Un gouvernement sans rupture

 

Un gouvernement sans rupture

La vacance du poste de la Défense illustre le pouvoir persistant de l’armée.

José Garçon, Libération, 27 décembre 1999

À force de répéter qu’il ne formerait un gouvernement qu’«après avoir
renforcé son autorité», Abdelaziz Bouteflika avait fait de cette question un
test du changement… et de son pouvoir face à l’armée. Annoncé le 24
décembre et formé après huit mois de tractations, le nouveau cabinet ne
marque pas d’évolution décisive sur ces deux points, même si le chef de
l’Etat a pu confier plusieurs postes clés à ses proches (Finances, Energie,
Réformes et Intérieur). Bien qu’ayant perdu une quinzaine de ministères, les
anciens partis de pouvoir, FLN et RND, conservent en effet, avec douze
postes, et non des moindres, une avancée importante.

Provocation.

Rien en tout cas ne symbolise mieux l’absence de changement que
le rappel de Selim Saadi, un ex-ministre de l’Intérieur, et d’Ahmed Ouyahia,
l’ancien Premier ministre et patron du RND. Ce dernier, qui bat des records
d’impopularité, se voit confier un superministère de la Justice. Cette
nomination, qui englobe la lutte contre la corruption, est souvent perçue
comme «une provocation», Ouyahia ayant été mis en cause dans des affaires de
fraude, de ponction de salaires et s’étant illustré en «couvrant»
l’emprisonnement de 2 000 cadres de sociétés publiques, notamment ceux de
Sider, qui ont tous été acquittés le 9 décembre après deux ans de prison.
«Je savais les cadres innocents: ils étaient victimes de la conjoncture
économique de l’époque», avait commenté Ouyahia après ce procès.

Contrôle de l’armée.

Cinq islamistes seulement (appartenant au MSP et à
Nahda) siégeront dans ce gouvernement aux côtés de trois ministres issus de
formations férocement opposées à tout contact avec les islamistes: le RCD,
avec deux ministères, la Santé et les Transports, et l’ANR. Le fait que le
poste de la Défense n’ait pas été pourvu indique, par ailleurs et sans
surprise, que le chef de l’Etat n’a pu l’imposer à l’armée. Formellement,
Abdelaziz Bouteflika demeure donc le chef des armées. Dans les faits, c’est
Mohamed Lamari qui continuera à exercer ces fonctions. En effet, à l’issue
d’un accord avec Bouteflika, le puissant chef d’état-major a tout pouvoir
pour nommer les chefs de région militaires, procéder aux promotions, tandis
que les services de renseignements, la DRS, restent sous le contrôle de
l’armée.