Une légitimité à conquérir

ANALYSE
Une légitimité à conquérir
Mal élu en avril, Bouteflika cherche un plébiscite.
Et des marges de manouvre face aux militaires.

José Garçon, Libération, 17 septembre 1999

Abdelaziz Bouteflika vient de réussir l’opération qui l’obsède depuis son arrivée au pouvoir il y a plus de cinq mois: organiser sa seconde élection à travers la sixième consultation électorale proposée aux Algériens en quatre ans. Désormais, le oui «franc et massif» qu’il est assuré d’obtenir au référendum sur la paix et la «concorde civile» apparaîtra comme son véritable score électoral. On ne peut comprendre en effet la volonté de l’ancien ministre des Affaires étrangères de Houari Boumédiène de mener à bien ce scrutin sans prendre en compte sa volonté de faire oublier le péché originel de son accession au pouvoir: la fraude et le retrait collectif de tous ses concurrents.

Officiellement, il s’agissait de demander l’avis de la population sur une loi destinée à tourner la page sur sept ans d’affrontements et déjà approuvée par le Parlement et le Sénat. Mais deux éléments supprimaient tout suspense quant à l’issue de ce vote: le libellé de la question («Etes-vous pour la démarche du Président, visant à réaliser la paix et la concorde civile?») compte tenu de la popularité du mot d’ordre sur la paix et des méthodes éprouvées lors des élections précédentes quant au taux de participation. «Il faut avoir été totalement coupé de ce peuple pour ignorer que son souhait le plus ardent depuis 1992 est le rétablissement de la paix, résumait ainsi dans le quotidien El Watan le général et ancien chef d’état-major Rachid Ben Yelles. C’est donc lui faire injure que d’en douter et de le consulter sur ce sujet.» Abdelaziz Bouteflika ne l’ignorait pas davantage que son prédécesseur, Liamine Zeroual, qui, comme lui, fit de la paix le seul mot d’ordre de sa campagne électorale.

C’est ce qui l’a amené à imposer ce référendum-plébiscite qui a, en réalité, un objectif essentiel: combler son déficit de légitimité. Cette initiative, qui le fait apparaître comme un «faiseur de paix» aux yeux des Algériens comme de la communauté internationale, vise aussi à couper l’herbe sous le pied de l’opposition et à la placer dans une situation difficile. Celle-ci milite en effet depuis longtemps en faveur de la paix, ce qui lui a valu de subir des années durant les insultes et la haine de ceux qui en découvrent aujourd’hui les vertus. Elle ne peut donc s’inscrire en faux d’une opération supposée ramener la paix, tout en estimant les mesures prises «aux antipodes d’un réel processus de réconciliation nationale». «La démarche, remarque encore Rachid Ben Yelles, aurait eu bien plus de chances d’aboutir si on l’avait fait précéder par un débat national qui aurait constitué une véritable thérapie de groupe pour exorciser la haine qui est en nous. Un débat auquel auraient été conviés tous ceux qui, de près ou de loin, directement ou indirectement, auraient pu apporter leur contribution. L’enjeu en valait la peine.»

Toute la question est de savoir ce que le chef de l’état entend faire de sa nouvelle légitimité. Face au mystère qui entoure ses véritables intentions, on ne peut jurer que d’une chose: il entend gouverner. «Je suis le seul inspirateur et porte-parole de la politique algérienne. Des ministres viendront en France. Ne tenez compte que de ma position», a-t-il dit au chef de la diplomatie française lors de sa visite fin juillet à Alger. Il confirmait ainsi l’autre face du rôle qu’il a lui-même dévolu au référendum: élargir sa marge de manouvre à l’égard du haut commandement de l’armée et des services de sécurité. Comme si Abdelaziz Bouteflika n’avait de cesse d’empêcher qu’ils puissent un jour lui rappeler «qui l’a fait roi». Le chef de l’Etat ne se prive d’ailleurs pas de signifier à ses interlocuteurs étrangers cette volonté de consolider son pouvoir. «Je ne nommerai un gouvernement qu’après avoir renforcé suffisamment mon autorité», affirmait-il encore à Hubert Védrine. Ses menaces répétées de «retourner chez lui» si les Algériens ne lui font pas confiance ne trompent personne quant au fait que l’armée en est le principal destinataire.

Dans le jeu d’équilibre complexe qui se déroule au sommet de l’Etat, Bouteflika dispose déjà de plusieurs atouts. Les militaires ne peuvent assumer une éternelle instabilité face à leurs partenaires étrangers après avoir «usé» sept Premiers ministres et cinq Présidents depuis 1992. Il leur sera difficile aussi de se débarrasser de Bouteflika, au moins à court terme, en le «boudiafisant» ou en le «zéroualisant». Enfin, ce dernier est la seule garantie internationale de «décideurs» obsédés par le syndrome Pinochet de ne pas devoir, un jour, rendre des comptes. Reste à savoir s’il utilisera ces avantages pour prendre, comme on lui en prête l’intention, les mesures qui s’imposent pour régler les problèmes d’une société fragmentée, écrasée par la précarité, la haine et l’exclusion.

 .

retour

algeria-watch en francais