L’histoire jugera… ou le procès déplacé
L’HISTOIRE JUGERA…
ou le procès déplacé
Fatiha Talahite, « l’histoire jugera..ou le procès déplacé », in (Catherine Coquio dir.), L’Histoire trouée. Négation et témoignage, édition l’Atalante, Paris, 2003.
Du 1er au 5 juillet 2002 s’est tenu à Paris un procès historique. Une plainte en diffamation du général algérien à la retraite Khaled Nezzar[1] contre Habib Souaïdia, ex-lieutenant de l’armée algérienne, ainsi que contre le P-DG de France-Télévision, Marc Tessier, fut l’occasion de se pencher sur l’un des drames les plus tragiques et les plus méconnus de notre époque : tragique, de par le caractère massif et la gravité des crimes commis, ainsi que par l’ampleur des conséquences pour un peuple et un pays; méconnu car, bien que tous ces faits soient familiers à ceux qui observent la scène algérienne depuis plus de 10 ans[2], les causes, les responsabilités, ainsi que l’enchaînement réel des événements restent ignorés du grand public auquel est servie une version inouïe[3], qui ne tient pas lorsqu’elle est confrontée aux faits dans la rigueur et la solennité d’un prétoire. C’est le grand mérite de ce procès de l’avoir montré. Exceptionnellement long pour une plainte en diffamation, il aurait encore pu se poursuivre et les témoins se succéder inlassablement à la barre pour faire le récit souvent insoutenable des enlèvements, des séquestrations, des déportations, des exécutions extrajudiciaires, des massacres, de l’enfer des camps, de la torture abjecte, de la terreur.
Un événement déplacé
Notre propos ici n’est pas de conduire le récit de ce procès ni d’en analyser la signification juridique, politique, historique. Ce travail reste à réaliser et c’est la tâche des chercheurs, historiens, juristes, journalistes et de tous ceux qui ont la volonté de comprendre ce qui s’est passé en Algérie, au-delà des simplifications outrancières et des brouillages qui opacifient la complexité. Ils disposent pour cela d’un outil inestimable, les minutes intégrales du procès, publiées avec un important appareil de notes, un document exceptionnel, riche en informations et en références sur les évènements et les personnes se rapportant à l’audience et, plus largement, à l’histoire récente de l’Algérie[4].
Ce procès restera marqué dans l’histoire comme un événement déplacé, au sens propre comme au figuré. Déplacé par sa nature, celle d’une dérisoire citation pour diffamation, portant par définition sur des opinions et non sur des faits[5], alors que ce dont il était réellement question, c’était de crimes contre l’humanité demeurés à ce jour impunis et dont les victimes se comptent par centaines de milliers. Déplacée, la plainte déposée par le général Nezzar, visant ces paroles prononcées par Habib Souaïdia sur la chaîne de télévision La Cinquième, à l’émission Droits d’auteurs où il avait été invité à présenter son livre La sale guerre[6] :
Cela fait dix années qu’il n’y a pas de président [en Algérie], plus même. Il y avait des généraux, ce sont eux les politiciens, c’est eux les décideurs, c’est eux qui ont fait cette guerre. C’est eux qui ont tué des milliers de gens pour rien du tout. C’est eux qui ont décidé d’arrêter le processus électoral, c’est eux les vrais responsables. [.] Je ne peux pas pardonner au général Massu et au général Aussaresses les crimes qu’ils ont commis, comme je ne peux pas pardonner au général Nezzar, ex-ministre de la Défense. Il faut qu’on juge les coupables. [.] Ce sont les ex-déserteurs de l’armée française qui ont mené le pays vers l’anarchie, vers la faillite .
Déplacés, les protagonistes, lorsqu’au cours du procès et surtout dans ses moments les plus forts, on a vu les rôles s’inverser et l’accusé et ses témoins, parlant pour ceux qui ont été réduits au silence, accabler le plaignant Nezzar d’accusations d’une gravité extrême. Déplacés, les témoins, bien trop nombreux pour un procès en diffamation, et si peu pourtant en regard de l’ampleur des crimes et du nombre incalculable de victimes. Déplacés, le lieu et le cadre dans lesquels s’est tenu le procès, le tribunal de Paris, capitale de l’ancienne métropole : pour les uns, symbole insupportable d’ingérence néo-coloniale et atteinte à la souveraineté nationale, manifestation cinglante, pour d’autres, de l’absence de justice et de l’impunité qui règnent en Algérie, et, enfin, juste retour des choses pour un ex-militaire de l’armée française, pour ceux qui considèrent que le véritable accusé dans ce procès, est le général-major. Déplacée, la date du procès, deux fois reportée pour que finalement, » par les hasards du calendrier « , l’audience s’achève un 5 juillet, date ô combien symbolique de l’anniversaire de l’indépendance de l’Algérie. Déplacé, le jugement lorsque, dans son réquisitoire, le procureur le renvoya à une autre juridiction, celle de l’Histoire :
Le hasard du calendrier fait que ce procès se déroule au moment où l’on commémore le quarantième anniversaire de l’indépendance de l’Algérie. Et alors que les plaies ne sont pas encore cicatrisées et les blessures pas encore totalement refermées et (..) qu’un travail de mémoire se fait toujours sur cette période, on demande à un tribunal de juger l’histoire contemporaine de l’Algérie, disons les dix ou douze dernières années (..)
Mais il n’appartient pas au tribunal de refaire l’Histoire (..) Aujourd’hui on vous demanderait alors, pas seulement de faire l’Histoire mais, si j’ai bien compris la partie civile, d’y contribuer, de juger, comme je vous l’ai dit, une histoire contemporaine (..)
pour conclure, je reprendrai la formule même du général Nezzar qui a initié cette procédure, je dirai ‘l’histoire jugera’[7].
Et ce n’était pas un simple effet de style. Madame Angelelli aurait pu renvoyer le jugement à la justice algérienne. Elle ne l’a pas fait, et pour cause : Habib Souaïdia, alors qu’il était réfugié politique en France, a été condamné par contumace à vingt ans de prison en Algérie, après la parution de son livre[8]. Le renvoi à une juridiction fictive souligne à la fois la défaillance de la justice algérienne et l’impossibilité du vrai procès, de celui qui devrait être..
Tous ces déplacements qui s’enchaînent semblent indiquer quelque chose, comme un événement manquant, et c’est cela que nous allons essayer pas à pas d’élucider. Pour le moment, nous ne donnerons pas de nom à cet événement et nous en parlerons au singulier. Nous retiendrons seulement qu’il n’a pas eu lieu.
Le procès dans le procès
Par ces déplacements, tout se passe comme si, pendant le procès officiel, s’était déroulé un autre procès. Tandis que formellement Messieurs Habib Souaïdia et Marc Tessier étaient assignés en diffamation suite à une plainte de Khaled Nezzar, se menait dans le prétoire un autre procès, portant celui-là non plus sur des opinions, mais sur des faits d’une ampleur et d’une gravité effroyables et restés à ce jour impunis. C’était comme si le procès en diffamation n’était que le théâtre d’un second procès autrement plus crucial et décisif qui le redoublait. Et, sous la pression de cet événement logé en son sein, le procès formel se fissurait, craquait de toutes parts. Ce deuxième procès, gigantesque, interminable, débordait de tout côté le cadre formel, prenant par moments des allures de TPI. Dans une ambiance surréaliste, il déferlait dans le flux ininterrompu des témoignages, il explosait dans les remous du public, traversé par des vagues irrésistibles d’indignation, de révolte, de rires nerveux parfois, suffocant, exultant dans une tension extrême, celle d’un événement aux dimensions d’un peuple et de son histoire, que ce lieu ne pouvait contenir. La foule d’ailleurs, affluant chaque jour plus nombreuse, se pressait à l’entrée, envahissant les halls et couloirs du tribunal. On aurait dit que l’Histoire, ne trouvant où se poser, avait squatté pendant cinq jours cette salle de la 17ème chambre correctionnelle du tribunal de grande instance de Paris.
Grâce au génie et au travail d’un petit groupe d’avocats et de militants des droits de l’homme qui ont volontairement décidé de transformer de ce procès en diffamation en une tribune pour les témoignages interdits en Algérie, un forum pour les victimes dont la voix est étouffée, faute de pouvoir faire justice, on allait commencer à dire la vérité, lever un petit coin du voile, donner une idée de l’ampleur de la catastrophe et de la gravité des crimes. De ce point de vue, ce fut une réussite : ce fut un procès pour la vérité, un début de vérité.
Dans l’immédiat, il y eut la satisfaction, pour les innombrables victimes – ceux qui ont été torturés, humiliés, ceux ont perdu les leurs, ceux qui sont à la recherche de disparus, ceux qui sont encore, à l’heure qu’il est, dans les centres de détention et de torture, ceux qui vivent dans la terreur en Algérie ou dans la douleur de l’exil.. – de voir le général-major rendre des comptes devant une juridiction. Ce fut un début de reconnaissance de leur souffrance, de leur humanité : Nezzar à égalité avec Souaïdia devant la justice – alors qu’en Algérie il est au-dessus de la loi, dans l’impunité totale – tenu à répondre selon des règles qui excluent la violence et l’insulte, à des militaires dissidents, des hommes politiques dont il ne reconnaît pas la légitimité, des civils qu’il méprise. Quant à ceux qui sont venus le soutenir et ont l’habitude de faire taire leurs adversaires par l’invective, les intimidations et la terreur, ils ont dû tout écouter sans pouvoir broncher.
Mais surtout, il s’est passé quelque chose d’inestimable au sein du public et parmi les témoins : pendant cinq jours, ils ont pu se retrouver autour d’une période tabou, en voir les acteurs directs, écouter le détail de leurs récits, revivre des moments qu’ils ont partagés et qu’ils portent chacun en mémoire comme un fardeau sans jamais trouver à qui le confier, où le déposer.
Qui n’a éprouvé ce sentiment d’impuissance, d’écrasement, de dépossession lorsque, voulant évoquer l’horreur dont il fut témoin ou victime en Algérie durant cette période, les mots, les images lui manquèrent ; lorsque, tenaillé par le devoir et l’urgence de témoigner, il s’est trouvé démuni, sans preuves face à des interlocuteurs sceptiques? Qui n’a ressenti le manque cuisant d’un cadre de référence au sein duquel son témoignage prendrait sens, un lieu où sa parole pourrait signifier, être entendue et reconnue? Car l’une des spécificité du système algérien (et de tous ceux qui lui ressemblent) est de s’employer à détruire systématiquement tout référent. C’est cela le déni qui caractérise les crimes contre l’humanité et génocides, ces crimes à grande échelle qui sont le fait des pouvoirs en place, eux qui ont tous les moyens d’en effacer les traces : faire disparaître les témoins, les réduire au silence par la terreur ou la liquidation physique, modifier les lieux, nier des faits massifs en ne laissant aucun survivant, bref, faire en sorte que l’on ne puisse plus se rapporter à rien pour parler de ces événements, que rien ne subsiste pour pouvoir en témoigner. Et les remplacer par d’autres événements montés de toutes pièces qui n’ont jamais eu lieu, inventer des témoins pour ces faits qui n’ont pas existé, produire des preuves falsifiées marquées du sceau de l’administration et de la justice, qui sont sous leur contrôle. Seuls les pouvoirs peuvent faire cela. Et s’appuyer sur de puissants réseaux médiatiques, diplomatiques, politiques pour diffuser leur version à l’exclusion de toute autre à travers le monde, pénétrer les milieux qui pèsent sur l’opinion et sur la décision politique pour l’y imposer comme évidente, incontestable. Ce dispositif vise à dévaluer toute parole hors de contrôle : si elle n’est pas d’emblée étouffée dans l’ouf (comme ce fut le cas pour des dizaines de victimes que l’on n’a pas écoutées), elle sera détournée, noyée dans d’autres significations, enserrée dans de puissantes simplifications médiatiques. Loin des lieux du drame, dans un contexte sur-idéologisé, le récit d’événements tragiques devient simple point de vue parmi d’autres : encore une forme du déni. Dégradés au statut d’opinions, les faits se banalisent. Dans le champ médiatique, ils s’estompent derrière les images spectaculaires et finissent par leur céder la place.
Le procès se déroule dans une enceinte protégée des mises en scènes médiatiques. Réduites au statut de pièces à conviction, les images y perdent leur superbe, leur effet spectaculaire est désamorcé. Dépossédées de leur suprématie sur les faits, elles leur sont au contraire totalement tributaires, soumises au rituel froid de l’audience, étudiées, décortiquées. Le procès donne une autre dignité aux faits : il les fait advenir à la légalité. Un tribunal a le devoir d’écouter avant de juger et de condamner. La justice doit d’abord instruire le procès. Ainsi, elle a le pouvoir de rétablir l’ordre des choses que les médias et les discours politiques ont inversé. Et ceci, quel que soit le jugement. Car il est somme toute secondaire de savoir s’il y a eu ou non diffamation. L’essentiel est que les gens ont témoigné, sous serment; on a dû les entendre jusqu’au bout, les avocats de la partie adverse ont pu les interroger à loisir. Le procès inscrit les faits, les qualifie, les sanctionne et les consigne dans les minutes, rendues publiques. Il ouvre un espace où d’autres pourront venir témoigner, trouver une place où déposer leur parole, où elle pourra être entendue, faire écho à d’autres, prendre et donner sens.
Le grand acquis de ce procès est d’avoir permis de commencer à établir un certain nombre de faits, en faire le récit méthodique, les recouper avec d’autres, les situer dans un tout cohérent. En brisant le cloisonnement des lieux et des contextes dans lesquels ont été vécus les événements rapportés (armée, camps, prisons, université, monde du travail, milieu politique et associatif, etc.), en confrontant les témoignages, il révèle des convergences, des similitudes troublantes, des concordances selon les périodes, qui autorisent à écarter l’hypothèse de simples bavures ou dépassements et confirment le caractère systématique, organisé, méthodique des exactions et des crimes.
Nous citerons un cas seulement, celui de Mehdi Mosbah, dont le témoignage poignant fut l’un des moments culminants de l’audience. Arrêté arbitrairement en 1992 alors qu’il était étudiant, déporté dans le Sud où il subit, avec des milliers d’autres prisonniers, des traitements inhumains, il fut libéré puis incarcéré à nouveau et sauvagement torturé. C’était la première fois que Mehdi faisait publiquement le récit de son calvaire. Son histoire, insoutenable par endroits, ressemble de manière troublante à celle que raconte Liès Laribi dans un livre bouleversant[9]. Mais ce ne sont pas des cas isolés. Ceux qui en ont rencontré et qui ont écouté leurs témoignages reconnaîtront dans ces deux récits celui de milliers de jeunes algériens de cette génération, à jamais traumatisés. Liès, lui aussi réfugié en France, était parmi le public. Avant le procès, il n’avait jamais rencontré Mehdi.
Le retour de l’Histoire
Ce procès, pourtant, n’a pas établi la vérité. Il y a été question de deux thèses, de deux vérités. Reprenons encore les propos du procureur :
(..) dans la salle, les gens sont partagés, et un témoin vous a dit très justement ‘ vous avez, Mr le Président, Mesdames du tribunal, en face de vous deux thèses, deux vérités’. Pour cela, pour ces deux thèses, pour ces deux vérités, pour tout ce qui s’est dit sur cette période de l’histoire contemporaine pour conclure, je reprendrai la formule même du général Nezzar qui a initié cette procédure, je dirai : ‘l’histoire jugera’ (431).
Mais quelle est cette histoire à laquelle se réfère Nezzar? Est-ce celle des crimes impunis, l’histoire criblée de trous de mémoire, percée de charniers remplis de milliers de cadavres anonymes, jetés en vrac au milieu de la nuit? Cette histoire, venue hanter le tribunal, M. Comte, avocat de Souaïdia, l’évoquera lorsque, relisant ces phrases écrites en 1957 par Henri Alleg, il dit : » vous avez entendu Mosbah, ce jeune garçon venu témoigner devant vous. Séchez vos larmes, tout cela est écrit depuis longtemps » :
(..) il m’enveloppa ensuite la tête d’un chiffon tandis que Devis lui disait : ‘mets-lui un taquet dans la bouche’. Au travers du tissu, Lorca me pinçait le nez. Il cherchait à m’enfoncer un morceau de bois entre les lèvres pour que je ne puisse fermer la bouche ou rejeter le tuyau. Quand tout fut prêt, il me dit : quand tu voudras parler, tu n’auras qu’à remuer les doigts. Il ouvrit le robinet. Le chiffon s’imbibait rapidement. L’eau coulait partout, dans mon nez, dans ma bouche, sur mon visage. Mais pendant un temps je pus encore aspirer quelques petites gorgées d’air. J’essayais, en contractant le gosier, d’absorber le moins possible d’eau et de résister à l’asphyxie en retenant le plus longtemps que je pouvais l’air dans mes poumons, mais je ne pus tenir que quelques instants[10].
Lui faisant écho, cette voix qui semble remonter du trou noir de l’histoire, le témoignage de Mehdi Mosbah :
Et puis ils m’ont mis par terre, menotté, mains derrière le dos, serré très fort, menottes aux pieds. Ils m’ont couché. Ils se sont mis à plusieurs sur moi. Il y avait les menottes qui me rentraient dans la chair, dans l’os. Ils se sont mis à plusieurs. Le chef de la gendarmerie – ce n’était pas un subordonné, c’était le chef, le brigadier – m’a mis le chiffon. Voilà la fameuse scène du chiffon. Il me l’a introduit dans le bec ouvert, et avec une bouteille ils l’ont glissé. Là, vous avez une boule, un chiffon qui prend l’eau, qui se remplit et qui laisse passer, passer, passer. Au bout d’un moment, cela vous rentre par les narines et vous coulez. Quand j’étais gamin, une fois, il est arrivé que j’ai failli couler. C’était la même sensation. Vous coulez.
A un moment je ne voyais plus rien, c’était le noir, un rideau noir s’est abattu sur moi. C’était comme si on m’avait enfermé dans un sac en plastique noir. J’étouffais, je me débattais comme un chien, je cherchais quelque chose, quelque chose, je cherchais à passer de l’autre côté. Je cherchais la mort. C’était un moment extrême où la seule chose qui pouvait me sortir de cette souffrance, de cette douleur inimaginable – mais je ne peux vous décrire cette chose atroce -, la seule chose, c’était la mort[11].
Dans un courrier paru dans le quotidien Libération[12], au cour de la campagne médiatique initiée par l’hebdomadaire communiste L’Humanité sur la torture pendant la guerre d’Algérie, on peut lire ces propos de Khaled Satour :
Dans quelle mesure le débat actuel en France sur la torture pendant la guerre d’Algérie finira-t-il par ouvrir sur l’actualité des exactions militaires dans ce pays? Y a-t-il un intransgressible délai de silence de quarante ans que rien ne peut abolir, ou une sorte de champ clos de l’Histoire que le débat d’actualité est sommé, à titre conservatoire, de ne pas empiéter? (..) ‘Cette torture-là, nous dit-on, est l’affaire de la France. Celle-la ne nous concerne pas, elle est l’affaire des Algériens’. Faux. Et trop tard pour le parti communiste, animateur de la campagne! Il a pris part à l’activisme médiatique qui a jeté une chape de silence sur la terreur semée ces dernières années par le pouvoir militaire algérien. Ses organisations et associations satellites ont prêté main forte à ses affidés pour relayer la désinformation orchestrée par Alger. Il a participé au sabotage de la revendication d’une commission d’enquête internationale sur les massacres. La voix prestigieuse d’un Henri Alleg ne s’est pas élevée pour affirmer que la ‘question’ d’aujourd’hui est aussi grave que celle d’hier (..).
Le deuxième procès, celui qui s’était engagé dans la recherche de la vérité, est demeuré inachevé, il n’a pas tranché et le verdict fut renvoyé au tribunal de l’histoire. Aussi, le sens profond de cet évènement fut-il de dire une absence, un manque. Le procès qui s’est réellement tenu n’a pas compensé cette absence. Bien au contraire, il l’a désignée, l’a mise en évidence comme manque. Il ne s’est pas déroulé à la place d’un autre qui aurait dû avoir lieu. Il est resté dans les limites qui lui avaient été assignées, celles de la plainte en diffamation. Le procureur, insistant pour que le débat soit recentré sur le terrain juridique, dira dans son réquisitoire:
Ce que vous avez à juger, ce sont des propos qui ont été tenus, et non pas les faits eux-mêmes (..) Contrairement à une idée habituellement reçue, la vérité des propos tenus n’entre pas dans la définition de la diffamation, qui est souvent mal interprétée.
Et effectivement, dans son jugement, le tribunal a invoqué la liberté d’expression, estimant que
les déclarations de Habib Souaïdia, dans les circonstances qui viennent d’être définies, et en dépit de leur gravité concernant la personne de M. Nezzar, n’ont pas excédé les limites de la tolérance qui doit être autorisée en la matière et ressortissent au cas présent du droit à la liberté d’expression.(489)
Cependant, si c’est bien en vertu du principe de la liberté d’expression que le plaignant a été débouté, celle-ci fut très peu invoquée par la défense. Elle était surpassée par un motif tellement plus grave et plus tragique, où il était question de crimes de masse à la taille insoupçonnée, que cela rendait tout autre argument dérisoire, presque indécent.
L‘événement manquant
En définitive, le procès en diffamation qui s’est tenu à Paris n’a pas usurpé le rôle d’un autre, il ne s’y est pas substitué; à l’inverse, il en a indiqué bruyamment l’absence. Et ce sont précisément tous les déplacements opérés lors de ce procès qui ont dessiné la trace de ce qui manque, cruellement. Ce procès est la marque, en creux, de l’absence de justice en Algérie, il se déroule hors lieu, hors cadre, hors temps du vrai procès, de celui qui devrait être, de celui qui manque. Cette absence s’est manifestée tout au long de l’audience comme un abîme, une béance, un puits sans fond.
De ce point de vue, on peut dire que ce fut un moment authentique, et qu’il se distingue radicalement en cela de la série d’événements qui ont animé la scène algérienne ces douze dernières années, destinés au contraire à dissimuler cette absence, à la masquer, à la combler en lui substituant des montages fallacieux, des parodies de procès, des illusions d’enquêtes, une justice pastiche, des témoignages fabriqués, des faits falsifiés, des victimes travesties, de faux coupables, des documents trafiqués..
Dans un texte écrit en janvier 2001[13], Khaled Satour évoque » la notion de processus de terreur appliqué par de nombreux auteurs sud américains aux stratégies anti-guérillas mises en ouvres dans différents pays « . Citant » le rapport d’enquête présenté sur les massacres commis dans une province du Guatemala entre 1978 et 1983 (..) étayé d’autopsies, d’examens balistiques, de mesures topographiques et d’entretiens avec les rescapés « [14], il l’utilise pour identifier » de substantiels points de similitude avec les massacres en Algérie « . Certes, cette enquête, dit-il,
ne peut remplacer celle qu’un jour certain on fera dans la Mitidja et l’Ouarsenis algériens et qui reste pour nous l’enquête manquante dont nous sépare la conjugaison de tant de puissances hostiles. Mais ces réserves faites, il ne faut pas refuser l’apport précieux de cette ‘ressemblance empirique et murmurante des choses’ qu’évoque Michel Foucault à propos de l’analogie.
Concernant les centaines de milliers de morts, de suppliciés, de disparus en Algérie ces douze dernières années, il faut savoir que dans la majeure partie des cas, ces crimes sont demeurés impunis, même lorsque les coupables sont connus et que les preuves et les témoins existent. Et ceci tant en ce qui concerne les disparus enlevés par les forces de sécurité que les victimes du terrorisme. Car si l’on devait un jour ouvrir des enquêtes sérieuses sur tous les crimes attribués de manière certaine aux islamistes depuis 12 ans, on risquerait fort, dans de nombreux cas, de remonter aux mêmes responsables que pour les disparitions forcées. Là encore, des éléments existent, de nombreux preuves et témoignages ont été rassemblés pour prouver l’implication de cercles les plus élevés du pouvoir militaire dans ces crimes et ce qui manque surtout, c’est un cadre juridique pour l’enquête et le procès. Récemment encore, les révélations d’Abdelkader Tigha, dissident des services secrets algériens, sur l’affaire des moines de Tibehirine (assassinés par les » GIA » en mai 1996) sont venues confirmer la thèse d’une opération montée par les services de sécurité dans le but de discréditer les islamistes et de conquérir l’opinion occidentale[15]. Et cette affaire est loin d’être isolée. D’autres, nombreuses, lui ressemblent[16]. A ce jour, la justice n’en a tranché aucune. Mais jusqu’à quand ?
Depuis que des plaintes pour torture ont été déposées contre certains d’entre eux, les généraux ont compris que tôt ou tard, ils auront à comparaître devant la justice universelle. Le choc du 11 septembre et le recul drastique des droits de l’homme qui s’en est suivi leur a accordé un sursis, sans plus. Mais l’idée de la lutte contre l’impunité avance et le recours au droit international et aux juridictions étrangères grâce à la compétence universelle, impensable il y a dix ans, est désormais envisagé comme possible et légitime par de nombreux Algériens. Par ailleurs, la multiplication des témoignages de victimes ainsi que d’ex-membres des forces de sécurité, en rompant la loi du silence, encourage l’émergence d’une culture du témoignage contre l’impunité, et l’opinion algérienne suit avec intérêt les avancées du droit international dans ce domaine. On ne peut décrypter la politique menée par les autorités d’Alger si l’on n’intègre pas cette donnée. Leur hantise est d’étouffer dans l’ouf cet élan grandissant contre l’impunité. Leur position constante a été de refuser et interdire toute démarche qui permettrait de faire la vérité sur ces crimes. Depuis des années, les rapporteurs spéciaux de l’ONU sur la torture et les exécutions extrajudiciaire, ainsi que le Groupe de travail les disparitions forcées ou involontaires de la Commission des droits de l’homme des Nations Unies, ne sont pas autorisés à se rendre en Algérie. Et l’idée même d’une commission d’enquête internationale, revendiquée avec insistance par des ONG de défense des droits de l’homme ainsi que des organisations et personnalités de l’opposition, est à leurs yeux un sujet tabou.
En Algérie, il est arrivé à plusieurs reprises que des criminels qui bénéficient de la protection du régime attaquent en diffamation et réussissent à faire condamner ceux qui osent les dénoncer publiquement. Au point où le procès en diffamation, dans ce contexte, tend à devenir l’arme de l’impunité. Portant sur des opinions, ces plaintes visent en réalité à effacer des faits, à les dénaturer en les ravalant au rang d’opinion.
A l’opposé, le procès de Paris n’a pas effacé un crime, il n’a pas consacré l’impunité de Nezzar car il n’a pas débouché sur la condamnation pour diffamation de celui qui dénonçait le criminel. Le général-major a été débouté de sa plainte. Certes, le tribunal ne l’a pas pour autant condamné et il n’a pas non plus établi les faits concernant ces crimes. Il ne le pouvait pas car tel n’était pas son objet. C’est bien ce qui est contenu dans le réquisitoire du procureur, lorsque, s’adressant aux juges, elle leur conseilla d’
(..) asseoir (leur) raisonnement sur les deux axes juridiques suivants : le témoignage, la spécificité du témoignage, avec l’absence d’enquête de vérification des sources, et la jurisprudence sur la polémique politique adaptée à notre cas d’espèce – considérer en conséquence que nous sommes dans un débat d’idées, un débat d’opinions, que tout le monde a livré son analyse et son avis sur cette affaire.
Mais il a permis de signaler l’absence de justice ainsi que l’absence d’enquête pour établir la vérité sur les crimes contre l’humanité perpétrés en Algérie durant cette période. Il a dressé en quelque sorte le constat de ce manque. En ce sens, il faut le voir comme le moment inaugural d’un long procès, une étape vers l’élucidation de ce qui est arrivé à l’Algérie. Il a donné la mesure de la difficulté, mais aussi de l’urgence et de l’impérieuse nécessité de faire le récit et l’évaluation ce qui s’est passé. Les longues heures d’audience, cinq jours durant, ont révélé la dimension tragique de cette catastrophe et des traumatismes qu’elle a engendrés. Il s’agit maintenant de poursuivre cette action, jusqu’au bout.
L’impossibilité d’un cadre pour l’enquête et le procès
Dans la tectonique des plaques que constitue l’ordre des Etats et des Nations aujourd’hui, L’Algérie se présente comme une faille, un endroit où les plaques se plissent, se cognent avec une exceptionnelle et redoutable violence, ouvrant sur un vide, une béance : celle de l’Etat, de l’institution, du droit. Sur leur impossibilité. Cette impossibilité, il est vain comme on l’a souvent tenté, d’en chercher l’explication exclusivement dans l’histoire propre de l’Algérie, dans le communautarisme, dans l’islamité, la berbérité ou l’arabité, ou encore dans le rapport de dépendance à la France qui perdure au-delà de l’indépendance.
A ce propos, il a été beaucoup question de la France lors de ce procès. Il serait d’ailleurs intéressant d’en étudier les minutes seulement du point de vue des occurrences du mot France. A certains égards, c’est aussi un pan de l’histoire de France qui a défilé durant ces cinq jours.
On a souvent dit que la solution au problème d’Alger se trouvait à Paris et, formulée de la sorte, cette affirmation a quelque chose d’énigmatique, elle semble accorder un pouvoir mystérieux, presque surnaturel à l’ancienne puissance coloniale. Lorsqu’elle est explicitée, elle reste insuffisante : les réseaux de corruption, les commissions sur le commerce extérieur, les intérêts économiques, les exportations sur le marché algérien… Certes, tous ces aspects sont vrais, mais l’on sent bien que cela n’épuise pas la singularité du rapport qui existe entre les deux pays. Si l’on réussissait à explorer la profondeur et la nature de ce lien, peut-être avancerait-on dans l’élucidation de ces événements manquants, de cette impossibilité de l’enquête et du procès, de l’impossibilité, en fait, d’un cadre juridique et institutionnel pour l’enquête et le procès. Et comment cette impossibilité se déploie hors des frontières de l’Algérie, dans les instances internationales, à la Commission des droits de l’homme des Nations Unies, et jusque dans la justice française. Comment le droit et l’institution se dérobent lorsqu’il s’agit de l’Algérie, comme l’on dirait que le sol se dérobe sous les pieds… Il faudrait pour cela, au lieu de faire comme si nous avions là deux pays et deux Etats séparés, les voir adossés l’un à l’autre, comme les deux faces d’une même médaille[17], l’Etat algérien constituant une sorte d’envers de l’Etat français, sa zone d’ombre, sa part maudite, laquelle d’ailleurs se prolonge sur le territoire français et s’étale en larges taches sombres dans les zones de non-droit des banlieues, dans le flux et le reflux des clandestins, dans la gestion de » l’islam de France « , dans la suprématie du ministère de l’intérieur sur celui des Affaires étrangères concernant les relations avec l’ancienne colonie..
On pourrait emprunter à Giorgio Agamben une remarque qu’il a faite dans un autre contexte, à propos de la réapparition des camps dans les territoires de l’ex-Yougoslavie » dans une forme, dit-il, en un certain sens encore plus extrême que les camps nazis » :
ce qui se passe actuellement n’est pas du tout, comme certains observateurs intéressés se sont empressés de le déclarer (..) une simple répétition des processus qui ont conduit à la constitution des Etats-nations européens. Il y a plutôt une rupture irrémédiable du vieux nomos et dislocation des populations et des vies humaines selon des lignes de fuite totalement nouvelles (..)[18] .
C’est bien ce qui nous semble aussi se passer en Algérie : l’installation durable dans l’état d’exception, la gestion permanente de la société par la terreur anonyme, la torture instituée, l’enfermement, les déplacements de population, le quadrillage du territoire, la manipulation systématique et à une échelle difficilement imaginable de la » matière humaine « , la persécution organisée au-delà des frontières… On peut certes trouver, dans la manière dont tout cela se manifeste, des ressemblances avec du déjà vu, dans l’histoire de l’Algérie ou dans celle d’autres pays. Mais fondamentalement, il semble que nous soyons face à quelque chose de nouveau que nous ne savons encore, au terme de cette réflexion, exprimer que négativement, par cette impossibilité[19].
[1] Chef d’état-major de l’armée algérienne lors des émeutes d’octobre 1988 dont la répression s’est soldée par plus de 500 morts, il devint ministre de la défense (1990-1993) et membre du Haut Comité d’État qui présida le pays après le putsch de janvier 1992. C’est à ce moment qu’est installé l’état policier d’exception encore en vigueur aujourd’hui, que sont ouverts dans le Sud des camps où 12000 personnes selon les chiffres officiels et bien plus selon les témoignages, seront déportées et, durant des années, humiliées, torturées, voire assassinées, que se généralisent la torture et les milliers de disparitions forcées.
[2] Voir en particulier : » L’Algérie 10 ans après le putsch, les droits humains : un bilan désastreux « , Algerie-watch, 11 janvier 2002, http://www.algeria-watch.org/mrv/2002/aw_dossier_2002.htm ; » Algérie: un pays pris au piège de l’impunité « , Amnesty International, Les éd. francophones d’AI, Paris, 2002,
[3] Ne pouvant, dans les limites de cet ouvrage, aborder la question vaste et complexe de la manipulation de l’opinion sur la guerre civile en Algérie, ni même donner les références essentielles sur le sujet car la liste en serait trop longue, nous préférons nous en tenir au procès et renvoyer le lecteur aux témoignages de Messieurs Samraoui (ex-militaire algérien jusqu’en 1996, ancien responsable du service de recherche de la direction du contre-espionnage), A. Chouchane (ex-militaire algérien, dans les troupes spéciales jusqu’en mars 1992), et H. Ouguenoune (ex-militaire algérien jusqu’en 1995, affecté à la direction centrale de la sécurité de l’armée), consignés intégralement dans les minutes du procès, publiées par Habib Souaïdia, Le procès de » la sale guerre « . Algérie : le général-major Khaled Nezzar contre le lieutenant Habib Souaïdia, Paris, La Découverte, 2002. Ils montrent en particulier comment les GIA, d’abord infiltrés, ont très vite été entre les mains des services de renseignement de l’armée, qui s’en sont servis de manière cynique pour semer la terreur et la mort dans le pays et même hors des frontières.
[4] Le procès de » la sale guerre « , op cit.
[5] Rappelons qu’a deux reprises, des victimes ont profité de la présence de Nezzar sur le territoire français pour déposer des plaintes contre lui auprès du Procureur de la République pour » faits de torture et mauvais traitements « . La première, en avril 2001, suivie de la rocambolesque et peu glorieuse » exfiltration » du général-major vers l’Algérie dans un avion spécial, fut classée un an après par le Parquet de Paris, après qu’à sa demande, Nezzar fut entendu par la brigade criminelle. La deuxième, déposée le jour même de l’ouverture du procès en diffamation, est restée sans suite.
[6] Habib Souaïdia, La sale guerre. Le témoignage d’un ancien officier des forces spéciales de l’armée algérienne, 1992-2000, Paris, La Découverte, 2001.
[7] Le procès de » la sale guerre « , op. cit., p 427 à 431.
[8] Pour le motif de » démoralisation de l’armée ayant pour objet de nuire à la défense nationale et appartenance à une organisation secrète « .
[9] Liès Laribi, Dans les geôles de Nezzar, Paris, éditions Paris-Méditerranée, 2002.
[10] Henri Alleg, La question, Paris, éd. De Minuit, 1958.
[11] Le procès de » la sale guerre « , op. cit., p 364 -365.
[12] Khaled Satour, » La vérité en quarantaine « , Libération, 6-7 janvier 2001.
[13] Khaled Satour, L’enquête manquante, 2001, http://www.algeria-watch.org/farticle/tribune/satour_enquête.htm
[14] Las massacres en Rabinal, Estudio Historico-Anthropologico, EAFG, Forense de Guatemala, 1995.
[15] Voir Armand Veilleux, Hypothèses sur la mort des moines de Tibehirine, Le Monde du 24-01-03. Pour un dossier complet sur le sujet, voir http://www.algeria-watch.de/fr/article/pol/tigha_moines/affaire_tigha_moines.htm.
[16] sur le massacre épouvantable de Bentalha, dont la médiatisation a ému mais aussi leurré l’opinion du monde entier, voir le témoignage de Nasrellah Yous, Qui a tué à Bentalha ? Algérie, chronique d’un massacre annoncé, Paris, La Découverte, 2000. Ce massacre n’est malheureusement ni le seul ni le plus terrible de ceux qui se sont déroulés ces dernières années.
[17][17] Pour Pierre Legendre, « la décolonisation (fut) une gageure, un thème politique plus qu’une réalité, car le système français fait partie des systèmes administratifs géographiquement dominants (dont) les sphères d’influence sont, pendant de longues périodes, inexpugnables », Trésor historique de l’Etat en France: l’administration classique, Paris, Fayard, 1972, p 185.
[18] Giorgio Agamben Moyens sans fins, Paris, Payot & Rivages, 1995, p 55.
[19] Cette impossibilité peut être rapprochée de ce dont parle Agamben lorsqu’il écrit : « (.) car la forme vide de l’Etat tend à produire des contenus épocaux, et ceux-ci, à leur tour, cherchent une forme étatique devenue impossible : c’est ce qui est en train de se produire dans l’ex-Union soviétique et dans l’ex-Yougoslavie. » (Giorgio Agamben, Homo sacer. Le pouvoir souverain et la vie nue, Paris, Seuil, 1997, p.70).