Algérie : Bouteflika joue l’amnistie

Algérie : Bouteflika joue l’amnistie
Le Président annonce la libération de milliers d’islamistes.

José Garçon, Libération, 5 juillet 1999

La confirmation était attendue depuis plusieurs jours. Elle est survenue symboliquement hier, à la veille du 5 juillet, date du 37e anniversaire de l’indépendance. «Des milliers de prisonniers islamistes qui ne sont pas impliqués dans des crimes de sang et de viol» ont été graciés par le chef de l’Etat. Le communiqué de la présidence consacrant une mesure de grâce annoncée mardi dernier souligne qu’Abdelaziz Bouteflika entend ainsi exprimer que «la lutte contre le terrorisme ne se limite pas au combat contre l’activité terroriste, mais vise aussi à éliminer les causes et les sources de frustrations». On ignore le nombre des bénéficiaires de cette loi qui sera soumise demain au Parlement, mais il oscillerait entre 5 000 – chiffre le plus probable – et 15 000. On ne connaît pas non plus le sort d’Ali Benhadj, seul des «chefs historiques» du FIS à être toujours en détention et dont Bouteflika conditionnerait la libération à son adhésion à la «concorde civile». En attendant, seuls sont officiellement concernés par l’amnistie ceux qui «n’ont pas de sang sur les mains», c’est-à-dire ceux qui ont fait partie des «réseaux de soutien et de logistique des groupes armés», et qui ont déposé les armes ou les déposeront dans les six mois. Ceux qui ont participé à des attentats «mais pas à des massacres collectifs» et qui se seront repentis seront «mis sous observation de l’Etat pour trois à dix ans». Une troisième «catégorie de terroristes non admis au régime de probation» – sa définition reste peu claire – bénéficiera d’une «atténuation de peines».

Hypocrisie. Ces distinguos ne sont toutefois pas exempts d’hypocrisie. En effet, si les «combattants» de l’Armée islamique du salut (AIS) ne se sont pas attaqués aux civils, ils n’ont épargné ni les forces de sécurité ni les miliciens armés par le gouvernement. L’un des objectifs poursuivis par l’état-major dans les tractations qui ont abouti, en octobre 1997, à la proclamation d’une trêve unilatérale par l’AIS, le bras armé du FIS, était d’ailleurs de préserver les forces de l’ordre des attaques de l’AIS. Un autre jésuitisme de la grâce réside dans les poursuites annoncées. En effet, depuis un mois, les tribunaux militaires, particulièrement celui de Blida, multiplient les «non-lieux» à l’égard des «terroristes».

«Faiseur de paix». Spectaculaire, l’amnistie officialisée hier vise, en fait, tout à la fois à «boucler» un accord secret entre l’armée et l’AIS, à permettre au chef de l’Etat de tenir ses promesses électorales de «réconciliation nationale» et à couper l’herbe sous le pied de ses opposants. Le mot d’ordre de «paix», populaire s’il en est en Algérie, figurait dès janvier 1995, dans l’«offre de paix» signée à Rome par une opposition qui s’était fait agonir d’injures pour avoir discuté publiquement avec les «politiques» du FIS et réclamé l’ouverture d’un «dialogue» avec ces derniers. L’amnistie contenue dans l’accord conclu en 1997 entre les généraux et les «militaires» du mouvement islamiste était en effet restée lettre morte en raison d’une âpre lutte de clans qui avait accéléré le départ de Liamine Zeroual, prédécesseur de Bouteflika.

Dès son arrivée au pouvoir le 15 avril, ce dernier va mener ce dossier au pas de charge. Les militaires espèrent en effet que la perspective d’une amnistie incitera les groupes armés qui n’ont pas rejoint la trêve à déposer les armes. Mais ils obéissent aussi à une motivation moins «avouable»: permettre à ceux des éléments des forces de sécurité infiltrés dans les groupes armés de bénéficier également de l’amnistie, précaution indispensable, car nombre d’entre eux ayant participé à des actions attribuées à des islamistes risquent d’être reconnus par la population. Pour le Président, il s’agit avant tout d’apparaître comme un «faiseur de paix» aux yeux des Algériens comme de la communauté internationale et de faire oublier les conditions de son élection marquée par une fraude massive et le retrait de ses six adversaires. Sa décision de soumettre la loi sur l’amnistie à référendum «quel que soit le vote de l’Assemblée» relève de cette volonté de légitimation. Le vote massif «en faveur de la paix» qu’il ne manquera pas d’obtenir balaiera en effet les chiffres contestés de son élection. En même temps qu’il élargira sa marge de manouvre à l’égard des «décideurs».

Presse virulente. Restent deux inconnues. Le processus actuel peut-il mettre fin à une guerre civile qui a fait plus de cent mille morts en sept ans? Celui-là constitue incontestablement un coup de maître pour Bouteflika en donnant l’impression d’une réelle dynamique qui se confirmera si le chef de l’Etat annonce la levée de l’état d’urgence en vigueur depuis 1992. Pour autant, les violences qui ensanglantent l’Algérie depuis que l’AIS a déposé les armes, en 1997, montrent que cette organisation est loin de contrôler tous les groupes armés (les grands massacres aux portes d’Alger ont eu lieu précisément au moment où la trêve était négociée). La bombe qui a tué, samedi, plusieurs personnes sur une plage proche d’Alger, l’a rappelé cruellement. Une autre inconnue réside dans l’attitude de ceux qui refusent toute discussion avec les islamistes, y compris dans l’armée. «L’Etat est aujourd’hui fort et le fort pardonne», plaidait hier Abdelaziz Bouteflika auprès des «forces de sécurité», à l’occasion de la promotion de neuf généraux. Tout en espérant pouvoir «compter sur leur compréhension», signe peut-être que celle-ci ne lui est pas forcément acquise. Si on ne peut exclure que les attaques contre Bouteflika, accusé de «pactiser avec les assassins», puissent aussi servir à le crédibiliser, la virulence de la presse privée à son encontre indique des résistances sérieuses contre sa démarche. Celles-ci se renforceront immanquablement si la loi sur l’amnistie annonçait en filigrane un futur désarmement des milices.

 

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