominique de Villepin, qui viendra à Alger, au plus tard, en septembre prochain, pour les mêmes raisons.
« La visite en lan 2000 du président Bouteflika a donné une forte et nouvelle impulsion aux relations entre les deux pays (…). Ce sera loccasion, en 2003, de redonner une impulsion plus forte encore, douvrir de nouveaux horizons. Il y a une volonté du côté français et, je le sais, du côté algérien. Ce sera lannée de lAlgérie en France. Je pense que cest un beau symbole et une belle année en perspective », a déclaré, jeudi soir, Dominique de Villepin, au cours dune conférence de presse conjointe, tenue, à lissue dun entretien entre les deux ministres, au Quai dOrsay.
Dans un contexte marqué par une polémique insistante, à Alger, sur de présumées dissensions entre le chef de lEtat et quelques généraux de larmée, cest une bataille dimportance que vient de remporter Abdelaziz Bouteflika. En effet, selon nos informations, la visite en France dAbdelaziz Belkhadem a été décidée, il y a moins dun mois. Les autorités françaises ont répondu favorablement à la demande algérienne, alors que la polémique commençait à enfler à Alger entre la présidence et une partie de létat-major de larmée.
« La France prend très au sérieux les informations sur le différend qui oppose le président Bouteflika à certains généraux de larmée qui portent, officiellement, sur la politique de la concorde civile », explique un spécialiste des relations algériennes qui a requis lanonymat.
Dailleurs, à Paris, avec ses interlocuteurs, Abdelaziz Belkhadem a beaucoup parlé de lévolution de la situation politique en Algérie. Il a notamment abordé le récent rapport Sbih sur la réforme de lEtat, voulue par le président Bouteflika, mais à laquelle sopposeraient certains généraux. Les autres sujets, comme les droits de lHomme ou la coopération économique, nont été que brièvement abordés.
Lounès Guemache