« Le rapport estconforme à ce qui a été conclu entre nous et l’ONU »

Lorsque le panel rédige un rapport sur mesure…

Déclaration au sujet du rapport de la délégation de l’ONU sur sa visite effectuée en Algérie
du 22 juillet au 4 août 1998

algeria-watch

« Le rapport est conforme à ce qui a été conclu entre nous et l’ONU ». Ce commentaire du ministre de l’extérieur algérien Ahmed Attaf ne peut être plus explicite. Le gouvernement algérien a invité un panel de personnalités, établi par le secrétaire général de l’ONU, qui obtint l’aval des dirigeants algériens et qui a rempli sa mission, telle que ces derniers l’avaient définie. S’agissait il d’autre chose que de mettre fin aux allégations des victimes de violations des droits humains, de leurs familles, de leurs avocats et des organisations internationales des droits de l’Homme concernant la responsabilité de l’état, de ses appareils sécuritaire et judiciaire dans les enlèvements, la torture systématique, les exécutions extrajudiciaires, les internements arbitraires, mais aussi de rejeter les interrogations relatives à l’implication des forces de sécurité et des milices dans certains massacres ?

A lire le rapport de la délégation on en arrive à la conclusion que face au « terrorisme résiduel » mais « radical », les « dépassements », « bavures », « exactions » des forces de l’ordre sont désolants mais en aucun cas à placer sur le même pied que les « crimes contre l’humanité » commis par les « terroristes ». Le panel se rallie ainsi au discours officiel algérien, sans aucune distance, sans émettre une seule fois de doute quant à cette version des faits, sans poser une seule fois la question « qui sont ces terroristes ? ». C’est avec une telle position que les crimes que commettent les groupes de forces de sécurité et d’autodéfense sont banalisés et réduits à l’appréciation : « Les forces de sécurité font ce qu’elles peuvent, parfois mal ». Les organisations internationales de défense de droits humains, Amnesty International et la Fédération Internationale des Ligues des Droits de l’Homme, rejettent à juste titre ce rapport tout en déclarant que « dans la perspective des droits de l’homme, la visite de la mission de l’ONU a été un blanchiment et ne remplace pas une enquête indépendante ».

Ce rapport de 40 pages ne comportent en fait que 5 pages relatives aux violations des droits de l’Homme, le reste n’est que généralités reproduisant la version officielle des événements depuis 1992. Le traitement sensible de la question des droits humains se fait dans les termes autorisés par le pouvoir algérien, puisque celui-ci ne nie pas les « dépassements », en se conciliant avec les appréciations de certains éradicateurs civils qui ont pignon sur rue, mais ne fait que prendre acte des témoignages de familles de concernés et de leurs avocats, sans leur attacher d’importance.

Il est tout de même surprenant que l’inquiétude justifiée du panel au sujet des plus de 1000 personnes arrêtées dans le cadre la lutte contre la corruption, incarcérées parfois depuis des années, sans être passées en justice, n’ait été exprimée d’une manière analogue vis à vis des milliers ou dizaines de milliers de cas de personnes enlevées et emprisonnées dans le cadre de la lutte contre le terrorisme !

Les recommandations du panel sont à l’image de ses observations. Elles ne dépassent pas les généralités, appellent à la solidarité internationale dans la lutte du pouvoir algérien contre le terrorisme, dans un cadre légal – il s’entend -, au « changement des mentalités » dans les différents appareils de l’état, à l’observation « des règles les plus strictes de la part des forces de sécurité et d’autodéfense afin de convaincre la communauté internationale que l’état de droit prévaut en Algérie », à « l’accélération de la privatisation de l’économie algérienne » et enfin à « l’examen rapide des plaintes » concernant les violations des droits humains.

Au delà des résultat insuffisants et insatisfaisants d’une mission que le panel définit lui-même d’information et non d’enquête car « nous n’avions pas les moyens de mener nos propres investigations, et n’étions pas mandatés pour le faire », il est opportun de placer cette visite et les conclusions réunies dans un rapport dans le contexte politique de l’heure : Les gouvernements occidentaux et arabes dans leur ensemble favorisent le pouvoir algérien actuel, quitte à se faire reprocher leurs connivences avec les généraux. Les tergiversations des membres de la délégation de l’ONU n’ont pu, malgré la discrétion, passer inaperçues, ce qui montre bien que le panel dispose de plus d’éléments, mais que le rapport est le résultat d’un compromis dans l’appréciation des informations recueillies.

Les observations et conclusions du panel ne peuvent en aucun cas remettre en question les constatations du rapport du comité des droits de l’Homme de l’ONU publié fin juillet 1998 qui fait état « d’allégations persistantes de collusion de membres des forces de sécurité dans la perpétration d’actes de terrorisme », « d’absence de mesures opportunes ou préventives de protection des victimes de la part des autorités de police et du commandement de l’armée », « de maigres renseignements concernant l’organisation des «groupes de légitime défense», de préoccupations quant aux informations relatives à l’emploi systématique de la torture, du phénomène de « disparition », des endroits de détention secrets, des exécutions extra-judiciaires, etc. Le comité recommande d’instaurer des mécanismes qui garantissent la protection de la population, l’examen des violations du droit à la vie, l’autorisation d’enquêter sur les massacres et « l’accès au CICR (Croix Rouge Internationale) et à d’autres observateurs indépendants ».

Les conclusions du comité des droits de l’Homme ainsi que celles du panel mettent en évidence que seules des enquêtes indépendantes, exemptes d’intérêts partisans, contribueront véritablement à déchirer le voile de silence qui pèse sur l’Algérie et alléger le poids de la souffrance des familles, ces familles qui de par leur courage et persévérance appellent à notre solidarité.

algeria-watch

Berlin, 20 septembre 1998