Le redressement pétrolier
Hydrocarbures
Le redressement pétrolier
Par Nasr-Eddine Lezzar, Avocat, Le Quotidien d’Oran, 9 juillet 2006
La loi sur les hydrocarbures réinvestit l’actualité en raison du contexte économique international et le pic historique jamais atteint de ce produit stratégique. Les conséquences et retombées de cette loi adoptée en 2004 sont immenses et vont plus loin qu’on ne pense. Son application laisse transparaître, en filigrane, un prochain retrait de l’Algérie de l’Opep.
Nous nous intéressons aujourd’hui à l’incursion progressive et toujours grandissante des opérateurs étrangers dans l’eldorado noir algérien. C’est avec cette sorte de cheval de Troie que sont les entreprises étrangères et les multinationales du pétrole et les nouvelles modalités d’intervention dans les activités pétrolières, que l’Algérie risque de perdre la maîtrise de gestion de ce levier économique et politique redoutable.
La réforme de 1991 était venue «ouvrir aux entreprises étrangères les activités de prospection, de recherche et d’exploitation d’hydrocarbures» (Loi n°91-21 du 4 décembre 1991) jusque-là réservées aux entreprises nationales.
– Le transport et la commercialisation tant à l’intérieur qu’à l’extérieur demeurant réservés à Sonatrach. Cette exclusivité, d’abord implicite dans l’article 4, sera explicitement affirmée dans l’article 17 de la réforme de 1991.
Il y a lieu de signaler une coexistence paradoxale de l’article 03 de la loi de 1986 non abrogé et de l’article 4 introduit par la loi de 1991.
• Article 3 (1986 non abrogé): «Le monopole des activités de prospection, de recherche, d’exploitation et de transport d’hydrocarbures appartient à l’Etat, qui peut en confier l’exercice aux entreprises nationales, conformément à la législation en vigueur».
• Article 4 (loi de 1991): «Dans le cadre des dispositions particulières relatives à l’association en matière d’hydrocarbures prévues par la présente loi, des personnes morales étrangères peuvent exercer des activités de prospection, de recherche et d’exploitation d’hydrocarbures». (Loi n°91-21 du 4 décembre 1991).
L’évolution est remarquable. Dans le premier, «seules les entreprises nationales peuvent exercer les activités de…»; dans le second, les entreprises étrangères peuvent y être associées. L’ouverture est timide et ambiguë. »Les personnes morales étrangères peuvent seulement être associées et dans le cadre des dispositions particulières relatives à l’association en matière d’hydrocarbures». L’étude des dispositions particulières relatives aux associations en matière d’hydrocarbures permet de déduire que cette association doit se faire avec une entreprise nationale.
Par ailleurs, le texte de 1991 n’a pas apporté de nouvelles dispositions au contrat ou à l’accord d’association, mais à maintenu les clauses types prévues par la loi 86/14 de l’accord d’association entre Sonatrach et l’entreprise étrangère.
Dans le lexique adopté par la loi de 1991, le législateur définit l’entreprise nationale mais s’abstient de préciser le sens qu’elle donne à la personne morale étrangère. S’agit-il d’une entreprise ayant son siège à l’étranger ou s’agit-il d’une entreprise de droit étranger même ayant son siège en Algérie ? La question est d’importance et les enjeux de ce détail peuvent être immenses. Il est notamment conseillé aux spécialistes de la fiscalité pétrolière de se pencher sur la question.
Le projet de loi sur les hydrocarbures, tout en proposant un lexique plus tatillon, demeure silencieux sur la question. Il définit le terme «Personne» comme étant: toute personne morale étrangère, ainsi que toute personne morale privée ou publique algérienne, disposant des capacités techniques et financières requises par la présente loi et par les textes réglementaires pris pour son application. Il ne donne aucune explication quant à l’acception du terme »étranger».
Il est à remarquer aussi que le texte de 1986 utilise la formule «société étrangère», tandis que le projet de 1991 lui a substitué celle de «personne morale». Est-ce le fait d’une rédaction distraite ou une nuance voulue ?
L’article 9 de la loi de 1986, maintenu par la réforme de 1991, conserve l’exclusivité des titres miniers au profit des entreprises nationales étatiques qui sont définies par l’article 8 comme étant «une entreprise publique nationale exclusivement contrôlée par l’Etat».
L’observation des définitions des activités incluses dans le titre minier permet de déduire l’exclusion du transport.
Les définitions retenues par la loi sont les suivantes.
– Prospection: les travaux préliminaires de détection d’indices d’existence d’hydrocarbures, notamment par l’utilisation de méthodes géophysiques, à l’exécution des forages.
– Recherche: les travaux de prospection, tels que définis à l’alinéa précédent, ainsi que les forages de recherche en vue de découvrir des gisements d’hydrocarbures,
– Exploitation: les travaux permettant l’extraction des hydrocarbures.
– Transport: le transport des hydrocarbures et gazeux par canalisations pour le compte d’un producteur, à l’exécution des réseaux de collecte et de desserte sur les gisements et des réseaux de distribution publique de gaz.
Le transport par canalisations a été réservé par l’article 17 de la loi de 1991 aux entreprises nationales qui peuvent toutefois s’y associer avec des opérateurs étrangers qui pourront financer, réaliser et exploiter, pour le compte de l’entreprise nationale, les canalisations et ouvrages rattachés à l’activité de transport d’hydrocarbures. Les conditions de financement et d’exploitation ainsi que les modalités de remboursement des investissements consentis pour la réalisation des canalisations et ouvrages susvisés, seront déterminées dans le contrat d’association.
En définitive, le transport des hydrocarbures semble, en dépit des premières impressions, soumis au même régime que les autres activités pétrolières. Le principe est que lorsque les opérations étrangères interviennent, c’est toujours en association ou pour le compte d’une entreprise nationale étatique.
L’article 20 de la loi de 1991 précise l’idée sus-citée et balise d’une façon assez rigoureuse l’intervention de «Toute personne morale étrangère» qui «ne peut exercer une ou plusieurs activités parmi celles visées à l’article 4 de la présente loi, qu’en association avec l’entreprise nationale concernée dans les conditions et formes prévues dans la présente loi».
Cette association se fera dans un cadre juridique contractuel rigoureusement contrôlé au plus haut niveau, puisque «Le contrat visé ci-dessus est approuvé par décret pris en Conseil des ministres», dispose l’article 21 de la loi n°91-21 du 4 décembre 1991).
Les dispositions qui suivent l’article 21 réglementent d’une façon tatillonne les dispositions du contrat et balisent le contrat d’association. Il ressort de ce qui précède que dans le cadre de l’actuel régime, l’opérateur étranger ne peut intervenir en matière pétrolière que dans le cadre de ce qu’on appelle les contrats de partage de production.
La nouvelle loi adoptée en 2004 vient sous le signe d’une grande ouverture: elle commence par considérer les activités pétrolières comme des actes de commerce. Son article 5 considère que l’exercice des activités pétrolières est un acte de commerce. Elles sont ouvertes à «Toute Personne établie en Algérie ou y disposant d’une succursale, ou organisée sous toute autre forme lui permettant d’être sujet fiscal, peut exercer une ou plusieurs des dites activités sous réserve du respect des dispositions de la présente loi, du code de commerce ainsi que de toutes autres dispositions législatives ou réglementaires en vigueur».
Aucune distinction entre national ou étranger n’apparaît ou ne transparaît. Une simple succursale en Algérie offre à tout étranger les avantages et privilèges du traitement national. Ce choix d’assimilation des opérateurs algériens aux étrangers d’une ressource aussi stratégique que le pétrole ouvre un lancinant débat.
Pourquoi estime-t-on devoir autoriser les personnes morales étrangères à activer seules là où elles ne devaient opérer qu’avec une entreprise nationale ? Où est notre intérêt ? Pourquoi accorder un traitement national (c’est-à-dire donner à l’opérateur étranger les mêmes avantages et les mêmes obligations que l’opérateur national) en contrepartie d’une simple succursale ?
– Pourquoi accorder cette facilité – véritable braderie – alors que le produit est hautement stratégique, où la rentabilité est certaine et à long terme et où en somme la loi de l’offre et de la demande est manifestement en notre faveur ?
Le partenariat obligatoire instauré par la loi de 1991 n’est-il pas plus bénéfique aussi bien à l’entreprise nationale que pour les caisses du pays que le nouveau régime d’exploitation directe et sans contrôle aucun des richesses pétrolières par des opérateurs étrangers ?
Le partenariat comporte de multiples autres avantages, notamment en matière de transfert de technologies, de formation qui seront perdus avec le régime véhiculé par le projet. Est-il judicieux de laisser les entreprises nationales (la seule entreprise en fait) livrées à la concurrence intenable des grandes multinationales ?
Le secteur des hydrocarbures a-t-il vraiment besoin, maintenant que la Sonatrach a acquis la plénitude de ses moyens, d’apports et de ressources étrangères pour son exploitation, sa gestion ou sa commercialisation ? Doit-on ou peut-on le considérer, comme le fait le projet de loi, comme un simple produit de commerce ? Ou bien les temps ont-ils changé ?
• On annonce (déjà) une révision de la loi les hydrocarbures une année après son adoption.
L’événement est loin d’être anodin et pour cause. L’enjeu est considérable parce qu’au coeur des stratégies mondiales, certains avaient même soutenu que cette nouvelle loi a été le prix auquel s’est engagé le candidat Bouteflika aux Américains.
Quelque temps après son adoption, le ministère de l’Energie et des Mines, qui se confond quelque peu avec Sonatrach, fêtera le retour de Shell, grande multinationale, grand membre de la fratrie des «sept soeurs», lobby bien connu dans le monde pétrolier. Ce retour et cette cérémonie retentirent comme une grande trahison de la glorieuse page des nationalisations. Ce fut pour l’Algérie le terme stratégique ou douloureux de ce que les historiens et spécialistes du pétrole appellent «le nationalisme pétrolier». Il faut se rappeler que ce changement de cap était déjà connu car, quelques mois auparavant, et pour la première fois de son histoire, notre pays avait opté pour une augmentation de sa production lors d’une crise pétrolière, position favorable aux pays consommateurs. On vint ensuite s’enorgueillir d’avoir fait triompher la sagesse et la rationalité, etc. Autant d’exposés des motifs qui se trouvent en porte-à-faux et même en contradiction avec la position adoptée.
– La modification annoncée touche la substance même de la loi et pose la Sonatrach comme partie prenante dans tout contrat de recherche et d’exploitation. Il faut rappeler que la nouvelle loi sur les hydrocarbures a consacré l’adoption de la technique juridique de la concession à côté de la technique contractuelle du partage de production. La concession signifie que le bénéficiaire de la concession est le seul maître du champ concédé pour peu qu’il paye la redevance convenue.
Le partage de production place la Sonatrach comme partenaire incontournable et omniprésent dans tout le processus d’exploitation pétrolière, et c’est cette règle que la nouvelle réforme veut réinstaurer. De ce coup, la concession ne sera plus ce qu’elle était et la Sonatrach, à laquelle la réforme de 2005 avait donné un statut juridique semblable à tous les autres concurrents, reprendra une place particulière.
La loi controversée, que d’aucuns ont appelé la loi Khelil – du nom de son initiateur et fervent défenseur -, a vécu. Elle perdra dans la réforme annoncée une vertu ou un vice cardinal (c’est selon): celui de permettre aux multinationales d’être les concessionnaires incontrôlables et incontrôlés du pétrole, dont Houari Boumediène disait qu’il n’est pas seulement un moyen de développement économique, mais aussi un moyen de domination politique.
On ne peut que se réjouir de ce redressement pétrolier, tout en s’interrogeant sur ce qui a permis, il y a un peu plus d’une année, l’adoption de cette loi évidemment antinationale.