Bouteflika, un an sans grand bilan
Bouteflika, un an sans grand bilan
Le président algérien est toujours «prisonnier» des décideurs militaires.
José Garçon, Libération, 15 et 16 avril 2000
Le nouveau président s’est présenté comme l’homme du changement. Qu’en est-il un an après?
En dépit d’une élection marquée par une fraude massive, il a réussi, dans un premier temps, à donner l’impression d’inscrire son action dans le cadre d’un changement radical. Le chef de l’Etat n’a pas innové en se présentant comme un «tenant de la rupture» face à l’«immobilisme», notamment pour obtenir un soutien international. Mais son habileté a consisté à crédibiliser les intentions qui lui étaient prêtées par quelques actes symboliques, une démagogie populiste et un franc-parler tranchant avec ceux de prédécesseurs particulièrement ternes. Il a ainsi transformé le verbe et la diplomatie en armes décisives… et en un formidable moyen de trouver sur la scène internationale la légitimité qui lui fait défaut en Algérie. Son activisme, un référendum-plébiscite sur la paix et plusieurs événements qui lui ont servi d’intronisation internationale lui ont permis de faire oublier l’opprobre qui suivit son élection. Dans le domaine économique, la remontée du prix du baril de pétrole a apporté à l’Algérie une bouffée d’oxygène qui devrait lui éviter un troisième rééchelonnement de sa dette.
Pourtant, ce changement radical de forme, destiné à couper l’herbe sous le pied de son opposition, ne s’est accompagné d’aucune évolution de fond. Un an après, la déception s’est substituée à l’espoir que Bouteflika avait fait naître. La lutte contre la corruption s’est arrêtée au limogeage d’une vingtaine de préfets qui ne remet en cause ni le partage de la rente pétrolière, ni les activités commerciales en vigueur au sommet de la hiérarchie militaire. Surmédiatisée, la main tendue aux «pieds-noirs» n’a même pas permis à Enrico Macias de donner les concerts prévus dans son pays natal. Bref, l’immobilisme est la règle. Y compris dans le domaine économique. On ne sait toujours pas précisément quels secteurs vont être privatisés, et aucun cadre juridique digne de ce nom n’a été mis en place pour attirer les investisseurs.
Bouteflika a-t-il réussi à ramener la paix?
Même si les violences ont nettement diminué depuis les années noires (1993-1997), la loi de «concorde civile» n’y a pas mis fin. Les décomptes de presse – qui demeurent incomplets – font encore état d’une cinquantaine de morts par semaine. L’initiative, qui impliquait seulement l’AIS, le «bras armé» du FIS, pouvait d’autant moins déboucher sur la paix que les autorités se sont refusées à tout dialogue politique. Du coup, la loi aura eu pour seuls effets la reddition d’un millier de «terroristes» (parmi lesquels nombre de membres des services de sécurité infiltrés dans les maquis) et le retour à la vie civile de 3 000 «combattants» de l’AIS. Mais les raisons de la violence demeurent: le désir de vengeance et une misère effroyable favorisent la constitution d’un lumpen, vivier inépuisable de tous les terrorismes.
Le chef de l’Etat a-t-il les mains libres?
N’ayant pas de base politique, Bouteflika est, de facto, prisonnier des «décideurs» militaires qui l’ont fait roi. Il dispose, certes, d’une immense liberté de parole. Mais à condition qu’il respecte «les domaines réservés de la souveraineté militaire»: les affaires de l’armée, le partage de la rente pétrolière, la gestion du FIS, le Maroc et le Sahara-Occidental. Ces «lignes rouges» expliquent ses reculs, tandis que l’immobilisme actuel résulte d’un conflit avec les généraux. Celui-ci est aggravé par la perspective de la prochaine révision constitutionnelle. Bouteflika y voyait une manière de présidentialiser encore plus le régime. Mais les «décideurs» ne l’entendent pas ainsi et veulent imposer à cette occasion un vice-président que Bouteflika refuse. Le chef de l’Etat n’ignore pas que ce vice-président pourrait le remplacer en faisant l’économie d’une nouvelle élection «au cas où»… La violence des attaques portées contre lui par une partie de la presse privée et par l’ancien Premier ministre Sid Ahmed Ghozali est, quoi qu’il en soit, interprétée comme une préparation de l’«après-Bouteflika» par les militaires. Surtout qu’un ex-dignitaire du régime, Chérif Belkacem, vient d’appeler à une «nouvelle période transitoire qui devra être menée par un collège représentatif des institutions et de la société civile», et d’estimer que «quand une léthargie est si profonde, il faut savoir injecter du sang neuf et sain». La population, qui se débat dans d’énormes difficultés matérielles, voit, elle, avec résignation ces remous, sachant qu’ils n’ont pas pour enjeu une démocratisation du pays. Bouteflika, qui a dit tout et son contraire, n’a en effet jamais varié sur son attachement au rôle de l’armée et sa défiance à l’égard des libertés et du pluralisme. N’a-t-il pas lancé récemment que «l’opposition devait créer sa propre télévision si elle voulait s’y exprimer, car les médias publics sont au service de l’Etat»