Algérie: l’attente des familles de graciés

Algérie: l’attente des familles de graciés

Coïncidence?
Six militaires tués dimanche dans une embuscade à Jijell
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José Garçon, Libération, 7 juillet 1999

Partout, devant les prisons d’Algérie, les familles attendaient depuis des heures sous un soleil de plomb. Hier, comme la veille, au premier jour des libérations de détenus islamistes graciés par le chef de l’Etat Abdelaziz Bouteflika, l’angoisse, le silence et l’absence totale d’informations rendaient l’attente interminable. Qui? Combien? Quand? On n’en savait pas plus aux portes des établissements pénitentiaires que dans les déclarations et communiqués officiels. Et puis, les détenus islamistes ont commencé à sortir, presque toujours par groupes: 80 de Serkadji et El Harrach à Alger, 200 à Tizi, 138 à Chlef, 80 à Béchar, 200 à Berrouaghia, selon la presse algérienne.

Retrouvailles. Ici, ils ne disent mot, là ils font le V de la victoire, ailleurs ils sont accueillis aux cris de «Tahya El Djazaïr» (Vive l’Algérie). Et partout, les youyous, les larmes des retrouvailles et le désespoir de ceux qui sont venus pour rien, mais qui seront là demain et encore et encore jusqu’au 10 juillet, date à laquelle devrait s’achever la mise en liberté des graciés. Au milieu de cette foule, les familles des «disparus» – grands absents de la mesure de détente présidentielle – veulent croire que peut-être… Toutes seront déçues, mais elles reviendront quand même chaque jour au cas où. Et elles tentent de se convaincre, rapporte hier El Watan, que «si Bouteflika a eu le cran de libérer des terroristes, il aura le courage de nous éclairer sur le sort de nos enfants».

Jusqu’ici, le chef de l’Etat n’a évoqué ce sujet épineux – les «disparus» ont été enlevés par les forces de sécurité et les milices paramilitaires – que pour promettre la création d’une commission d’enquête.

Virulence. En attendant, ses mesures de grâce – qualifiées hier de «positives» par Amnesty International – continuent à être attaquées par la presse privée. Celle-ci dénonce «la libération des assassins» avec une virulence qui tranche avec le ton employé lundi soir par Abdelaziz Bouteflika dans le discours prononcé à l’occasion du 37e anniversaire de l’indépendance. «Je crois, a-t-il dit, que nous n’avons pas besoin de vainqueur et de vaincu car toute goutte de sang qui coule chaque jour en Algérie de l’une ou l’autre partie est algérienne […] Je souhaite que chaque citoyen comprenne une fois pour toutes que la collectivité nationale n’incrimine pas un enfant de 5 ou 10 ans dont le père a dévié du droit chemin.»

Embuscade. Ce début de dynamique va-t-il relancer les violences comme on l’a vu, par le passé, chaque fois qu’une amorce de règlement de la crise semblait se dessiner? Six militaires ont en tout cas été abattus et deux autres blessés dimanche – le jour même où Bouteflika annonçait ses mesures de grâce – dans une embuscade près du village d’El Aouna, dans la région de Jijell, à 240 km à l’est d’Alger. Attribuée par la presse aux GIA, cette attaque marque une coïncidence troublante: Jijell est l’une des trois zones où sont cantonnés les «combattants» de l’AIS, le bras armé du FIS, dont l’adieu aux armes «définitif» a entraîné les récentes mesures de clémence. On ne pouvait mieux minimiser l’impact de la trêve de l’AIS et compliquer les initiatives du chef de l’Etat.

 

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