Un étonnant « effet Bouteflika » se développe en Algérie

Le nouveau président multiplie les initiatives en vue d’alimenter la «concorde nationale» qu’il s’est donnée comme cible

Un étonnant «effet Bouteflika» se développe en Algérie

Baudouin Loos, Le Soir, 9 juillet 1999

Avec un zèle impatient, le «raïs» mène sa barque et bouscule les préjugés. Résultats positifs. Jusqu’ici.

Que se passe-t-il en Algérie? Certes, le terrorisme conserve sa capacité de nuisance, quotidiennement avérée, mais les choses bougent. Et à un rythme tout à fait inattendu, par la volonté d’un homme, le nouveau président de la république Abdelaziz Bouteflika, qui a entrepris une oeuvre de réconciliation nationale avec une énergie déconcertante pour des Algériens jusque là habitués à subir la «hogra» (le mépris) du pouvoir. Pour autant, la fin de la crise ne peut être annoncée et l’avenir du pays reste sous hypothèque.

Ce jeudi soir, l’Assemblée nationale algérienne a entériné par une très forte majorité le projet de loi sur la «concorde civile» présentée par Bouteflika (seuls les députés du FFS et du PT se sont abstenus). Les débats n’ont pas donné lieu à des échanges passionnés, peu de députés s’opposant sur le fond du texte. Il s’agit, en bref, de donner une couverture juridique à la trêve conclue en septembre 1997 entre l’armée algérienne et l’Armée islamique du salut (AIS, branche armée du FIS, officiellement dissous il y a sept ans).

Quelque dix mille membres connus ou clandestins des groupes armés de cette mouvance pourraient en bénéficier dans un délai de six mois s’ils ne sont pas directement impliqués dans des attentats dans les lieux publics ou des actes ayant entraîné la mort, l’infirmité permanente et le viol. Ceux qui sont, au contraire, concernés par ces actes seront poursuivis mais pourront bénéficier de réductions de peine. Cette loi sera aussi soumise à l’approbation du peuple par voie référendaire, à une date non encore stipulée, ce que d’aucuns interprètent comme la recherche, par la présidence, d’une légitimation refusée par des urnes frelatées.

Mais le «raïs» algérien «élu» le 15 avril est déjà allé plus loin. Une grâce présidentielle s’appliquant aux islamistes qui n’ont pas de sang sur les mains est actuellement mise en oeuvre: plusieurs centaines de libérations ont déjà eu lieu et Bouteflika a lui-même précisé hier que « exactement 2.300 militants » islamistes allaient être relâchés.

CLASSE POLITIQUE MEDUSEE

Le président le martèle depuis des semaines: il fera la paix, à sa façon, c’est-à-dire rapidement, ou il s’en ira. A bon entendeur, salut! Tel un rouleau compresseur, il s’est engagé sur cette voie, multipliant des déclarations tapageuses qui le montrent tout à la fois arrogant et séducteur. Une prouesse.

La classe politique locale assiste, coite et médusée, à un concert tonitruant donné par un stentor soliste qui renvoie dos à dos « les intégristes éradicateurs » et l »es intégristes islamistes », qui estime que « l’arrêt du processus électoral [par l’armée en 1992] a été une violence », qui lâche le chiffre de « 100.000 morts » au lieu des quelque 30.000 jus-qu’ici admis, et qui, tout en remerciant l’institution militaire pour « avoir sauvé ce qui restait de crédibilité de l’Etat », ajoute qu’il pense, « comme beaucoup d’Algériens, que l’armée nationale populaire a tous les défauts des armées du tiers-monde ». On est loin de l’immobilisme du chef de l’Etat précédent, le général Liamine Zéroual! Où donc s’arrêtera Bouteflika?

La question n’est pas anodine. Elle évoque la principale inconnue: quel degré d’autonomie dispose-t-il vis-à-vis du «pouvoir réel», à savoir l’armée et ses principaux clans? L’ancien ministre des Affaires étrangères de Boumediene avait réussi à se faire adouber, sans enthousiasme il est vrai, par la Grande Muette l’hiver dernier à l’approche des présidentielles anticipées parce qu’il incarnait la pérennité du système qu’elle contrôle tout en lui conférant enfin un visage civil.

Mais, si l’officialisation de la trêve avec l’AIS semble s’être opérée avec l’assentiment de l’état-major – les GIA restant les mystérieux et redoutables derniers ennemis -, des observateurs se demandent si Bouteflika n’est pas en train de s’émanciper de ses tuteurs en costume kaki. Après quelques semaines d’expectative, une bonne partie de la presse francophone, liée au moins idéologiquement aux putschistes de 1992 critiqués par Bouteflika, a commencé à s’en prendre avec rage aux initiatives réconciliatices du président, lequel a très mal pris la chose puisque le limogeage subit du ministre de l’Information, il y a dix jours, serait la conséquence des accointances dudit ministre avec cette presse.

On peut sans doute commencer à dessiner le contour – encore flou – du rayon d’action présidentiel par rapport aux «décideurs». Répétées à plus de six reprises ces derniers temps, ses menaces de départ si le peuple ne le suivait pas paraissent s’adresser à l’armée. Mais il a dû s’incliner devant les pressions de l’institution militaire sur la levée de l’état d’urgence, dont on le dit preneur, et à laquelle il vient de renoncer publiquement jeudi, tout comme il a exclu la libération du chef historique du FIS, Abassi Madani, actuellement en résidence (de luxe, dit-il) surveillée.

Après ses propos osés mentionnés plus haut sur l’interruption des législatives de 1992 et sur l’armée algérienne typique du tiers-monde, Bouteflika a d’ailleurs opéré une claire et subtile courbe rentrante. « J’ai besoin de davantage de compréhension et de soutien afin de mettre fin à la fitna » (discorde), a-t-il dit aux plus hauts gradés le 5 juillet, jour de la fête nationale: « Vous, pionniers de l’expérience démocratique, avez été la cible des professionnels de la politique comme si vous étiez les ennemis de ce peuple. Je ne vous abandonnerai pas ».

MEME ASLAOUI ET SADI…

En tout cas, l’«effet Bouteflika» prend maintenant des proportions considérables. A l’exception du microscopique ex-parti communiste, de plusieurs associations de victimes du terrorisme – qui, non sans arguments, ont le sentiment d’être incomprises et abandonnées – et de quelques journaux, tout le monde se range nolens volens derrière le «raïs» et sa politique de concorde nationale. Jusques et y compris des personnalités connues pour figurer parmi les chantres de l’«éradication» de l’islamisme politique, comme l’ex-ministre Leila Aslaoui ou le président du Rassemblement pour la culture et la démocratie Saïd Sadi. Ce dernier se déclare maintenant en faveur d’un gouvernement d’union nationale.

La jeunesse, de son côté, obsédée par les mille et une difficultés de la vie quotidienne, a déjà retenu une conséquence positive autant qu’inespérée de l’arrivée de Bouteflika: le 5 juillet, plus de 50.000 Algérois ont pu applaudir à tout rompre la prestation du roi du raï, Cheb Mami. La première après dix ans d’absence.

 

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