De lajustement structurel à limpossible réforme de lEtat
De lajustement structurel à limpossible réforme de lEtat
Par M. Douma, Le Quotidien d’Oran, 26 septembre 2002
Pourquoi les conditions de lajustement structurel ont pu être observées et non pas celles des réformes de notre organisation économique ? Question embarrassante par tous les décalages quelle sous-entend ? Certainement. Mais nest-ce pas aussi parce quelle illustre toutes les alternatives encore irrésolues dune stratégie de gouvernement ? Cest peut-être cela aussi.
Interpellé dernièrement sur la question, M. Benbitour trouve, dans le mode de gestion de ces dossiers, une réponse de type méthodologique mais grosse de bien de sous-entendus. Pour cet ancien Chef du gouvernement bien au fait de la question, lapplication des recommandations du FMI a pu se faire grâce à lengagement dune équipe restreinte, ayant la confiance des cercles significatifs du pouvoir et travaillant dans une quasi-clandestinité. A labri des contingences et des faux enjeux de pouvoir, cette équipe aurait pu ainsi mettre sereinement en place le dispositif nécessaire à lexécution des mesures conditionnelles à lajustement structurel. De manière dailleurs relativement facile, dans la mesure où il sagissait de mesures réglementaires (décrets exécutifs) à caractère macro-économique et ayant de ce fait peu dincidences directes et immédiates sur le fonctionnement social de léconomie.
Cela était dautant plus réalisable que la quasi-totalité des recettes de lEtat provenait des hydrocarbures et que leur mode de répartition relevait de la seule loi de finances, cest-à-dire de la seule volonté dun gouvernement non soumis à lépoque au moindre contrôle parlementaire. Dailleurs et jusquà ce jour, le contenu des accords avec le FMI et les conditions de leur mise en oeuvre, relève dune réserve pas toujours bien comprise et dune pudeur vécue inconfortablement par bien des acteurs.
Interprétation fonctionnaliste et foncièrement technocratique? Sans doute. Elle invite quand même à une autre lecture, en suggérant, notamment, que lapplication des mesures dajustement, contrairement aux besoins de réforme de léconomie, naltérait pas les avantages acquis dune certaine catégorie dacteurs en orbite autour du démantèlement des anciens monopoles. En dautres termes, les conditions du FMI ont pu se réaliser parce quelles ne dérangeaient pas – du moins pas encore – lapparition de nouvelles ambitions entrepreneuriales parmi la vague des nouveaux retraités, comme également parmi tous les candidats au rapatriement de leurs ressources en direction dun marché de consommation encore vierge et manifestement inorganisé. Revoilà, a contrario, la thèse selon laquelle les réformes engagées depuis 1989 buteraient contre les résistances de clans opposés à la reconversion de léconomie nationale et à louverture du marché algérien.
Il est vrai que le processus de réforme imaginé dès 1989, véhiculait un processus de délestage et de désengagement de lEtat considéré comme précoce et inapproprié pour tous les gardiens de lancien système. Et contre tous les réflexes – réels ou supposés – de patrimonialisation des ressources de lEtat, la seule logique économique devenait alors insuffisante pour justifier le rapide démembrement des entreprises publiques et encore moins rassurer sur les conséquences sociales dune marchandisation du capital de lEtat.
Sest alors mise en place une stratégie à deux vitesses. Lune cherchant à tempérer toutes les méfiances envers un Etat encore englué dans ses anciennes contradictions pour libérer les initiatives et alléger ses pesanteurs bureaucratiques. Lautre, visant à répondre à une attente de lEtat, une attente exprimée par des catégories sociales dautant plus exigeantes quelles abritaient les risques dune violence irrésistible. Aussi, entre les exigences au changement de lune et les impératifs de stabilité et de continuité de lautre, se sont déclinées toutes les formes dune gestion pacificatrice de leurs contradictions.
Par moment, et hypothéquant lintroduction des entreprises publiques dans la concurrence, sest bizarrement renforcée la pénalisation des risques commerciaux (harcèlement judiciaire contre les gestionnaires), la congélation des circuits bancaires (conflit autour du rôle de la Banque Centrale) et le renforcement de la bureaucratie économique (renforcement du contrôle dopportunité et de tutelle sur les entreprises dintérêt public). Mais, par-dessus ces formes dhésitation, sest maintenu et réaffirmé à chaque fois le désir de réforme et la nécessité dadapter lorganisation de notre économie aux exigences de la mondialisation et des nouveaux défis liés à la concurrence. Ainsi, le besoin de réforme ne fut jamais mis en question. Seules, les séquences dune mise en oeuvre socialement tolérable, sinscrivant dans la durée, et sans mettre en péril le besoin dordre de lEtat, polarisèrent le débat et multiplièrent les alternatives… Entre anciens acteurs institutionnels et nouveau système à construire, se sont ainsi multipliés les décalages conceptuels et idéologiques et, par voie de conséquence, les conflits à propos de la nature des missions de lEtat et la forme de son gouvernement…
Certes, la fragilisation de lautorité de lEtat par la violence terroriste recommandait moins de prise de risques et plus de préoccupations de stabilité fonctionnelle et organisationnelle. La dictature des urgences faisant dans ces conditions office de politique gouvernementale. Mais plus concrètement, les incapacités du système à se transformer aussi rapidement et aussi profondément, procédaient également de lindigence de notre culture de lEtat, des retards et des déséquilibres de notre niveau de socialisation des idées nouvelles et également – nous dirons surtout – des difficultés objectives de devoir déconstruire lancien système (organisation «socialiste» de léconomie) en reconstruisant son contraire – et pire difficulté – sur ses décombres (libéralisme). Ce sont tous les segments de la formation économique et sociale qui se trouvent ainsi en examen et en même temps.
Aussi, on ne peut raisonnablement polariser les réticences au changement au seul niveau des conflits de pouvoir ou à propos dune répatrimonialisation des ressources de lEtat. Comme on ne peut incriminer la seule incapacité de ladministration dEtat à se repenser de lintérieur, ou à transformer les attentes de lEtat en vocations managériales
Cest que par-delà les termes du débat, subsiste une évidence. Réforme de lEtat et ajustement structurel ne constituent pas deux sphères de responsabilité hermétiques. Lune étant en même temps la condition et le résultat de lautre. Et comme on ne peut raisonnablement évaluer lune sans tenir compte de la consistance de lautre, il semble quen létat actuel de notre questionnement, on naurait finalement réussi ni lapplication des accords de Standbey ni réalisé nos intentions de réforme.