Succession ouverte
Succession ouverte.
Fayçal Metaoui, El Watan, 25 Septembre 2000
Le délai de grâce pour le président Bouteflika est terminé. Le constat qui est fait d’une gestion de dix-huit mois ne plaide pas en faveur du locataire d’El Mouradia : trois chefs de gouvernement, cinq ministres de la Communication, libertés politiques presque suspendues, réformes économiques à l’arrêt, situation sociale dramatique et violence persistante.
Des indices permettent de penser qu’au niveau des cercles traditionnels de la décision, l’homme, qui devait rendre à l’Algérie «sa dignité et sa fierté», ne fait plus le consensus. Le départ-surprise d’Ahmed Benbitour de la tête du gouvernement, donnant ainsi l’image d’un pays qui s’enlise dans l’instabilité, a quelque peu accéléré les choses, sinon suscité les craintes. L’éventualité de l’arrivée du général à la retraite Larbi Belkheir, homme maîtrisant parfaitement les affaires du sérail, à la direction du cabinet du président de la République n’est pas banale. Larbi Belkheir a toujours soutenu qu’il n’était pas intéressé par un quelconque poste de responsabilité depuis son retrait officiel des affaires politiques. Qu’est-il arrivé d’aussi grave pour que l’ex-secrétaire général de la Présidence du temps de Chadli Bendjedid accepte de remplacer Ali Benflis au poste de directeur de cabinet de Bouteflika ? Si l’installation de l’ancien militaire n’est pas encore confirmée, il reste que le fait est là et que la volonté existe. Larbi Belkheir fut parmi les hommes influents à soutenir la candidature de Abdelaziz Bouteflika pour la présidence de la République. Le poste qu’il occuperait éventuellement va lui permettre de contrôler l’action du premier magistrat du pays. C’est l’évidence même. De plus, l’on soutient que le général Touati, lui aussi à la retraite, serait aussi sollicité pour être chargé d’une mission à la Présidence. Bouteflika, président civil qui refuse de s’assumer en tant que tel puisque il n’a pas cessé de rappeler son passé militaire de la Révolution, n’est donc pas en bonne posture. La nature du régime dans ce pays et la logique des clans limitent la détection de la crise à des actes politiques qui paraissent insensés ou inexpliqués. En l’absence de contrôle populaire et démocratique réel, chose qui semble répugner au chef de l’Etat à travers la marginalisation du Parlement et le mépris à l’égard de l’opposition, il n’existe pas de «force» qui puisse demander des comptes au président sauf au niveau de ceux qui l’ont parrainé parmi les décideurs. Cependant, la volonté autonomiste de Bouteflika et sa contestable démarche agace là où le chef de l’Etat l’attendait le moins. Et voilà que l’on recommence à parler d’élection présidentielle avant l’heure. «N’ayant aucune disposition pour le rôle de chef d’Etat, il est tout naturellement porté à compenser cette lacune en jouant celui du chef charismatique qui s’impose par le seul rayonnement de sa personne et la magie de son verbe. Il est convaincu d’avoir été désigné par la providence pour accomplir un grand destin», écrit un autre général à la retraite, Rachid Benyellès, dans une analyse publiée par Le Matin. Rachid Benyellès suggère la tenue d’élection présidentielle anticipée. Il est le premier à le faire depuis l’arrivée de Bouteflika aux commandes. Cela mène droit à cette question : alors, l’après-Bouteflika a-t-il commencé ? Il est des signes qui permettent de croire que les chances de Bouteflika de postuler à un second mandat après 2004 sont minimes. Le chef de l’Etat, qui n’aime pas la Constitution du pays, semble tout faire pour éviter qu’une révision de la loi fondamentale vienne lui imposer un vice-président de par trop encombrant. Ahmed Ouyahia, qui n’est plus le seul ministre d’Etat au gouvernement et qui est donné comme un sérieux postulant à la fonction que Bouteflika refuse de créer, manouvre à sa manière. L’attitude adoptée par le groupe parlementaire du RND à l’APN de tourner le dos aux débats sur le plan d’action de Ali Benflis n’est pas innocente. Comme n’est pas fortuite la réplique à la campagne, déclenchée par Bouteflika après ses périples constantinois et annabis, contre les élus. Ahmed Ouyahia a de solides appuis qui lui facilitent de bons rebonds au moment voulu. La sortie estivale de Mouloud Hamrouche, ex-candidat à l’élection présidentielle d’avril 1999, à Oran n’est, elle non plus, pas le fruit du hasard. L’ancien chef de gouvernement s’est toujours imposé une réserve et un détachement par rapport à l’actualité. Ses déclarations faites à la presse confirment le changement de tactique. Mouloud Hamrouche accuse indirectement Bouteflika de «nourrir la crise» à travers ses actes, notamment les changements répétitifs des commis de l’Etat. «Le pouvoir et ses hommes se sont toujours pris pour l’Etat. Ils s’identifient à l’Etat, leurs décisions sont donc discutables et non soumises à débat. Les voix discordantes et critiques qui ne sont pas d’accord avec leur perception sont automatiquement accusées d’être antinationales», souligne-t-il dans l’entretien accordé à El Watan en août dernier. Le léger changement de position du RCD, exprimé récemment par Saïd Sadi, peut s’inscrire également dans la même tendance. Le leader du RCD, parti membre de la coalition gouvernementale, menace de «rompre le contrat», établi avec Bouteflika bien entendu, à tout moment. Si elle paraît déjà ouverte, la course à la succession va entraîner un mouvement de fond qui risque de laisser des traces. Tout est de savoir s’il l’on va sortir de la boucle fermée des présidents désignés ou pas.