Bouteflika plébiscité è 98,6%

Bouteflika plébiscité è 98,6%
La victoire du oui au référendum sur la «concorde civile» conforte la légitimité du président algérien.

Florence Aubenas, Libération, 18 et 19 septembre 1999

Oui, c’est «oui». Comme de bien entendu, la politique de «concorde civile» du président Abdelaziz Bouteflika a remporté hier l’approbation de la majorité des Algériens. Officiellement, plus de 85 % d’entre eux sont allés aux urnes et le non n’a aligné que 1,57 % des suffrages, le oui remportant 98,6%. Cette victoire s’est fêtée par un changement lexical, décision sans doute plus révélatrice de la politique algérienne qu’un remaniement ministériel. «Il ne faut plus dire aujourd’hui « terroristes » mais parler de nos enfants qu’on est en train de récupérer», a annoncé hier matin Abdelmalek Sellal, le ministre de l’Intérieur.

Ici, pourtant, dès qu’on proclame des chiffres, on en doute aussitôt. «La fraude accompagne l’élection comme l’homme son ombre», avait lancé Mohamed Bedjaoui, le président de la commission de contrôle, lors de la présidentielle d’avril dernier qui porta Abdelaziz Bouteflika au pouvoir. Cette fois-ci, le ministre de l’Intérieur a juré qu’on n’avait touché à rien. «On peut supposer la fraude quand il s’agit de personnes, pour les élections municipales, les législatives, éventuellement la présidentielle», a-t-il protesté, visiblement en connaisseur. Ce débat sur la tricherie a toutefois un peu moins d’acuité qu’au scrutin précédent. Au-delà des pourcentages précis, ni les plus farouches opposants, ni même les commères des ruelles, qui sont bien plus redoutables, ne contestaient hier que la volonté de la majorité des Algériens avait bien été respectée, quelle que soit l’exacte réalité des chiffres.

Le débat entre le visible et l’invisible, qui tient généralement lieu d’analyse des résultats, se cantonne donc cette fois-ci à une évaluation des forces en jeu au pouvoir. «Aucun parti n’appelant à voter non, le taux de participation était l’élément prépondérant», estime un homme politique. Tout d’abord parce que cette donnée joue un rôle clé en Algérie depuis les élections législatives de 1991, remportées par le Front islamique du salut. Ce scrutin avait pu être autoritairement annulé, déclenchant une guerre civile qui a fait plus de 100 000 morts, au motif officiel que plus de 7 millions d’électeurs (sur 16 millions) étaient restés chez eux. A chaque vote, ce chiffre est donc très surveillé et, même si les bulletins sont indéniablement clairsemés (comme lors de la dernière présidentielle), les autorités soutiennent toujours que le peuple s’est rué en masse vers les urnes.

Le référendum d’hier visait d’autre part en partie à renforcer la légitimité du chef de l’Etat. «Pour cela, il fallait au moins 80 % de participation», poursuit cet homme politique. La proclamation d’un taux moindre aurait trahi que, au sommet du pouvoir, un clan était aujourd’hui assez puissant pour s’opposer frontalement au Président. Les résultats montrent qu’Abdelaziz Bouteflika bénéficie aussi d’un consensus des «décideurs», terme employé pour ce groupe des généraux qui fait et défait la politique algérienne.

Quartier cossu de la capitale, Hydra a fêté les résultats hier sans les impressionnant défilés de voitures et concerts de klaxons qui avaient accompagné la victoire du général Liamine Zeroual en 1995. «A ce moment-là, on avait l’impression d’avoir gagné un match de football, raconte Abdel, un ingénieur en électronique. On allait anéantir les terroristes jusqu’au dernier, sans leur laisser même la force de nous demander grâce. Six mois plus tard, on était tous terrés chez nous, lumière éteinte, en appelant maman.» Il affirme que son choix d’aujourd’hui, pour la «trêve», est celui de «la raison et plus du cour. On ne veut plus de vacarme, on veut la paix et l’ouverture de nouvelles lignes pour les téléphones portables».

Dans les ruelles cabossées de Leveilley, un chômeur serre les mains devant sa porte comme si cette victoire était un peu la sienne. «En tant qu’homme pauvre, je me mets à chaque fois avec le plus fort, celui qui est debout.» Ici, un scrutin est souvent vécu moins comme une façon de changer un rapport de force politique, qu’une façon de l’entériner. Cette fois, avec le «oui», «j’étais sûr de gagner, poursuit-il. En général, le plus puissant, c’est le pouvoir». En 1991, il s’était prononcé pour le FIS. «Normal, c’étaient les plus forts à l’époque, s’excuse-t-il. Mais cela a fâché l’Etat qu’on vote contre lui. Cela a été terrible. Devant ma porte, le sang a coulé plus d’une fois. Maintenant j’ai compris. Je préfère voter pour le système.».


Satisfaction à Paris

Par José Garçon

La France n’a pas attendu pour se féliciter du succès du président algérien. Selon l’agence APS, Jacques Chirac lui a téléphoné pour saluer «sa victoire sur les prêcheurs de la haine et de la confrontation», ainsi que «le peuple algérien pour son attachement à la concorde». Il aurait aussi fait part du «désir de la France de développer les rapports avec l’Algérie afin qu’ils soient un modèle dans les relations internationales». Hubert Védrine n’a pas été en reste. «Il y a là une attente et une confiance qui devraient lui permettre de mettre en ouvre encore plus vite et plus concrètement tout ce qu’il a annoncé, et qui est déjà considérable», a-t-il affirmé.

La France, qui avait provoqué l’ire de Bouteflika en exprimant sa «préoccupation» après la fraude qui avait entaché son élection, entend profiter de l’occasion pour effacer cet épisode. Surtout que ses relations avec Alger, revenues au beau fixe après la visite de Védrine en juillet à Alger, ont pris un nouveau petit coup de froid. Certes, la visite de Jacques Chirac en Algérie reste programmée et Bouteflika rencontrera Lionel Jospin dès mardi à New York en marge de l’assemblée générale de l’ONU. Mais le président algérien a récemment haussé le ton, signe immuable d’une volonté d’obtenir davantage de la France. Objet du litige: la reprise des vols d’Air France vers son pays et l’escale qu’il avait accepté de faire à Paris sur la route de New York, qu’il a finalement refusée, réclamant une visite officielle en bonne et due forme. La reprise des liaisons aériennes piétine par ailleurs après qu’Alger eut refusé les conditions d’Air France (faire assurer par des français la sécurité de ses avions et de ses équipages ainsi que le contrôle des passagers). Cette demande a été jugée «inacceptable» par Bouteflika. D’où une impasse que le Quai d’Orsay dédramatise en parlant de «péripéties» pendant que le président algérien fait monter les enchères, à la veille de sa rencontre avec Jospin, en déclarant que Paris «ne doit pas s’attendre à une relation exclusive» avec Alger.

 

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