Le pôle démocratique a disparu

Le pôle démocratique a disparu

Par Abed Charef, Le Quotidien d’Oran, 22 août 2002

Les élections locales ont confirmé la dislocation de ce qu’il est convenu d’appeler: le pôle démocratique Ils sont cinq. Ou sept. On ne sait plus. Ils sont bruyants. Ils parlent beaucoup. Ils ont une forte présence dans la presse francophone. Ils tiennent un beau discours, font de belles analyses dans lesquelles on trouve souvent, des formules comme modernité, progrès, libertés. Ils se considèrent comme des citoyens éclairés, des militants d’avant-garde, des éclaireurs pour l’avenir. Ils n’ont, malheureusement, qu’une présence extrêmement réduite, sinon nulle, au sein de la société. Ils militent comme ils peuvent, dans des cercles d’initiés, au sein d’un petit microcosme qui fait et défait le monde. Mais ils n’arrivent pas à admettre une évidence: le pôle démocratique dont rêvent ces formations politiques est un mythe qu’ils ont créé, un mensonge qu’ils ont inventé, et auquel ils ont fini par croire, se mettant de fait, en dehors du champ politique. La preuve en est fournie, une fois encore, avec les élections locales. Le pôle démocratique n’a pas d’existence. Il n’aura aucun poids sur l’issue du scrutin. Le vote se jouera entre le FLN, le RND, Hamas, El-Islah et un peu le FFS. c’est-à-dire, entre ceux que les modernistes algériens appellent les «islamo-conservateurs». Faut-il trouver un signe positif dans cette absence totale des «démocrates»? Peut-être. Non pour s’en réjouir, mais dans l’espoir d’y trouver les signes d’une nouvelle lucidité chez les animateurs de l’idée de pôle démocratique. En évitant d’aller aux élections, ils ont, peut-être, pris conscience de leurs faiblesses. Ils savent que leurs résultats risquent fort d’être ridicules, et qu’il vaut mieux s’abstenir. C’est l’explication la plus évidente de leur abstention. Quelle formation «démocratique» peut, en effet, espérer dépasser cinq pour cent à Saïda, Biskra ou Tissemsilt?

De cette lucidité supposée, naîtra, peut-être, chez eux, une autre vision de la société algérienne. Une vision moins paternaliste, moins méprisante, qui ne considère plus les Algériens comme des bergers incultes et des ruraux sans savoir-vivre, un ramassis de «ghachi» sans conscience. Une nouvelle vision qui poussera les «démocrates» à traiter avec la société algérienne telle qu’elle est, et non telle qu’ils la veulent ou l’imaginent. Jusque-là, les «modernistes» ont dessiné, dans leur imagination, un schéma de la modernité, et on tente de pousser la société à s’y conformer.

Leur échec, aussi cuisant que dramatique, est dû à deux grands facteurs: ils se sont trompés dans le sens de la modernité, et ont négligé la dynamique interne propre à chaque société. Ils ont réduit la modernité à des apparences, à une manière d’être, et ensuite à des slogans qu’ils n’ont même pas respectés, tout en occultant les grands aspects de la modernité: le respect de la loi, du droit, des libertés. Considèrant qu’il ne faut pas accorder de liberté aux ennemis de la liberté, ils ont cautionné toutes les dérives dans les violations de la loi et dans le domaine des droits de l’Homme, s’ils n’y ont pas participé. Ils ne se sont pas rendus compte que dans l’intervalle, ils favorisaient l’émergence et la consécration de la force comme principal moteur de fonctionnement de la société. D’autre part, les «modernistes» ont négligé la force de la société à imposer sa propre dynamique dans des directions opposées à celles souhaitées par les élites autoproclamées. Ils ont même fermé les yeux sur ce qui était évident, notamment ces replis identitaires qui accompagnaient, partout dans le monde, le mouvement de la mondialisation. Ils ont refusé de tenir compte de cet élément psychologique qui fait de la religion, de la tradition, de la préservation de la patrie, et même du racisme, un élément sécurisant face aux grands bouleversements qui s’opéraient dans le monde.

Tout ceci suppose, évidemment, que ces «modernistes» ont des convictions. Leurs mauvais choix seraient alors de simples erreurs d’analyse et non des choix délibérés. A moins que les prochaines échéances ne révèlent qu’ils sont de simples apparatchiks désireux de se maintenir au pouvoir, à n’importe quel prix.

On a, en effet, du mal à se convaincre que Rédha Malek croit en une démocratie qui ne le porte pas au pouvoir.