Attentat de Saint-Michel : un témoin revient sur ses accusations
Attentat de Saint-Michel : un témoin revient sur ses accusations
Le Monde, 14 octobre 2002
La cour d’assises de Paris n’a pu éclaircir, lundi 14 octobre, les responsabilités dans l’attentat du 25 juillet 1995 à la station RER Saint-Michel (8 morts, 150 blessés) après la rétractation à l’audience de l’unique témoin de l’accusation contre l’accusé Boualem Bensaïd.
Ce témoin, Nasserdine Slimani, 32 ans, un Français d’origine algérienne, avait expliqué en 1995 et 1996 aux policiers et au juge d’instruction que Bensaïd s’était vanté devant lui d’avoir posé la bombe, attentat revendiqué par le Groupe islamique armé (GIA) algérien. A la barre, au neuvième jour du procès, il a toutefois affirmé que ces déclarations lui avaient été extorquées. « Bensaïd ne m’a jamais parlé de quoi que ce soit. On m’a forcé à signer mes dépositions sous une pluie de coups », a-t-il dit. Nasserdine Slimani, aujourd’hui libre, a purgé une peine de huit ans de prison pour « association de malfaiteurs terroriste ». Son témoignage est le seul élément dont dispose l’accusation pour tenter de faire condamner Boualem Bensaïd, 34 ans, comme auteur de l’attentat. « C’est un dossier monté de toutes pièces », a dit le témoin.
Prié par le président de dire s’il avait peur, il a répondu par la négative. « Les attentats, c’est désolant, c’est des choses qui ne se font pas. Je n’ai aucune sympathie pour personne mais je ne crois pas en la justice car elle m’a injustement condamné. Je n’ai pas à coopérer parce que la justice, elle n’est pas là », a-t-il ajouté.
Selon les premières déclarations de Nasserdine Slimani aux policiers, Boualem Bensaïd lui avait tenu les propos en question lors d’une promenade dans Paris, le 31 octobre 1995. L’existence de cette rencontre est avérée puisque les deux hommes étaient alors suivis par la police. Les policiers venaient de retrouver et d’abattre le 29 septembre, près de Lyon, Khaled Kelkal, l’un des poseurs de bombe, et un ami lyonnais de Nasserdine Slimani. La surveillance de Slimani devait permettre d’arrêter, le 2 novembre, tous les membres du groupe, y compris Boualem Bensaïd. Nasserdine Slimani a admis que Bensaïd lui avait expliqué, lors de la promenade du 31 octobre, la méthode à suivre pour fabriquer une bombe. Les notes prises alors sous la dictée ont été saisies par la police lors de l’arrestation du jeune homme. »J’ai pas envie de revenir en arrière », dit-il. « Eh bien moi, j’en ai besoin », rétorque le président. A en croire le témoin, cependant, cet échange était sans importance. « J’ai pris sous la dictée, c’est tout, je ne comprenais pas », a-t-il assuré. « C’était dans les journaux, c’était le sujet d’actualité. C’était comme une recette de cuisine, c’était une discussion de café », a affirmé Boualem Bensaïd.
Pour l’accusation, cet élément vient s’ajouter à d’autres pièces du dossier qui montrent avec une quasi-certitude que Boualem Bensaïd, envoyé par le GIA, a participé aux préparatifs de l’attentat de Saint-Michel et coordonnait la campagne, essayant de recruter de jeunes beurs comme Slimani. Cependant, la cour ne dispose à ce jour d’aucune preuve de la participation directe de Boualem Bensaïd à l’attentat de Saint-Michel.
Jeudi 11 octobre, un témoin, Frédéric Pannetrat, a expliqué qu’il avait vu trois hommes déposer un sac dans le RER juste avant l’explosion, mais il n’a pas identifié Bensaïd. Les policiers qui ont mené l’enquête ont souligné à la barre que, outre Ali Touchent, chef du groupe mort à Alger en 1997, et Boualem Bensaïd, deux autres membres du groupe au moins se trouvaient à Paris le 25 juillet 1995 : Khaled Kelkal et Abdelkader Maameri, aujourd’hui libre.
Le procès se poursuit mardi par l’audition des rescapés de l’attentat et des familles des huit victimes décédées, qui sont parties civiles.
Avec Reuters et AFP
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Le procès des attentats de 1995
« C’est Bensaïd qui m’a donné les indications »
Un comparse de Vaulx-en-Velin a évoqué l’attentat de Saint-Michel.
Par Patricia Tourancheau, Libération, 15 octobre 2002
« Je suis religieux, ce mot [bordel] n’entre pas dans mon répertoire. » L’accusé Boualem Bensaïd au président
Après la mort, le 29 septembre 1995, du terroriste de Vaulx-en-Velin, Khaled Kelkal, c’est un comparse du quartier, Nasserdine Slimani, qui a été approché par l’émir Boualem Bensaïd alias « Mehdi », pour reprendre le flambeau. Aujourd’hui libre, après une condamnation à huit ans de prison pour « association de malfaiteurs terroristes », Slimani témoignait hier à la barre de la cour d’assises spéciales de Paris. Et répugne à livrer les confidences de « Mehdi » qui étayent l’accusation contre Bensaïd d’avoir placé la bombe de Saint-Michel le 25 juillet (8 morts, plus de 150 blessés). « Mehdi m’a dit qu’il avait participé personnellement aux deux attentats, de la station du RER à Saint-Michel et de Maison-Blanche, comme le lieu-dit où Kelkal a été assassiné », avait-il répété aux policiers et au juge sur procès-verbal : « A un moment, Mehdi a fait de l’humour. Il a parlé d’un autre homme qui portait la bombe dans un sac à dos et qui a aidé une vieille femme à traverser la route. Mehdi m’a dit : « Elle ne se doutait pas qu’il avait une bombe dans le dos ! » » Slimani, qui a passé une demi-journée à se promener dans Paris avec Bensaïd, avait même indiqué que son mentor avait « eu une expression en arabe au sujet de la station de métro, signifiant « on y est passé » ». Or le tandem, filé par les policiers du Raid, a cheminé précisément le long des bouches de métro des Halles, de Châtelet et de Saint-Michel…
Papiers prêtés. Dès son entrée dans le prétoire hier, le frigoriste de 32 ans, en jeans et blouson beige à capuche, pactise d’un sourire entendu avec Bensaïd qui gonfle ses muscles dans son tee-shirt blanc. Slimani refuse de « jurer de parler sans haine et sans crainte » au président Jean-Pierre Getti, qui l’avertit : « On ne joue pas au plus fin ici. » Alors le témoin « promet » sans jurer. Si Slimani retrouve Mehdi à Paris ce jour-là, au McDonald’s de la gare Saint-Lazare, c’est « pour récupérer [ses] papiers ». Il avait passé son passeport, ses cartes d’identité et de Sécurité sociale à un membre du réseau de Lyon, « pour aider quelqu’un à se soigner ». « Je lui ai réclamé mes papiers, mais on se comprenait pas. Il parlait algérien. J’ai rien récupéré du tout. » Le président : « Pourtant, vous avez passé la journée ensemble à discuter, c’est bizarre. » Slimani : « Comme le reste du dossier. » Un document éloquent a été retrouvé sur le Lyonnais (« remplir à 75 % la bonbonne avec le mélange à 75 %, réveil, pile, frotter l’ampoule sur du papier de verre pour faire un petit trou, remplir avec du sucre et du désherbant « ).
Recette. Slimani se coupe : « C’est Bensaïd qui m’a donné ces indications, je les ai recopiées sur un papier. » Le président : « Vous voyez que vous arrivez à parler de choses intéressantes. » Slimani finasse encore : « J’ai rien compris. » Le président constate : « Décidément, tous les témoins qui viennent ici sont frappés d’amnésie. » Avant les trous de mémoire de Slimani, l’armurier de la Bourse n’a plus du tout identifié Bensaïd auparavant reconnu sur photo comme l’acheteur de 2 kilos de poudre noire le 21 juillet.
« Comment expliquez-vous, M. Bensaïd, que Slimani vienne récupérer ses papiers et reparte à Lyon avec la recette de fabrication des bombes ? » Bensaïd, qui n’a « jamais fait de stage d’apprentissage de bombe », a pu évoquer le sujet avec Slimani, « parce que c’était d’actualité en 1995, on parlait que de ça, c’est comme une recette de cuisine mais ça veut pas dire qu’on va la faire à la maison ». Le président : « Vous ne vouliez pas plutôt convaincre Slimani de prendre le relais à Lyon du groupe décapité de Kelkal, et de foutre le bordel dans les banlieues, selon son expression? » Bensaïd : « Je suis religieux, ce mot n’entre pas dans mon répertoire. » Le président : « Je note votre délicatesse. » A Slimani : « Que pensez-vous des attentats de 1995 ? »Le frigoriste : « Je les désapprouve, je suis contre ce genre d’actes. » « Quand vous apprenez que ces individus qui ont vos papiers sont suspectés… » Slimani, penaud : « Je le prends mal. Bien sûr que j’ai peur d’être impliqué. Mes papiers circulaient. » Le président décrypte sa marche arrière toute : « Vos déclarations étaient justement le meilleur moyen de ne pas être entraîné dans ces affaires de Saint-Michel… et maintenant, vous êtes embarrassé. » L’accusateur de Bensaïd reste coi.
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Attentats de 1995 :
un témoin-clé refuse de confirmer sa déposition devant la cour et fragilise l’accusation
Pascale Robert-Diard, Le Monde, 16 octobre 2002
A l’instruction, Nasserdine Slimani avait mis en cause Boualem Bensaïd pour sa participation à l’attentat de Saint-Michel. « Je n’ai jamais dit ça », a assuré lundi cet ex-membre des réseaux GIA.
Une sorte de malaise diffus étreint la cour d’assises spéciale à l’ouverture de cette troisième semaine d’audience dans le procès des deux responsables présumés des attentats de 1995. Le président, Jean-Pierre Getti, mordille avec nervosité la branche de ses lunettes et compulse, irrité, les scellés épars posés devant lui. Le verbe emphatique de l’avocat général, Gino Necchi, s’élève, s’emmêle et se noie. Dans le box des accusés, Boualem Bensaïd défie du regard les bancs des parties civiles. Que se passe-t-il ? D’où vient ce sentiment étrange qu’en s’étirant, le procès se défait et s’échappe, comme si les sept longues années d’enquête, d’expertises, d’indices, de recoupements, et même d’aveux, qui composent les soixante-dix et quelques tomes de la procédure avaient du mal à composer une seule page limpide et irréfutable sur le plus meurtrier des trois attentats, celui de Saint-Michel ? Car c’est bien évidemment sur lui que se concentrent toutes les attentes. Elles pèsent d’autant plus lourdement que le fil est ténu, qui doit guider la cour dans son intime conviction sur la responsabilité ou non de Boualem Bensaïd comme auteur principal de cet attentat. Les témoignages, jeudi 10 octobre, du gendarme Frédéric Pannetrat et de l’employé de l’armurerie Philippe Froment, avaient déjà fragilisé l’accusation. Elle a de nouveau été malmenée, lundi 14 octobre, avec l’audition d’un autre témoin-clé, Nasserdine Slimani.
C’est un homme plein d’assurance et d’insolence qui s’est avancé à la barre, après avoir adressé un signe amical aux deux accusés. Condamné en 1999 pour association de malfaiteurs aux côtés de Boualem Bensaïd et Smaïn Aït Ali Belkacem, il a aujourd’hui purgé sa peine. Il est venu, dit-il, « pour démentir certaines choses ». Ces « certaines choses » constituent une charge essentielle contre Boualem Bensaïd. Il ne s’agit rien moins que des confidences circonstanciées faites par ce dernier sur sa participation à l’attentat de Saint-Michel et dont Nasserdine Slimani a rendu compte tant au cours de sa garde à vue que devant le juge d’instruction.
Entre les deux hommes, tout se noue le 31 octobre 1995. Ce jour-là, Nasserdine Slimani, qui appartient au réseau lyonnais du GIA, a rendez-vous à Paris avec Boualem Bensaïd, alias « Mehdi ». Un long périple commence dans les rues de la capitale, ponctué d’arrêts dans des cafés. Ce qu’ils ignorent, c’est que deux policiers, alertés par des écoutes téléphoniques sur cette rencontre, les suivent pas à pas. Lorsqu’il est arrêté, quelques jours plus tard, Nasserdine Slimani est en mauvaise posture. Des papiers d’identité à son nom ont été découverts sur Boualem Bensaïd. Une perquisition à son domicile lyonnais a permis de retrouver des instructions précises sur la fabrication d’un engin explosif. Devant les policiers, puis devant le juge, le jeune Lyonnais se révèle très bavard et multiplie les précisions qui accusent « Mehdi ». Lorsque le président achève à l’audience la lecture des procès-verbaux de ses déclarations, Nasserdine Slimani ne cille pas.
« UNE VÉRITÉ VÉRIFIABLE »
« Je n’ai jamais dit ça, j’ai fait que signer, j’ai été forcé à signer », assure-t-il. « Pourtant, c’est détaillé », insiste M. Getti. « Moi, j’ai rien détaillé du tout », réplique le témoin. »Les policiers et le juge auraient donc tout inventé ? » « Ben, demandez-leur, vous ! » « Ça vous ennuie peut-être que je rappelle tout cela devant Boualem Bensaïd ? » « Pas du tout », lance-t-il, la tête haute. « Que pensez-vous des attentats de 1995 ? », reprend le président. « C’est désolant, c’est des choses qui se font pas. » « Vous les condamnez ? » « Clairement. » « Quand vous vous regardez dans la glace, en votre âme et conscience, vous avez l’impression d’avoir coopéré avec la justice de votre pays ? », tente une dernière fois M. Getti. « Je ne crois pas à la justice. » « Bien, soupire le président, la cour vous remercie. »
Deux policiers de la brigade criminelle se succèdent maintenant à la barre. Pierre-Jean Grubis et Florence Adam, qui ont repris toute l’enquête de zéro en 2000, arrivent bardés de convictions et de la fierté légitime du travail bien fait. Le premier a recueilli les aveux complets d’un ancien membre du groupe lyonnais et, surtout, ceux de Smaïn Aït Ali Belkacem, mettant lui aussi gravement en cause « Mehdi ». Mais là encore, la parole du policier bute contre les dénégations farouches de l’accusé à l’audience. Lorsqu’il se rassoit au banc des témoins, M. Grubis croise longuement le regard de Smaïn Aït Ali Belkacem. Le visage à moitié enfoui derrière le box, celui-ci lui adresse un sourire désolé en haussant imperceptiblement les épaules. L’échange, discret, échappe à la cour.
Elle écoute à cet instant Florence Adam, qui a été chargée du décryptage des carnets trouvés en possession de Boualem Bensaïd et notamment des notes qui révèlent un repérage précis des différents lieux des attentats. Ses résultats sont parfaits, presque trop. Quand les preuves manquent, les convictions font un peu trop vite le trait d’union entre les indices. Le président le remarque, l’avocat de Boualem Bensaïd, Me Guillaume Barbe, s’y engouffre, le témoin vacille et l’accusé sourit. « Moi je veux une vérité vérifiable », martèle-t-il. Mardi, les victimes de l’attentat de Saint-Michel devaient venir lui rappeler la leur.
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Le procès des attentats de 1995
« C’est un débat entre vous et votre conscience »
Hier, les parents de victimes ont défilé devant les accusés.
Par Patricia Tourancheau, Libération, 16 octobre 2002
« Je suis musulman. Dans le Coran, on ne parle pas de tuer ou de faire une boucherie. Pour moi, vous n’êtes pas de vrais musulmans. » Le père d’une des victimes « Je suis la maman de Véronique, tuée le 25 juillet 1995 dans le RER B à Saint-Michel. Elle s’est assise sur la bombe. Je porte aujourd’hui sa montre. Véronique est morte, mais sa montre n’a jamais cessé de fonctionner ». Annick Brocheriou, 56 ans, a été la première hier à la barre de la cour d’assises spéciale de Paris à demander à Boualem Bensaïd, l’accusé principal de cet attentat qui a fait 8 morts et 183 blessés : « Pourquoi elle est morte ? » Désarçonné, l’Algérien de 34 ans s’adresse au président : « Je comprends sa douleur mais c’est à la justice de déterminer qui est coupable ou innocent. » Le maître de l’audience, Jean-Pierre Getti, rétorque : « C’est un débat entre vous et votre conscience. » Bensaïd veut se confronter uniquement à la justice, pas aux victimes : « Avec vous, on peut parler sur les procès-verbaux, mais à cette dame, j’ai pas de réponse à lui donner. Madame, je peux rien faire. »
« Jour et nuit torturé. » A son tour, Dominique, la soeur de Véronique raconte sa vie après : « On est toujours ensemble , et son incapacité à aller sur la tombe, « car je me suis aperçue qu’elle reste figée sur la photo, qu’elle ne vieillit pas… » A Bensaïd, elle lance : « Qu’il reconnaisse ou pas, j’m’en fiche. Mettre une bombe dans un RER, c’est tuer des visages qu’on ne voit pas, alors je veux qu’il voit un visage. » Elle lui montre la photo de Véronique. Seul, Smaïn Aït Ali Belkacem se trouble. Plus tard, le père, Jean-Claude, 57 ans, directeur d’école laïque, parle des études de juriste de la défunte pour se battre « contre l’injustice » et tance Bensaïd qui « nie l’évidence même quand on lui montre sa photo d’identité » : « Ce week-end, c’était l’anniversaire de Véronique et un nouvel attentat a été perpétré dans le monde (à Bali, ndlr), à chaque fois on est cassé. » Nadège Girier-Dufournier, qui a perdu sa soeur Sandrine, ne comprend pas que « ces hommes qui se disent moudjahidin ou combattants » ne défendent même pas une cause : « Ma soeur, elle défendait ses idées jusqu’au bout. » Son père Richard, fonctionnaire du ministère de l’Intérieur, entreprend les intégristes radicaux du box sur l’islam : « Je suis musulman. Dans le Coran, on ne parle pas de tuer ou de faire une boucherie. Pour moi, vous n’êtes pas de vrais musulmans. » Belkacem fronce les sourcils, mécontent. Luc Hurtaud, 53 ans, informaticien qui s’avance pour évoquer son fils Alexandre, 16 ans, « la 7e victime du RER », n’y parvient pas, et souffle : « Les accusés ont dit qu’ils ont été maltraités. Depuis le 25 juillet 95, c’est jour et nuit que je suis torturé. »
Professeur agrégé de chaire honoraire, Roland Froment, 73 ans, lui, a fait un plan pour présenter Pierre-Henri et ses « quatre mois de souffrance avant son décès d’une méningite foudroyante ». Mais sa voix s’étrangle sur les dernières paroles de son fils : « Papa, je te confie mes enfants », Clara, 5 ans, et Elisabeth née le 21 novembre 1995, jour de l’enterrement de son père. Roland Froment poursuit : « Vous croyez à une justice divine ? Pensez-vous qu’on puisse se présenter devant Dieu avec sur les mains le sang de victimes innocentes ? »
Pourquoi ? Agent hospitalier et fils de policier, Marc Aupaix raconte la « beauté atrocement mutilée » de sa mère qui « a perdu ses jambes et a eu un trou dans le dos », « consciente » encore. Elle a « reçu 27 litres de sang », en vain. Marc Aupaix ne supporte pas la comparaison des accusés entre « la Résistance française et leur lutte armée, c’est à la limite de l’injure. Il n’y a ni honneur ni gloire à poser une bombe et à se sauver en courant ». Le président tente de débrider Bensaïd : « Ces attentats ont été revendiqués par le GIA. Les victimes veulent une réponse. Pourquoi tous ces morts, au nom de quoi ? Vous êtes membre du GIA ? » » Je dis que je suis musulman. » « Je vous demande de vous comporter comme un homme et d’assumer vos responsabilités. » » Pourquoi je ne suis pas un homme ? » « Est-ce que vous approuvez les actes qui ont été commis ? » » Les attentats, vous voulez dire, comment pouvez-vous concevoir cette question ? » « Asseyez-vous, je ne veux plus vous écouter. »
Regard. La cohorte des blessés, blastés, amputés, apeurés, traumatisés, phobiques du métro et brisés de l’explosion a défilé tout l’après-midi sous les yeux de Bensaïd, impassible, jusqu’au témoignage d’une voyageuse du 6e wagon qui a pris le RER B gare du Nord ce soir-là : « Je suis passée devant deux hommes d’origine maghrébine. Le regard d’un des deux m’a fait si peur que j’ai changé de place. » La fluette Valérie Servant, 36 ans, avec son chignon sage, tremble comme une feuille. L’avocat de SOS Attentats, Georges Holleaux, la guide. « Ce regard me hante, ce regard porté sur moi m’a chassée, je gênais, je suis partie, j’ai la mémoire de ce regard et d’une partie du visage de l’homme… » Poussée par le président, elle hésite et lâche : « C’est le regard noir de M. Bensaïd, ce regard très foncé et la manière dont… » Elle l’a reconnu le deuxième jour du procès. Bensaïd s’énerve : « C’est un regard semblable ou… Regardez-moi s’il vous plaît dans les yeux. » La femme en noir pleure. Le président contre-attaque : « Le regard qui a frappé madame est-il le vôtre ? » Bensaïd dément : « Non, je n’ai jamais été dans ce wagon, c’est pas mon regard, j’ai jamais vu madame. ».