Vrais problèmes, fausses solutions

Autoroute Est-Ouest, logements, Grande Mosquée d’Alger, Silos de Corso, stades de Tizi-Ouzou et Baraki

Vrais problèmes, fausses solutions (1re partie)

Pr Abdelkrim Chelghoum (*), Le Soir d’Algérie, 14 décembre 2014

Avant d’entrer dans le vif du sujet, je souhaite simplement rappeler quelques fondamentaux concernant l’état des lieux des carences majeures des grands projets dits du «siècle» sur les plans de l’organisation, de la conception, de la sécurité, du pilotage et du coût ; il faut dire que tous ces aspects ont été clairement identifiés, analysés et discutés dans mes diverses contributions parues antérieurement dans le quotidien national Le Soir d’Algérie pour ne citer que celle du 2 février 2014 sous le n°7 091, intitulée «Les véritables raisons de l’effondrement du tunnel de Djebel El-Ouahch», celle du 13 mars 2014 sous le n°7125, intitulée «Ces catastrophes en cascade qui touchent l’autoroute», puis celle du 15 juin 2014 sous le n°7203, intitulée «Viaduc TransRummel de Constantine : des carences majeures» et enfin celle du 9 avril 2014 sous le n°7148, intitulée «Réalisation de 3 millions de logements. Avril 1999-avril 2014 ou l’impossible équation». En effet, au cours de chacune de ces interventions, l’attention des pouvoirs publics a toujours été attirée sur la faiblesse des procédures de gestion et de contrôle et surtout l’absence de rationalité dans le processus global de suivi des constructions dans les secteurs de l’habitat, des travaux publics, de l’hydraulique et de l’énergie et que cet état de fait pouvait comporter, sans nul doute, une dangerosité pour la sécurité et la durabilité du bâti, d’une part, et engendrer des pertes financières considérables à l’économie nationale, d’autre part. Aussi, il serait encore une fois tout à fait judicieux et légitime de reposer la problématique de la stratégie (s’il en existe une) suivie par les pouvoirs publics dans la planification, la maturation et la coordination des projets de grande importance. De ces questionnements et des réserves émises dans le cas de chaque ouvrage, la réponse des principaux décideurs s’est toujours limitée au triptyque «refus de débat-immobilisme-statu quo» qui s’illustre parfaitement dans cette phrase chère à un ministre de cette République : «La caravane passe et les chiens aboient.»
Je tiens aussi à tranquilliser un des mes amis intimes que mes écrits ne sont ni excessifs, ni alarmistes, ni défaitistes, ils n’exposent qu’un point vue réaliste face à une gouvernance «têtue» et à des décisions d’ordre politique menée tambour battant sans «gouvernail» et source d’une casse généralisée aux conséquences incommensurables.
Encore une fois, les dernières décisions engageant la crédibilité de ce pays, prises par le gouvernement de façon unilatérale, toujours dans la précipitation, en l’absence de tout débat contradictoire, démontrent clairement l’inexistence absolue d’une quelconque stratégie de gestion des grands projets de construction dont le coût prohibitif affecte directement le très fragile développement du pays et surtout son impact direct à court terme sur le Trésor public (alimenté à 98% par l’exploitation du gaz de Tiguentourine et le pétrole des Hassi, ressources non renouvelables et sujettes à fluctuation en matière de prix) compte tenu aujourd’hui de la situation défavorable engendrée par la dégringolade des cours du baril sur les marchés internationaux et ce qui devrait, en toute logique, interpeller ces messieurs en charge de la sécurité nationale. Il faut dire que le gaspillage tous azimuts de centaines de milliards de dollars US depuis 1999 sur ces projets phares aléatoires basés sur l’improvisation qui de plus ne répondent à aucun des critères minimaux de l’acte de bâtir tels que la qualité, l’esthétique, le respect des normes, la fonctionnalité, les délais d’exécution et la sécurité, nous interpelle sur le plan technique en raison des sinistres enregistrés quotidiennement au cours de leur réalisation mais surtout après leur mise en service avec les multiples opérations de reprise en sous-œuvre sous forme de bricolage et de bâclage par de faux professionnels et des tâcherons érigés en groupes, ce qui a entraîné indéniablement des surcoûts exorbitants uniques au monde. Voilà pourquoi la présente contribution s’attachera à diagnostiquer l’état de santé de ces projets et surtout à évaluer très brièvement l’impact des dernières décisions de ce gouvernement concernant la résiliation du contrat avec le groupement Coojal, le contournement de Djebel El Ouahch après la catastrophe structurale du premier janvier 2014, la nouvelle stratégie gouvernementale adoptée pour la modernisation et la production de logements, un questionnement sur l’état d’avancement des chantiers concernant les stades de Tizi Ouzou et de Baraki, le nouveau pilotage du chantier de la grande mosquée, le dossier relatif au confortement du complexe agroalimentaire de Corso (wilaya de Boumerdès) abritant cinq batteries de silos stratégiques, projet abandonné par les pouvoirs publics depuis 2004, et ce, malgré l’existence d’un dossier technique complet dûment approuvé par les organes de contrôle. Je ferais également une brève incursion en donnant un avis sur la stratégie gouvernementale relative à l’exploitation du gaz de schiste, ainsi que sur l’énigmatique décision prise en Conseil des ministres officialisant le gré à gré dans la passation des marchés publics. Il faut dire que cette démarche managériale qui occulte «toute l’action de correction par priorité à la source» reste basée essentiellement sur la sous-traitance des gros contrats à tout bout de champ aux entreprises étrangères sans qualifications avérées et le refus «pavlovien» de faire appel à toute expertise nationale. Ce qui a engendré la situation chaotique que connaît le pays au jour d’aujourd’hui avec la perte sèche de milliards de dollars sans valeur ajoutée sur les plans social, économique urbanistique et éducationnnel, d’une part, et surtout le grave préjudice porté aux experts et professionnels nationaux de l’acte de construire, d’autre part.

A propos de l’autoroute Est-Ouest
Dans l’article paru dans Le Soir d’Algérie du 14 mars 2014 sous le n°2125, nous avions dressé un inventaire très succinct des catastrophes en cascade qui ont affecté ce projet. La présente contribution complète cet inventaire par un bref constat actualisé des sinistres gravissimes qui continuent à foisonner le long du tracé de cette autoroute, ainsi qu’au niveau de certains ouvrages d’art et presque la totalité des aménagements routiers aux entrées, sorties et contournements de certaines agglomérations du centre pour ne citer que les cas du dédoublement de la voie entre Chéraga et Beni Messous, l’élargissement des routes à l’entrée de la ville de Boumerdès et la bretelle de contournement de cette agglomération vers Zemmouri ; à ce jour, je tiens à rappeler les cas les plus préjudiciables qui se trouvent toujours dans le même état sinon pire et qui continuent malheureusement à mener la vie dure aux usagers de ces réseaux routiers comme :
– l’effondrement du tunnel gauche et l’endommagement très important du deuxième tube mitoyen le premier janvier 2014 à Djebel El Ouahch (Constantine), lesquels sont toujours inaccessibles à la circulation ;
– la fermeture depuis plus de deux années du tronçon de la deuxième rocade d’Alger Sud reliant Tipasa à Boumerdès au niveau de la bretelle Sidi Moussa-Baraki avec la reprise de tout le corps de chaussée toujours fermée à la circulation au jour d’aujourd’hui et transformée en simple route à double sens avec tous les dangers encourus à tout instant par les usagers ;
– des reprises en sous-œuvre sur plusieurs tronçons de cette autoroute entre Blida et Chlef avec une très mauvaise signalisation et un «changement de statut autoroute-simple route» en zigzag, un véritable calvaire !
– affaissements préjudiciables, grandes déformations et dénivellements de la chaussée, éboulements majeurs et effondrements des remblais, etc., le long du tronçon Bouira-Lakhdaria toujours livré à des travaux de bricolage qui continuent à évoluer au petit bonheur la chance sans aucun respect des normes techniques basiques ni des délais contractuels. C’est une situation dramatique qui perdure depuis quelques années sans un contrôle rigoureux de la part du maître d’ouvrage qui ne semble pas s’inquiéter des conséquences engendrées par ces sinistres qui peuvent s’amplifier et qui constituent de plus un véritable calvaire pour tous les usagers de ce tronçon ;
– graves phénomènes de glissement et d’affaissement d’éboulis réguliers et évolutifs au niveau du tunnel de Lakhdaria (wilaya de Bouira), une autre preuve de la superficialité des études géotechnique et géodynamique des sols en place ;
– anomalies flagrantes répétitives sur l’ensemble du réseau routier telles que : bande d’arrêt d’urgence exiguë, stagnation importante des eaux sur la chaussée, avaloirs posés de façon aléatoire, autoroute, voies express, trémies inondées après un quart d’heure de précipitations, etc.) ;
– signalisation archaïque engendrant quotidiennement des victimes.
– conception erronée et faux dimensionnement au niveau de certains éléments structuraux porteurs du viaduc TransRummel de Constantine qui risqueraient un endommagement préjudiciable si un séisme sévère venait à secouer cette région ;
– travaux catastrophiques exécutés à pas de fourmi avec une organisation à la fois minable et anarchique apparente au niveau des deux sites sus-cités, le premier concerne le dédoublement de la pénétrante Chéraga-Beni Messous, un tronçon de trois kilomètres environ qui perdure depuis plus de trois ans et le second concerne l’élargissement des routes à l’entrée de la ville de Boumerdès ainsi que la bretelle de contournement vers Zemmouri dont les travaux évoluent très lentement défiant les principes élémentaires de programmation généralement respectés par de simples tacherons. Nous avons constaté que ces projets sont toujours confiés au même pseudo-groupe de travaux publics qui peine à exécuter correctement toutes les tâches requises par ces ouvrages comme les terrassements, canalisations, avaloirs et même allées de trottoir. Le maître d’ouvrage gagnerait à se pencher sur les clauses contractuelles relatives à ces aménagements routiers et surtout aux montants payés à ce jour par le Trésor public.
Triste tableau qui nous est toujours présenté dans le pays !
Voilà maintenant que le nouveau ministre de ce secteur (le troisième en deux ans), à peine installé, décide de reprendre en main la gestion de certains dossiers épineux et très controversés légués par ses prédécesseurs ; ce qui est très bien pour une approche managériale d’évaluation et d’audit. Malheureusement, on peut déceler quatre graves erreurs d’appréciation dans cette nouvelle stratégie ; la première concerne l’opération contournement de Djebel El Ouahch, la deuxième a trait à la résiliation du contrat avec le groupement japonais Coojal en charge du tronçon Est de ce projet, la troisième exposera l’inénarrable option du péage payant de cette autoroute et enfin la quatrième bévue concerne le lancement du projet de la nouvelle autoroute des Hauts-Plateaux toujours dans l’improvisation sans études détaillées relatives au profil, à la géotechnique, la géologie et les ouvrages d’art ni aucune étude d’impact sur l’environnement traversé. En effet par rapport à la première inexactitude, j’avais soulevé dans l’article n°7125 du Soir d’Algérie les interrogations suivantes :
– «connaissant très bien la topographie de la région en question, je pense que la projection même de ces deux tubes est inadéquate et erronée ;
– pourquoi l’approche relative au contournement de l’obstacle de Djebel el Ouahch n’a pas été envisagée au niveau de l’avant-projet ?
– dans ce cas particulier, on aurait fait, sans doute, une économie substantielle d’argent et une réduction drastique des risques encourus ainsi que des délais de
réalisation !»
Au vu de toutes ces suggestions, la solution la plus rentable et la plus rapide serait la réparation et le renforcement dans l’immédiat de ces tubes et non le contournement qui va nécessiter plus de temps et de moyens financiers, une perte sèche pour le Trésor public.
Concernant la deuxième décision relative à la résiliation du contrat entre l’agence ANA et le groupement Coojal et compte tenu des explications et justifications exposées par ce groupement dans la presse nationale, un véritable réquisitoire techniquement fondé à mon avis, il ressort clairement que l’administration algérienne est en défaut, ce qui est très plausible, connaissant la déliquescence avancée dans laquelle baignent les institutions de la République. Il n’y a qu’à se référer aux résultats des arbitrages internationaux et procédures judiciaires relatifs aux affaires précédentes concernant Djezzy, Sonatrach et autres… et qui ont donné lieu à des mesures compensatoires toujours en faveur des plaignants étrangers engendrant des pertes de milliards de dollars au Trésor public sans qu’une quelconque sanction soit prise par les décideurs contre les principaux responsables. Dans le contexte de ces affaires juridiques, mon cher ami le professeur Si Hamid Berchiche pourrait, j’en suis convaincu, développer ce volet en proposant la stratégie nécessaire qui permettrait aux différentes entreprises algériennes impliquées de s’en sortir honorablement et sans trop de casse. Par rapport à la troisième faute, il serait totalement inadmissible d’imposer un paiement et puis si on devait le faire que ne l’a-t-on mis en place pour la mise en service ? Autant d’atermoiements qui sont sources de problèmes aujourd’hui d’autant que l’autoroute qui ne répond à aucune norme technique universelle de sécurité, d’ergonomie et de commodité facilement vérifiables sur des ouvrages similaires dans d’autres pays.
De plus il serait judicieux de s’interroger sur les raisons d’une telle option alors que dans les Mecques du capitalisme et de la rigueur budgétaire comme le Royaume-Uni, l’Allemagne ou les Etats-Unis, tous les réseaux autoroutiers construits selon des normes et des règles de l’art parfaitement draconiennes sont gratuits. Dans ce cas spécifique, nous pensons que le ministre aurait dû se pencher plutôt sur la stratégie à adopter pour assurer d’ores et déjà la mission réparation et remise aux normes de plus 50% de tout le réseau autoroutier en désignant une commission d’experts indépendants dont la mission principale serait l’élaboration d’une charte technique et d’un corpus de règles fiables pour la correction de toutes les carences citées plus haut.
Quant à la quatrième méprise justifiant le gré à gré en catimini pour les entreprises publiques, privées et même étrangères, il est clair que cette option relève de l’illégalité dans le fond et la forme et de ce fait n’est pas digne d’un Etat de droit car elle vient d’ouvrir la voie à l’illégalité et à un pillage en règle des deniers publics. Je ne connais pas un seul pays au monde qui ait adopté une telle procédure, même dans des situations d’urgence, à part les Républiques bananières d’Afrique, les royaumes arabes du Moyen-Orient et la Chine.
Le ministre assure dans le quotidien Le Soir d’Algérie du 16 novembre 2014 qu’il a une confiance totale dans toutes les entreprises nationales. «Déclaration bizarre», alors pourquoi ces entreprises ont été sciemment écartées et mises dans un état de délabrement total avant le lancement du projet de cette autoroute ? Le résultat d’une telle politique absurde, unilatérale, sans débat technique est édifiant, à savoir : une autoroute exiguë sans commodités, cabossée, défoncée, crevassée, lézardée laissant place régulièrement à l’apparition sur l’ensemble du tracé d’ornières et de bourrelets pathologiques ce qui constitue un réel cas d’école en matière d’inepties et de graves erreurs techniques inacceptables sur n’importe quel ouvrage de génie civil quels que soient son importance, sa destination et son lieu d’implantation. Il faut dire également que ce ruban de goudron à l’état actuel est le plus cher au monde (environ 15 milliards de $) et nécessitera au moins la moitié de ce montant pour sa remise aux normes.
Autant donc de questions auxquelles des réponses doivent être apportées.

A propos de la dernière démarche du gouvernement pour moderniser le secteur de la construction de logements
Au cours de la journée d’étude sur l’industrialisation du bâtiment en Algérie sous le slogan pompeux «Modernisation de la construction, promotion du logement et préservation de l’identité nationale» organisée par le ministère de l’Habitat et de la Ville le 30 septembre 2014 au Palais des nations, j’ai été très surpris par la simplicité des thèmes présentés, l’absence d’originalité et la non-justification technique de tous les procédés et systèmes constructifs proposés par les commerçants étrangers.
Il faut dire également que certains exposés comme ceux relatifs au coffrage tunnel (intensément expérimenté par mes soins en 1977-78 sur le projet OMRC à la DNC), le pilotage, l’ingénierie de la construction nous renvoient 40 ans en arrière et sont en contradiction directe avec le slogan de cette journée. Par rapport à ce contexte, dans notre précédente contribution parue sous le n°7148 du Soir d’Algérie intitulée «L’impossible équation», nous avions clairement noté que la solution de ce problème ne réside pas dans cette utopie de réaliser par miracle l’euphémisme accroché au «déficit programme de logements à construire» sur l’unique critère de bases statistiques à seule fin de satisfaire immédiatement des promesses politiques en décalage total avec les ingrédients économiques alors que la véritable réponse est l’utilisation rationnelle de nos ressources humaines et matérielles disponibles et en l’état sous un nouveau management qui permettrait d’identifier les moyens appropriés pour envisager une transformation qualitative de la vie et d’autre part mettre fin à l’exécution du modèle de développement actuel dont l’irrationalité des choix a entraîné ce pays avec toute sa population dans un processus d’involution irréversible. Et voilà qu’aujourd’hui le ministère vient de proposer la solution de préfabrication pour industrialiser et moderniser le secteur de la construction, ce qui nous renvoie 40 ans en arrière, c’est-à-dire un retour à la case départ. Il est utile de rappeler que cette démarche a été largement expérimentée dans les années 1970 par les grandes entreprises nationales de l’époque mobilisant des investissements énormes pour ne citer que les plus importantes comme la DNC/ANP à Sidi Moussa, la Sonatiba à Skikda et Constantine et toutes celles relevant du ministère de l’Industrie de l’époque, «les Sider».
– Car qui a construit durant les années 1970 et réalisé avec succès les objectifs des différents plans ; si ce n’est ces entreprises ? – Qui a introduit de nouvelles techniques dans la façon de construire et initié les premiers partenariats porteurs de nouvelles technologies ; si ce n’est ces entreprises ?
– Qui a veillé à ce que l’APEX (appel à des capacités extérieures) limite au maximum le recours à des produits importés et à une consommation maîtrisée de devises et non celle qui consiste et dans la précipitation au recours massif à des entreprises ou prestataires divers sans contrepartie et sans aucune retombée pour l’économie du pays, n’étaient ces entreprises ?
– Qui a formé et mis en place des structures de formation adaptées très performantes, n’étaient ces entreprises ?
Il faut dire que sur la base du ratio coût de l’investissement par rapport au nombre projeté de logements produits, il a été conclu au début des années 1980 que ce procédé était loin de répondre aux objectifs de célérité et rentabilité recherchés ; de plus, aujourd’hui il est clairement établi techniquement que cette technique de préfabrication lourde est prohibée dans les zones à forte activité sismique telles que le nord de l’Algérie. Alors comment peut-on avancer un tel choix foncièrement obsolète, c’est-à-dire un retour vers l’échec par une institution gouvernementale sans une quantification du risque encouru ni étude préalable qui devrait tenir compte des aspects architectural et artistique, d’une part, et ceux du coût, de la sécurité et de la rentabilité, d’autre part, alors que lors de son allocution d’ouverture M. le Premier ministre a clairement insisté sur le respect de toutes ces apparences et ces aspects artistiques mais aussi la nécessité de commencer à projeter des bâtiments intelligents – «smart building» – ce qui est en totale contradiction avec les thèmes exposés.
Je ne peux qu’approuver cette démarche présentée par M. Sellal et qui représente, à mon avis, le pré-requis pour une véritable modernisation du secteur de la construction en Algérie ; un grand bravo pour M. le Premier ministre !
A. C.
(A suivre)

(*) Docteur du Laboratoire GPDS (Génie parasismique, dynamique et sismologie)
Président Club des risques majeurs.


Autoroute Est-Ouest, logements, Grande Mosquée d’Alger, Silos de Corso, stades de Tizi-Ouzou et Baraki

Vrais problèmes, fausses solutions (2e partie et fin)

Pr Abdelkrim Chelghoum(*), Le Soir d’Algérie, 15 décembre 2015

A propos du projet de la Grande Mosquée d’Alger
Trois ans après le lancement des travaux en grande pompe de cet ouvrage par le ministre des Affaires religieuses, et ce, malgré tous les questionnements soulevés par rapport aux multiples aléas géotechniques et géologiques, d’une part, et d’autre part, les multiples risques majeurs encourus (mitoyenneté d’une autoroute et d’un grand oued «pollué» avec les risques d’inondations et regroupements humains importants), dangers clairement identifiés et explicités dans deux contributions publiées dans le quotidien Le Soir d’Algérie en 2012 ; voilà qu’au jour d’aujourd’hui l’état des lieux de ce chantier-pilote présenté comme un modèle de référence par les responsables publics lors de son démarrage est plus que sujet à caution. Nous assistons ainsi à des changements importants au niveau de la gestion courante et du pilotage de cet ouvrage comme :
– le retrait «définitif ou provisoire ?» du cabinet allemand chargé de la maîtrise d’œuvre. Pour quelles raisons ?
– Le changement du maître d’ouvrage. En effet le ministère des Affaires religieuses vient d’être débarqué et remplacé par le ministère de l’Habitat, du pareil au même ! Dans ce cas, il aurait été, pensons-nous, plus judicieux et plus professionnel de designer un maître d’ouvrage délégué regroupant uniquement des experts et BET’s indépendants afin de permettre une évaluation objective de l’état des lieux de ce projet et surtout imposer un suivi et un contrôle rigoureux au niveau de toutes les phases d’exécution et des intervenants sur le site ;
– l’entreprise chinoise présentée comme une institution infaillible par les pouvoirs publics malgré sa réputation très douteuse (il n’y a qu’à faire une brève consultation sur internet) accuse un retard dans les travaux sans que des pénalités, pourtant comprises dans les clauses du marché, soient appliquées, une «véritable forfaiture technique» ;
– où sont passés les 100 kg et les 10 000 pages du dossier technique présenté par les responsables de l’Anargema comme infaillible en réponse à nos préoccupations et nos questionnements soulevés quant à la robustesse et la maturation des études d’exécution. Aussi un simple constat visuel permet de conclure sur le sur-ferraillage des différents ouvrages composant ce projet ; dans ce cas, une question mérite d’être posée : quelle est l’utilité des appuis sismiques (très onéreux) si la superstructure est hyper-rigide et ferraillée à l’extrême. Il est facile de prouver que les quantités de béton et d’acier utilisées dans ce projet sont nettement supérieures à celles requises pour une centrale nucléaire de la même dimension. Quelle gabegie ! Et pour cause !

A propos du confortement des silos stratégiques de Corso
La situation du dossier «confortement et réhabilitation du complexe agroalimentaire de Corso (wilaya de Boumerdès)» est quasi statique depuis novembre 2004. Ce projet qui concerne principalement la démolition de la cinquième batterie de silos fortement cisaillée par le séisme qui a ébranlé la région de Boumerdès le 21 mai 2003 et le renforcement structural des quatre autres batteries ainsi que des deux moulins. En 2013, le gouvernement algérien avait décidé d’offrir unilatéralement 50% de cet énorme complexe (propriété exclusive du groupe Eriad Centre) à un fabricant de couscous (berkoukes) avec comme seul objectif, je suppose, le pilotage et le financement de toute l’opération clairement explicitée et détaillée dans le cahier des charges élaboré par le cabinet GPDS et disponible au niveau du groupe Eriad Centre. En effet cette mission concerne la reprise en sous-œuvre par des travaux «chirurgicaux» sur des ouvrages complexes nécessitant une connaissance parfaite des pathologies des sinistres provoqués par le séisme, d’une part, et le modèle exact des infrastructures en place, d’autre part. Ne possédant ni l’expérience, ni l’équipe technique adéquate, ni les moyens financiers correspondants pour ce type de réparation structurale, le nouveau copropriétaire a adopté une attitude immobile de «wait and see» laquelle a débouché inéluctablement sur une situation de statu quo mettant en danger l’avenir professionnel de tout le personnel du groupe Eriad alors que l’Algérie manque sérieusement de capacités de stockage de grains (il n’y a qu’à se référer aux divers appels d’offres lancés récemment par le ministère de l’Agriculture pour «études et réalisations de silos à travers plusieurs wilayas» pour comprendre l’urgence de la mise en chantier de ces ouvrages. Pour combler le vide abyssal engendré par cette défaillance, le nouveau bénéficiaire a choisi d’engager quelques travaux superficiels d’aménagement de l’ancienne boulangerie industrielle des Eriad qui, il faut le dire, n’a subi aucun endommagement lors du séisme de Boumerdès compte tenu de sa typologie, la régularité et la simplicité de sa superstructure. Ce qui nous autorise à conclure que l’Etat n’a rien gagné de cette opération, bien au contraire, et on peut sur ce point affirmer sans la moindre hésitation que beaucoup de temps et d’argent ont été gaspillés et perdus pour rien !

Un bref questionnement sur les projets des stades de Tizi-Ouzou et Baraki
Des retards considérables défiant toute notion de programmation et de planification sont enregistrés au niveau de ces deux chantiers. Le stade de Tizi-Ouzou cédé à un groupe privé algéro-espagnol patauge dans des problèmes inextricables dus à une mauvaise conception des infrastructures (semelles quasi superficielles pour un ouvrage de cette importance), ainsi que du système d’ancrage de sa couverture (système très controversé). C’est toujours le résultat de la superficialité des études techniques faites dans la précipitation et en l’absence d’une mission sérieuse de pilotage, de suivi et de contrôle qui sont à l’origine de ces carences. Il en est de même pour le stade de Baraki qui en plus souffre d’une mauvaise investigation géotechnique par rapport aux caractéristiques mécaniques et dynamiques de son sol d’assise à la fois lâche et marécageux. Avec ce bref constat descriptif des tares et carences gravissimes facilement identifiables sur la totalité des projets dits du «siècle», résultat direct de la concomitance des trois conditions nécessaires et suffisantes pour la mise en échec d’un projet de génie civil quelle que soit son importance, à savoir la faiblesse et la fragilité de toute la structure des pouvoirs publics en charge du pilotage, de la maturation et du lancement «improvisé» de ces projets, l’absence d’expertise fine couplée avec un encadrement technique «rachitique» au niveau des organes nationaux de suivi et de contrôle et enfin l’inconsistance des textes normatifs nationaux. Pour les professionnels et les experts de l’acte de construire, ces défaillances majeures qui touchent de plein fouet le socle même de l’Etat algérien ne peuvent s’expliquer que par l’absence totale d’une gestion saine et intelligente des ressources humaines.
Dès lors ne sommes-nous pas en droit aujourd’hui de nous poser la question suivante : que sont devenues ces trois générations de cadres et professionnels compétents laminées depuis 1999, frappées d’ostracisme, excommuniées et remplacées par des personnages dithyrambiques totalement soumis sans formation adéquate sans bilan pré-requis et sans l’envergure nécessaire.
Malgré la grande divergence d’opinions parmi les experts vis-à-vis des méthodologies d’approche pour une conception fiable des modèles de développement, notre conviction est qu’en prévision d’un désastre naturel (à ne pas exclure) qui va nécessiter des sommes colossales pour la protection des biens et des personnes et face à l’accélération du mouvement de la dégringolade des cours du brut sur les marchés internationaux et l’impact direct sur l’avenir économique et social de ce pays, les décideurs devraient marquer une pause dans le lancement des projets du quinquennat 2014-2019 insuffisamment maturés (aspect technico-économique) avec la mise en place d’une commission nationale regroupant des experts indépendants et des bureaux d’études privés et publics ayant fait leurs preuves toutes filières confondues pour procéder dans l’immédiat à une évaluation objective et à un audit détaillé de tous les projets livrés ou en cours de réalisation, ce qui permettrait de dégager des propositions de correction et/ou de changement de cap si nécessaire. Le résultat à l’échelle national est patent, à savoir un pays en lambeaux (titrait le quotidien français Le Monde dans son édition du 25 novembre 2014), un pays disloqué, asphyxié, embouteillé en long en large et en hauteur, un pays hermétiquement fermé. En conclusion, permettez-moi de faire une brève incursion dans un domaine qui n’est pas le mien en référence à un article de presse en réponse à une proposition d’un ancien Premier ministre concernant l’une des solutions à la situation politique en Algérie. Dans cet article, j’ai été surpris par l’utilisation de vocables tels que «neutralité», «intérêts supérieurs de l’Etat», ce qui appelle de ma part les questions suivantes :
1- Laminer et excommunier trois générations de cadres et experts compétents en les mettant à la retraite à l’âge de cinquante ans et moins ne relève-t-il pas «des intérêts supérieurs de l’Etat» ?
2- Lancer des projets qui connaissent quelques années plus tard des surcoûts exorbitants (4 ou 5 fois supérieurs au prix initial pour la plupart) ne relève-t-il pas «des intérêts supérieurs de l’Etat» ?
3- Lancer des projets d’importance majeure à coup de centaines de milliards de dollars en l’absence d’organes compétents d’études, de contrôle et de suivi ne relève-t-il pas «des intérêts supérieurs de l’Etat» ?
4- Approuver une politique énergétique qui fixe le prix d’un litre de gasoil à celui d’un demi-litre d’eau minérale ou celui de 200 g de patates ne relève-t-il pas des «intérêts supérieurs de l’Etat» ? Car pour nous cela hypothèque l’avenir des générations futures du pays et participe très fortement à tous les gaspillages que nous dénonçons.
5- Importer 17% de la production mondiale de la poudre de lait pour quelle destination, ne relève-t-il pas «des intérêts supérieurs de l’Etat» !
6- Mettre l’université dans un état de sinistrose et de délabrement avancé avec des infrastructures «dégueulasses» qui ne répondent à aucune norme tant au plan pédagogique qu’à l’élémentaire niveau de la propreté, voire l’hygiène et avec la mise en place sans consultation avec le corps enseignant-chercheur d’un système LMD ravageur et inopérant en matière d’amélioration de la ressource humaine du pays plagié en bloc à partir d’internet et sans l’environnement adéquat ni moyens pré-requis pour un système profondément interactif avec le milieu du travail ne relève-t-il pas «des intérêts supérieurs de l’Etat» ? Un bilan de cette réformette est sans appel, à savoir :
– une forte inflation de diplômes sans valeur, des thèses de master et de doctorat plagiées et soutenues avec la complicité de jurys complaisants et dont les membres n’ont généralement aucune relation avec les sujets exposés ;
– une inflation massive de «laboratoires de recherche» avec des sujets de recherche «bidon» réchauffés, le plus souvent plagiés. Le plagiat étant devenu la mode et l’air du temps dans ce pays sous le silence complice de la tutelle. Le résultat est que nous sommes face à une université inclassable, des responsables inamovibles depuis plus de 15 ans et une absence patente de production scientifique de renom.
A. C.

(*) Docteur du Laboratoire GPDS (Génie parasismique, dynamique et sismologie)
Président Club des risques majeurs.