Massacre de Bentalha: Un livre qui suscite des polémiques
MASSACRE DE BENTALHA / Un livre qui suscite des polémiques
Salima Tlemçani, El Watan, 30 octobre 2000
Trois années à peine après le massacre de Bentalha, un «rescapé», depuis son exil doré de France, porte de graves accusations à l’encontre des Patriotes, des journalistes, des démocrates et des militaires.
Si l’idée de témoigner à travers un livre sur un événement douloureux est en elle-même louable, elle reste néanmoins dangereuse dès lors que son auteur fait dans la manipulation et la falsification de l’histoire. Dans Qui a tué à Bentalha? de Yous Nasroullah, le «miraculé», la question est inutile tant la réponse est formelle, sans nuance. D’emblée, il accuse : «Nous pensons que les services spéciaux de l’armée sont responsables du massacre.» Cette thèse – dont les éléments reposent beaucoup plus sur des impressions et des interprétations que sur des faits irréfutables – est appuyée par François Gèze, directeur des éditions La Découverte, qui, dans une postface intitulée Crime contre l’humanité, demande que les responsables soient traduits devant le Tribunal pénal international. Que monsieur Yous traîne dans la boue les militaires, qu’il affirme pourtant avoir fréquentés de très près depuis des années, cela n’engage que sa personne. Mais dire que «les journalistes portent une grave responsabilité» relève purement de l’injure envers l’ensemble de la profession qui a souffert du terrorisme, puisque soixante-dix journalistes ont été assassinés. Il va plus loin dans ses accusations en affirmant qu’en «amplifiant les crimes des islamistes et en taisant ceux des forces de sécurité, en refusant de poser des questions quant aux commanditaires des assassinats, les journalistes se sont faits les complices des militaires». Les extraits, largement diffusés par les journaux français Le Monde et Libération, font apparaître de nombreuses bizarreries. D’un côté, Yous reconnaît «que les groupes semblent bien organisés (…), ont du matériel sophistiqué, des talkies-walkies, des véhicules et semblent bénéficier de complicités utiles. Ils ont les codes nécessaires pour entrer en contact avec les policiers et militaires et les narguer (…) Comme par hasard, ils savent toujours quand aura lieu un ratissage et disparaissent à temps. Nous les voyons quitter les vergers en voiture la veille d’une descente militaire (…) La conséquence de cet isolement est que nous subissons de plus en plus le déploiement des groupes sans que nous puissions demander de l’aide à qui que ce soit.» Toutefois, il refuse la thèse selon laquelle ce sont ces mêmes groupes qui ont commis le massacre. Il n’explique pourtant pas par quel miracle il a pu faire évacuer sa famille, la veille même de la tuerie, ni comment il a pu y échapper.
Histoire de fausses barbes
Cependant, il nous apprend que malgré le noir qui enveloppait le quartier en cette nuit, et la terreur qui paralysait les plus téméraires des habitants, il a réussi à reconnaître une fausse barbe d’une vraie, et distinguer les cheveux d’une perruque. «Je ne sais pas pourquoi à aucun moment je n’ai cru que c’étaient des islamistes. On me demande plus tard ce qui m’a fait penser que ce n’étaient pas des islamistes. Je crois que certaines barbes et certains cheveux étaient artificiels.» Mieux, il affirme qu’après le massacre, seuls les habitants des quartiers voisins «ont forcé le barrage (des militaires et policiers) pour venir à notre secours. Ils étaient très nombreux, et ce n’étaient que des civils… Pas un seul militaire, pas un policier, pas une ambulance.» Or, plus loin, il se demande comment «interpréter le fait que, au soir du massacre, des ambulances se soient garées sur le boulevard, avant même qu’explosent les premières bombes». Yous, Franco-Algérien, logiquement encore sous le choc d’une nuit tragique, a remarqué quand même que les journalistes algériens ont été «empêchés de se rendre» sur les lieux. Mieux, il s’est même déplacé à l’hôpital Zmirli, à El Harrach, vers lequel ont été évacués les blessés pour constater que «les journalistes en ont été chassés». Et pour clore son chapitre de révélations, il écrit : «Dans les journaux algériens on ne peut lire que la version autorisée, sans mention du moindre doute quant à l’identité réelle des assaillants et des commanditaires. Ils reprennent la thèse officielle qui nous met en cause et qui fait état de hordes islamistes, se retournant contre nous parce que nous aurions fait face au terrorisme (…) Avec leurs articles diffamatoires et incendiaires, les journalistes ont sali la mémoire des victimes. Ils nous ont tués une seconde fois (…) Pendant près de quatre mois, les journalistes viennent (…) mais ils sont toujours accompagnés par les forces de sécurité et ne peuvent parler qu’à des habitants désignés, souvent des Patriotes, dont le silence a été acheté par les services de sécurité.» Les journalistes qui ont eu à faire le décompte macabre des victimes de cette tragédie, malgré les affirmations mensongères de M. Yous, se sont déplacés sans aucune escorte sur les lieux et ont accompagné les victimes au cimetière de Sidi Rzine où les pelles mécaniques, et contrairement aux propos de l’auteur du livre, n’avaient commencé à creuser les tranchées que vers 10 h du matin. Ce qui a retardé l’enterrement de plusieurs heures. Il est vrai que les services de sécurité ont empêché les journalistes de s’approcher des tombes. Cependant, le lendemain de l’enterrement, certains sont revenus sur les lieux pour compter les sépultures et donner aux lecteurs un bilan plus proche de la réalité, pour ne pas se limiter à celui avancé par le ministère de l’Intérieur et que les rescapés ont unanimement dénoncé. Fort heureusement, les écrits restent, comme d’ailleurs ces témoignages recueillis auprès de nombreux vrais rescapés rencontrés à Bentalha et à l’hôpital Zmirli, ceux-là mêmes qui continuent aujourd’hui à lutter dans le silence, contre la misère et l’exclusion dont ils sont victimes à l’ère de la réhabilitation de leurs bourreaux grâce à la loi sur la concorde civile. Mais Yous n’expliquera point, tout au long des 312 pages de Qui a tué à Bentalha? pourquoi ses connaissances militaires l’ont doté d’une arme, retirée quelques mois plus tard. Il n’a pas parlé également de ces hommes armés de Mat et de fusils de chasse, et qui ont courageusement sauvé, au péril de leur vie, des dizaines d’habitants qui se sont réfugiés dans leurs maisons en cette nuit-là. Il n’a pas non plus soufflé mot sur les militaires et les policiers qui ont tenté d’intervenir avant même l’arrivée des renforts, morts déchiquetés par les explosions des bombes. En fait, l’ouvrage de Yous n’est qu’une justification de son départ en exil, alors que ses voisins sont restés sur les lieux, malgré la douleur et la terreur que Yous a bien su décrire dans son livre. En s’attaquant ouvertement à ceux qui ont durant des années combattu l’intégrisme islamiste et ses factions armées, les partisans de Sant’Egidio dévoilent leurs visées politiques, à savoir aller plus loin que la grâce amnistiante pour les bourreaux qu’ils ne cessent de défendre et de déculpabiliser.
Par Salima Tlemçani