Ahmed Benbitour, nouveau premier ministre algérien
Ahmed Benbitour, nouveau premier ministre algérien
Après huit mois d’attente, le profil du gouvernement dépendra de l’attribution des postes-clés : défense, énergie et intérieur
Jean-Pierre Tuquoi, Le Monde, 24 décembre 1999
Le sénateur Ahmed Benbitour, cinquante-trois ans, a été désigné, jeudi 23 décembre, chef du gouvernement par le président Abdelaziz Bouteflika, en remplacement d’Ismaïl Hamdani. Ce dernier avait présenté sa démission juste après la signature, par le chef de l’Etat, de la loi de finances 2000, a annoncé l’agence officielle Algérie Presse Service (APS). Catalogué comme un technocrate sans appartenance politique précise, le nouveau premier ministre – le onzième depuis l’indépendance de l’Algérie – devrait constituer sans tarder son gouvernement, dont la composition pourrait être annoncée dans la journée de vendredi, selon un responsable algérien cité par APS.
Elu le 15 avril, le président Bouteflika avait promis à plusieurs reprises de changer le gouvernement hérité de son prédécesseur, Liamine Zeroual. Un gouvernement qu’il n’hésita pas à critiquer en termes véhéments par la suite, lors de ses interviews. Il aura pourtant fallu attendre huit mois de réflexions et de tractations pour que le changement s’amorce. Pour expliquer un tel délai, « inédit dans les annales de la politique algérienne », comme le soulignait récemment l’éditorialiste du quotidien francophone El Watan, deux explications sont avancées.
La première privilégie « la cuisine politicienne ». Le président Bouteflika aurait eu le plus grand mal à concilier les demandes des quatres partis qui l’ont officiellement soutenu pendant la campagne électorale (le Front de libération nationale, son clône, le Rassemblement national démocratique, et les deux formations islamistes légales, le Mouvement de la société pour la paix et Ennahda), d’autant que, depuis, deux autres partis ont rallié la mouvance présidentielle : le Rassemblement pour la culture et la démocratie, formation d’essence kabyle de Saïd Sadi, et l’Alliance nationale républicaine, de Redha Malek. « Je suis obligé d’aller vers une mosaïque qui ne me convient pas », avait reconnu le chef de l’Etat.
Le fait est que, au Maroc voisin, la majorité d’« alternance », forte de sept partis politiques, a abouti à un gouvernement pléthorique (plus de quarante membres) et inefficace. Le chef de l’Etat algérien veut sans doute éviter ce contre-modèle. D’autant que s’y ajoute, en Algérie, un autre problème : au sein de la majorité, entre les formations laïques et la mouvance islamiste « modérée », un clivage de fond existe sur le modèle de société. Il ne facilitera pas la tâche du nouveau premier ministre.
UN COMPROMIS AVEC L’ARMÉE
La lenteur à former la nouvelle équipe s’explique aussi, de l’avis de nombreux observateurs, par la nécessité, pour Abdelaziz Bouteflika, de trouver, s’agissant de certains portefeuilles sensibles, un compromis avec l’armée, sans l’aval de laquelle il n’aurait pu accéder au sommet de l’Etat. Le ministère de l’énergie (à la tête duquel pourrait être nommé un ancien expert auprès de la Banque mondiale, Chakib Khalil) et celui de l’intérieur font partie des postes sensibles. C’est encore plus vrai du ministère de la défense. L’histoire de l’Algérie indépendante enseigne qu’un chef de l’Etat qui ne contrôle pas directement ce portefeuille a toutes les chances d’être évincé un jour (ce fut le cas pour Ahmed Ben Bella et Chadli Bendjedid).
Le président Bouteflika a-t-il négocié avec l’armée le nom du futur ministre de la défense ? C’est probable, comme il a dû discuter de ses compétences futures. Il sera intéressant de savoir, en particulier, si les services de renseignement – pilier essentiel du pouvoir en Algérie – relèveront du futur ministre de la défense ou du chef d’état-major des armées, le général Lamari. Et si le ministre de la défense pourra procéder aux nominations qu’il souhaite aux postes à responsabilité dans l’armée.
La « concorde nationale » promue par le président Bouteflika « est sur le point d’échouer par la faute du chef de l’Etat »,estime le bulletin El Ribat,proche de l’ex-Front islamique du salut (FIS), dans sa dernière livraison. La paix « est en train de s’éloigner au fur et à mesure que la violence regagne du terrain et gagne de nouveau les esprits ». Depuis le 9 décembre, début du ramadan, soixante-quinze personnes ont été tuées dans des violences attribuées aux groupes islamistes armés.