Le clan d’Er-Ribat

Le clan d’Er-Ribat

Saâd Ziane, Libre Algérie, 24 avril-7 mai 2000

Quelques mois avant son assassinat, Abdelkader Hachani a fait l’objet d’une intense campagne de dénigrement de la part du groupe de Rabah Kebir qui comprend des émirs de l’AIS et Abdelkader Boukhemkhem. Leur représentant à Paris, Brahim Younsi, accusait, dans des cercles divers, Hachani d’avoir causé la perte du FIS et du mouvement islamiste en participant aux élections législatives de décembre 1991. La campagne a repris de plus belle quand Hachani s’est positionné contre la politique de concorde de Bouteflika.

Or, le groupe de Rabah Kebir a choisi, dès 1997, d’opter pour un clan du pouvoir, à la suite de la remise en résidence surveillée de Abassi Madani. De son exil allemand, Kebir a décidé de s’arrimer à Bouteflika, sans d’ailleurs en référer aux autres dirigeants. Hachani était aux antipodes et il était toujours pour la solution politique et pour que ceux qui ont du sang dans les mains soient traduits devant la justice. Le dirigeant assassiné se positionnait, logiquement, dans une perpective de solution globale pour le pays avec la nécessité de situer les responsabilités de chacun. C’est simple et clair et cela déplaisait à ceux qui ont choisi de s’arrimer au wagon d’un clan du pouvoir.

Rabah Kebir – que Hachani méprisait et auquel il niait toute prétention à représenter le FIS – devait, selon les informations publiées dans la presse, bénéficier des largesses de la « grâce amnistiante ». Or, il semble que les résistances au sein du système ont été trop fortes. D’où sa mobilisation actuelle pour l’amnistie générale, dernier produit « politico-médiatique » mis sur le marché par les partisans d’un président qui n’arrive pas, malgré un travail médiatico-diplomatique considérable, à forcer les tenants du système à négocier la réalité de leur pouvoir.

Visiblement mandaté pour apporter son obole à ce nouveau produit sur le marché du trabendo politicien, le groupe Kebir-Er-Ribat prend un drôle de biais pour le faire en s’attaquant de manière virulente au FFS, exclusivement, accusé de se renier, de faire « un virage à 180 degrés » en s’opposant aux « accords ANP-AIS » et d’apporter par son attitude « de l’eau au moulin du pouvoir ».

Apparemment, Rabah Kebir est trop impliqué dans le processus des luttes claniques pour faire – comme Hachani – la différence entre un accord sécuritaire encore secret (qui selon les uns n’existerait pas et selon les autres ne serait que verbal, une « parole d’homme à homme ») et une solution politique. Le premier permet de régler des cas « sociaux », tandis que la seconde veut s’attaquer aux causes de la crise pour éviter au pays les sanglantes tragédies de ces dernières années. Ce qui implique, sans volonté vengeresse, d’éviter d’occulter la responsabilité des uns et des autres. Celle des islamistes comme celle du pouvoir.

Appeler, comme le fait le rédacteur d’Er-Ribat, le FFS à revenir dans le « camp de l’opposition » est un gag. Surtout quand cet appel vient d’un groupe partie prenante des arrangements d’alcôve sans d’ailleurs être sûr d’avoir la moindre contrepartie. Quand des « républicains » autoproclamés comme Sadi rejoignent Rabah Kebir autour de la concorde civile, en avançant que c’est l’antithèse du contrat national, il n’y aucune raison de ne pas les croire. L’accord entre « gens d’armes », pour reprendre la formule de Hocine Aït Ahmed, est bel et bien un arrangement contre la société et donc l’antithèse absolue de la solution démocratique et pacifique du contrat national.

Curieusement, les amis de Kebir, dans leur grand zèle bouteflikien, s’abstiennent d’évoquer les dirigeants du FIS de l’intérieur, comme Djeddi, Omar et Guemmazi, qui ont refusé de lui apporter leur caution. Le clan d’Er-Ribat ménage beaucoup d’acteurs de la tragédie pour ne s’attaquer qu’à ceux qui veulent que la politique et la vérité reprennent leur droit de cité. Il se retrouve sur la même position que le RCD et les « janviéristes ». Sans doute dans l’espoir d’être les dirigeants du nouveau FIS, lifté et normalisé, pour apporter « de l’eau au moulin du pouvoir ».

Il est inutile d’appeler les membres du groupe d’Er-Ribat à se « ressaisir », leur insertion dans la combine clanique est telle qu’ils en sont arrivés à nier jusqu’à l’existence de la lettre de Abassi Madani à Ali Benhadjar dans laquelle il se démarquait clairement de la politique de Bouteflika. En acceptant un « arrangement » sur le dos de la société, qui d’ailleurs n’a absolument rien réglé, le groupe d’Er-Ribat, participe en fait à la logique du maintien de l’autoritarisme et de la reproduction du système. Il n’y gagne – ce qui reste à confirmer – que quelques reclassements sociaux.

Apparemment, les cris d’orfraie du clan d’Er-Ribat tiennent au fait qu’il est de moins en moins sûr d’avoir parié sur le « bon clan ». Toute sa littérature porte d’ailleurs la marque de cet énième marché de dupes qui n’arrive pas à passer dans la société algérienne. En définitive, il restera à savoir si les gens de l’extérieur auront le dernier mot sur les gens de l’intérieur, encore fidèles à l’approche politique et pédagogique de Abdelkader Hachani. Le reste n’est que littérature.

 

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