La galère de l’exil

La galère de l’exil

algeria-watch, mai 1998

algeria-watch dispose de nombreux témoignages de personnes qui, après leur fuite d’Algérie, ont essayé de trouver refuge dans des pays arabes. Ces tentatives, que nous avons résumées dans ce petit rapport, montrent bien que les gouvernements des pays arabes ne garantissent pas une protection aux réfugiés algériens. Dans ces pays la procédure d’asile politique n’est généralement pas institutionnalisée. Dans le meilleur des cas, les réfugiés sont tolérés tout en étant à la merci des velléités politiques du « pays d’accueil », s’ils ne sont pas d’emblée interdits d’entrée ou bien refoulés sur l’Algérie.

« Cela fait cinq ans que je suis en fuite et j’ai traversé de nombreux pays à la recherche d’un lieu où je me sente en sécurité. J’étais en Tunisie, Libye, au Yémen, Soudan, en Turquie et maintenant je suis en Syrie. On nous pourchassent, on nous jette en prison, nous enlève nos papiers et plus encore on nous refoule, dans un pays tiers ou directement vers l’Algérie. J’espère maintenant qu’un pays occidental donnera suite à ma demande d’asile »

L’interruption du processus électoral en 1992 et les grandes opérations d’arrestation ont poussé de nombreux algériens – dans leur majorité des membres ou sympathisants du FIS – à fuir vers les pays voisins, la Tunisie et la Libye. L’entrée en Tunisie ne nécessite pas de visa et la permission de séjour y est de trois mois. Nombreux sont les Algériens qui ont fui la persécution en Algérie et qui séjournent en Tunisie sans autorisation de séjour. Ils y vivent dans une situation précaire, dépendant soit du soutien de leur famille en Algérie ou se débrouillant tant bien que mal sur place car ils ne peuvent ni travailler officiellement, ni faire d’études, ni louer un appartement en leur nom. Mais ce qu’ils craignent le plus, ce sont les fréquents contrôles d’identité dans la rue et les activités des services secrets algériens en Tunisie. Entre temps un accord de réadmission a été conclu entre les gouvernements algérien et tunisien et le gouvernement tunisien refoule sur l’Algérie et vice-versa, des opposants tunisiens sont refoulés d’Algérie vers la Tunisie.

Dans les premières années qui ont suivi l’arrêt des élections, des milliers d’Algériens ont fui vers la Libye et un grand nombre d’entre eux a pu s’établir, trouver du travail et se sentir en sécurité. Mais dès 1995 les autorités algériennes et libyennes ont intensifié leur coopération en matière sécuritaire et la situation pour les réfugiés a radicalement changé. D’après les informations répercutées par des personnes ayant fui la Libye, des centaines de personnes auraient été convoquées sous prétexte de vérification de papiers. Elles auraient été emprisonnées et près de 130 auraient été refoulées tandis que d’autres se trouveraient encore en détention. Les autorités Libyennes auraient confisqué les papiers d’identité de certains ressortissants algériens qui ne peuvent depuis ni quitter le pays, ni trouver un travail régulier.

Selon une lettre adressée à la FAF (Fraternité algérienne de France) et reprise par un journal allemand (TAZ, 09.05.97), des centaines d’Algériens auraient été embarqués par camion vers un endroit inconnu de Tripoli et de là, transférés vers les camps de prisonniers de Bou Slim, Ain Sahra, Hausat al-Inab, Tadschoura, as-Saha al-Khadra, et Hai al-Falah. De l’extérieur ces camps ressembleraient à des usines ou des écoles. A Ain-Sahra se trouveraient près de 300 détenus et 200 à Bou Slim. Les conditions d’internement sont catastrophiques mais le plus insupportable, ce seraient les interrogatoires et séances de torture nocturnes. Un premier groupe d’internés aurait été refoulé sur l’Algérie peu avant la rédaction de ladite lettre. Le sort des autres internés n’est pas connu.

Il n’est pas connu non plus si d’autres opérations de refoulement ont eu lieu. Il est certain que la situation pour les réfugiés algériens reste précaire par le fait des activités des services secrets tant libyens qu’algériens et l’incertitude quant à de nouvelles mesures arbitraires d’arrestation ou d’expulsion. (voir le communiqué de Hijra avec un complément d’informations à ce sujet).

Les autorités soudanaises interdisent aux Algériens l’entrée au Soudan. Puisque sur le plan international ce pays a la réputation de soutenir les « organisations terroristes », les autorités évitent les compromissions du fait de tolérer des membres de partis islamistes comme réfugiés. Les quelques personnes qui ont, malgré les difficultés d’entrée, séjourné au Soudan, rapportent que les conditions de vie sont difficilement supportables: la situation matérielle est catastrophique car les possibilités de travail sont quasi-inexistantes et un soutien de l’extérieur n’est pas prévu.

L’entrée au Yémen nécessite pour les ressortissants algériens un visa, ce qui d’emblée exclut un grand nombre de réfugiés. Il y a tout de même des ressortissants algériens qui sont allés au Yémen et qui, malgré leur visa, ont été arrêtés et emprisonnés. Leurs papiers ont été confisqués et ils ont été interrogés par les autorités yéménites. Des réfugiés algériens se trouveraient en prison, attendant leur expulsion. Néanmoins il leur est laissé l’option d’aller dans un autre pays que l’Algérie, mais comme il leur incombe de fournir la somme nécessaire pour l’achat du billet d’avion, ils attendent dans les prisons. Une fois les moyens financiers réunis, beaucoup choisissent la Syrie.

L’entrée en Syrie ne nécessite pas de visa. Des milliers de ressortissants algériens ont fui vers ce pays. Une fois installés, nombreux sont ceux qui ont fait venir leur famille. Les possibilités d’accès aux moyens financiers sont limitées d’une part en raison du manque d’emplois et d’autre part du fait que les pièces d’identité expirées ne sont pas prolongées ou renouvelées par le consulat algérien en Syrie. Sans papiers valables, il est difficile de louer un logement, d’entreprendre des démarches administratives, de se déplacer à l’intérieur de la Syrie et d’une façon générale de résider dans ce pays légalement. Les communautés en exil sont sévèrement observées par les services secrets syriens très vigilants, et une quelconque activité politique est pratiquement impossible. Malgré toutes ces difficultés, les réfugiés algériens se sentaient en sécurité.

La situation allait changer après la visite du président algérien Zeroual en Syrie, fin de l’été 1997. Débuteront les contrôles par des membres des services de sécurité aux domiciles des réfugiés algériens mais aussi dans la rue. Les policiers vérifiant dans la rue les papiers de personnes suspectes d’être algériennes, procéderont même par liste. Certains sont convoqués par les services de sécurité (Moukhabarat), à d’autres seront confisqués les papiers d’identité. Des Syriens employant des algériens auraient été convoqués par les services syriens et mis en garde.

Les autorités syriennes confisquent souvent les pièces d’identité de ressortissants algériens en provenance de pays voisins. Lorsqu’ils ne sont pas placés directement en détention au fin du refoulement, ils sont astreints à se présenter régulièrement chez les autorités. Lorsqu’ils sont en détention, ils doivent fournir eux-mêmes la somme nécessaire pour l’achat du billet d’avion qui les transportera en Algérie.

Il est connu que les autorités syriennes avaient déjà refoulé des ressortissants algériens vers l’Algérie avant la visite de Zeroual. Mr Ali Yahia Abdennour, avocat et président de la Ligue Algérienne de Défense des Droits de l’Homme, avait signalé lors de sa visite en Allemagne en avril 1997 que quatre réfugiés expulsés de Syrie vers l’Algérie avaient été portés disparus. Ils réapparurent après quatre mois de détention durant lesquelles ils avaient été torturés.

La situation se détériore après la dite visite de Zeroual, entraînant l’arrestation d’un nombre inconnu de ressortissants algériens, emmenés à des endroits inconnus, sans contact avec l’extérieur.

Quelques personnes arrêtées et emprisonnées sont connues:

Des membres de service de sécurité sont venues arrêter A.M. en plein milieu de la nuit. Il été emprisonné pendant 7 mois à un endroit inconnu avant d’être expulsé début avril 1998. Son épouse et ses quatre enfants sont restés en Syrie et se trouvent depuis dans une situation très difficile, sans ressources, et ne survivant qu’avec l’aide de la communauté algérienne.

A la même période, un couple fut arrêté et emprisonné. La femme accoucha en prison et s’y trouvait encore en mai 1998 avec un petit enfant et le nouveau-né qui souffre de crises d’asthme dans une atmosphère empestée par la fumée de tabac.

A partir de septembre 1997 de nombreux hommes ont été arrêtés, dont quelques uns bénéficient de la protection du Haut Commissariat aux Réfugiés (les noms sont connus). Ainsi début Avril 1998 les autorités syriennes ont refoulé trois de ces détenus vers l’Algérie. L’un d’entre eux se trouvait sous la protection du HCR. Peu de temps après trois autres personnes ont été refoulées vers l’Algérie. En mai nous ne disposions pas d’informations sur leur sort une fois arrivés à Alger. A ce moment là, les familles n’étaient pas informées de leur arrivée en Algérie plus d’un mois auparavant.

Entre temps (août 1998), près de 60 réfugiés algériens auraient été refoulés par les autorités syriennes vers l’Algérie.

« Je suis arrivée il y a deux semaines en Syrie. Je me portais bien en Algérie, j’avais un cabinet médical et je gagnais bien ma vie. Mon mari, un officier, avait, avec un groupe d’officiers, déserté et se tenait caché. Il y a six mois environ quelques uns de ce groupe disparurent. Mon mari aussi a disparu. Peu après j’ai reçu une convocation du tribunal militaire. Je n’y suis pas allée et j’ai organisé ma fuite. Ne m’ayant pas trouvé, ils menacent mon frère. Maintenant, je suis ici et j’ai peur, je crains qu’on ne me renvoie dans les bras de ceux qui me recherchent. »

Pour éviter que les ressortissants algériens ne fuient la répression et la terreur en Algérie, il est nécessaire de contribuer à l’élaboration d’une solution pacifique du conflit. Mais sous les conditions actuelles, les gouvernements arabes et occidentaux doivent reconnaître le danger qu’encourent un grand nombre d’Algériens et d’Algériennes et leur garantir enfin une protection.

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