Bouteflika-armée: match nul, pour le moment

Une sournoise lutte d’influence s’éternise en Algérie

Bouteflika-armée: match nul, pour le moment

Baudoin Loos, Le Soir, 19 novembre 1999

Cinq cents personnes – dont 19 près de Chlef dans la nuit de lundi à mardi – assassinées depuis la promulgation, en juillet, de la loi sur la concorde civile: l’Algérie subit une énième recrudescence de la violence, alors même que le président Bouteflika éprouve les pires difficultés à imposer sa politique. Que le très narcissique Abdelaziz Bouteflika en arrive à avouer, le 7 novembre dernier sur Europe 1, que « les problèmes de l’Algérie (sont) finalement plus difficiles que je ne le pensais; j’avais une vision trop optimiste », en dit long sur l’évaluation de la situation actuelle. Faut-il, pour autant, considérer que le pari présidentiel sur la concorde civile est d’ores et déjà perdu? Il semble en tout cas hypothéqué, à considérer les nouvelles victimes et les rares redditions d’islamistes armés (un bon millier, selon des chiffres officiels, peu crédibles).

Certes, le bilan définitif de la loi en question, massivement approuvée par le référendum du 16 septembre, ne pourra s’effectuer qu’après le 13 janvier, date-butoir au-delà de laquelle le «raïs» a promis un feu d’enfer aux jusqu’au-boutistes, mais on observe, du côté islamiste, un malaise évident. Celui-ci est attesté par des textes ou déclarations de responsables de l’ex-FIS (Front islamique du salut, interdit après le coup d’Etat militaire de 1992), qui accusent Bouteflika de se contenter d’une solution sécuritaire (reddition et clémence) excluant toute dimension politique, et amenant le président, selon eux, à ne pas tenir sa parole, dans une allusion peu claire au fameux accord secret négocié en 1997 par le pouvoir militaire avec l’AIS, bras armé du FIS.

Mais, que ce soit dans ce dossier de l’AIS ou ailleurs, la problématique revient à la même question: de quelle marge de manoeuvre dispose le président Bouteflika vis-à-vis du «pouvoir réel» algérien, à savoir l’armée?

UN CERTAIN PANACHE

L’ancien ministre des Affaires étrangères de l’ère Boumediene doit son «élection» à la présidence au choix fait il y a un an par le sommet de la hiérachie militaire, qui devait remplacer le général Zéroual, vaincu par les querelles de clans. Pour les meilleurs exégètes des arcanes occultes du pouvoir algérien, Bouteflika avait négocié bec et ongles avec les décideurs l’étendue et donc aussi les limites de ses futurs pouvoirs. Mais l’appétit vient en mangeant et, depuis son intronisation, le président n’a cessé de vouloir élargir son autonomie.

Sa méthode ne manque pas de panache, comme le bonhomme, d’ailleurs. «Mal élu» en avril après le retrait de tous ses concurrents pour fraudes alléguées, il s’est mis en devoir de se forger une belle popularité, n’hésitant pas à briser les tabous – il qualifie le coup d’Etat de 1992 de « violence », par exemple, ou estime que « la corruption est plus grave que le terrorisme en Algérie », pour vite devenir, talents de tribun aidant, l’homme providentiel auquel une grande majorité d’Algériens veulent croire, comme le confirme son triomphe au référendum de septembre.

Le voilà légitimé. Envers le peuple, envers les partenaires étrangers. Et envers ses tuteurs militaires. Mais cela ne lui donne pas le pouvoir. « Il n’y a pas un nouveau discours du pouvoir », analyse le sociologue Lahouari Addi dans le bimensuel «Libre-Algérie»: « Il y a un nouveau discours de la présidence – qui est 10 % du pouvoir – et qui cherche à se crédibiliser en faisant siennes les critiques de la population contre le régime. (…) Dans la pratique, cela débouchera au mieux à la retraite de personnalités fortement impliquées dans des réseaux de corruption, mais le système générateur de corruption demeurera intact, à moins que le régime accepte l’alternance et l’autonomie de la justice ».

UNE MAGIE QUI A SES LIMITES

Cette dernière hypothèse paraît bien improbable. Pourquoi les clans qui gravitent autour du sommet de l’armée et qui se partagent l’essentiel des revenus et privilèges renonceraient-ils à leur position? Le «deal» passé avec Bouteflika leur assurait d’ailleurs toute tranquillité, y compris sans doute l’impunité face à d’éventuelles poursuites internationales pour crimes conte l’humanité. Le hic, c’est que la volonté réformatrice affichée par ledit «Boutef» ne peut s’accommoder d’un maintien du statu quo, d’un maintien pur et simple de la domination de l’armée au faîte du «pouvoir réel».

« La magie Bouteflika ne va pas jouer longtemps », estime Areski Derguini, un universitaire repris dans le même «Libre-Algérie», « si elle n’est pas relayée par une réforme du système qui puisse attirer les énergies. Il deviendra évident qu’il a été utilisé pour obtenir la reddition des groupes armés et redonner à la dictature un nouveau souffle ».

Abdelaziz Bouteflika paraît craindre un tel scénario. Voilà pourquoi il menace régulièrement de « rentrer chez lui ». Le bras de fer avec les «décideurs» se focalise (et s’éternise) pour le moment sur la question de la composition du nouveau gouvernement: le président n’a pas de mots assez durs pour critiquer son propre exécutif, nommé par Zéroual, mais il ne trouve pas de terrain d’entente avec l’armée pour convenir des noms de ses futurs collaborateurs au gouvernement, même s’il répète à tous vents – et contre toute évidence – qu’il « n’a pas de problèmes avec l’armée ». Celle-ci lui a imposé des «lignes rouges», identifiées par José Garçon dans un article remarquable figurant dans la dernière livraison de «Politique internationale»: « Refuser toute réorganisation du FIS et toute ouverture démocratique; ne pas remettre en cause le rôle de l’armée et ne pas toucher au contrôle de la rente » (financière).

Jusqu’à présent, ces lignes rouges ont été scrupuleusement respectées. Normal, disent les esprits chagrins pour qui le «raïs» cherche sans doute à s’émanciper tant que faire se peut de ses parrains militaires, mais par seule ambition personnelle. « L’objectif de Bouteflika n’est pas de démocratiser le système, tâche à laquelle il ne croit pas du tout », écrit «Algérie-Confidentiel», « mais d’en devenir le maître ».

 

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