Quel gouvernement, quelle politique économique ?

Entre l’impératif du changement et la tentation de la continuité

Quel gouvernement, quelle politique économique ?

El Watan, 28 mai 2012

Si le doute sur un changement du gouvernement dans la foulée des dernières élections législatives est partiellement levé, ne serait-ce que pour remplacer les ministres élus à l’Assemblée populaire nationale, des interrogations se posent toutefois pour savoir quel en sera l’impact sur les orientations économiques du pays.

Le passage de Ahmed Ouyahia à la tête du gouvernement depuis quatre ans a été marqué par un certain patriotisme économique et une très forte dépense publique comme seul moteur de croissance. Le renforcement du rôle de l’Etat dans l’économie ne date pas toutefois de 2008. Le professeur Abdelmadjid Bouzidi notait ainsi lors d’un symposium intitulé «50 ans de politique économique», organisé par le Forum des chefs d’entreprises (FCE), en mars dernier, ce retour en force de l’Etat sur la période «2001-2011» à travers notamment «les trois programmes présidentiels et la relance de la consommation par l’augmentation des salaires». Les résultats ont été, selon l’économiste, «une croissance de 5%», mais qui est «éphémère, extensive et coûteuse», «un traitement social» de la question du chômage qui s’est traduit par «des emplois précaires» et «une absence de la politique de l’offre».

La loi de finances complémentaire de 2009 a consacré le retour au patriotisme économique, mais il s’agissait «plus d’une posture de circonstance, une gestion au jour le jour de l’économie nationale que d’une doctrine économique mûrement réfléchie», estime un banquier international conseiller auprès du secteur privé. C’est en effet, «en pleine crise financière internationale avec un baril à 32 dollars en janvier 2009 qu’ont été prises dans la précipitation les mesures contraignantes en matière de commerce international, d’investissement étranger et la décision de racheter Djezzy».

Quid des orientations économiques du prochain gouvernement ? Le secrétaire général du Front de libération nationale (FLN), Abdelaziz Belkhadem, dont le parti est sorti «vainqueur» des élections, prône «un changement dans la continuité» et à développer lors de la campagne électorale un discours orienté vers «le soutien au secteur public» et le développement d’une «économie publique solide avec une ouverture vers le privé». Difficile d’imaginer un changement d’orientation économique dans le cadre d’un nouveau gouvernement étant donné l’existence d’un programme présidentiel en cours et que la prochaine équipe s’attellera à mener au bout d’ici 2014.

Habib Yousfi, président de la Confédération générale des entreprises algériennes (CGEA), estime à ce propos que le prochain gouvernement «va devoir s’axer sur un programme bien précis, mais le gros programme de la présidence de la République suppose que les secteurs des travaux publics et des ressources en eau doivent continuer avec les mêmes responsables des départements ministériels. C’est d’une importance capitale». Pour le reste, il s’agira de voir si parmi «les promesses des différents partis qui ont eu l’occasion d’exposer leurs programmes économiques, il y a réellement une stratégie susceptible de prendre en charge la promotion de la petite et moyenne entreprise dans le cadre du développement économique global», indique M. Yousfi. Mais pour l’expert que nous avons interrogé, «ce n’est pas une question de parti mais de prise de conscience de la situation économique insoutenable pour le pays». Le fait est, ajoute-t-il, que «notre prix d’équilibre budgétaire est de 100 dollars depuis que le gouvernement a décidé d’acheter la paix sociale avec une redistribution massive, creusant ainsi le déficit budgétaire sans contrepartie. Or, aujourd’hui, le baril est à 106 dollars et il n’est pas interdit de penser, sauf choc exogène, qu’il redescende vers les 80 dollars».

Des chantiers prioritaires

Nouvelles orientations ou pas, le prochain pouvoir exécutif devra s’intéresser à certains chantiers majeurs. Aux yeux de M. Yousfi, il s’agit «de se pencher à la mise en place d’une stratégie économique tous azimuts avec les potentialités existantes que ce soit dans le secteur privé ou public». Une vieille revendication, devenue chronique, tant il semble que le pays est incapable de réfléchir à un tel projet en dehors des programmes présidentiels. Pour le président de la CGEA, «l’entreprise algérienne doit être prise en charge par un département ministériel qui va l’assister et l’intégrer dans une stratégie globale de développement économique, afin d’aller vers une croissance graduelle qui permette d’espérer la construction d’une économie plus au moins autonome par rapport aux importations des biens de consommation en particulier».

Au cours des dernières années, l’Etat a dépensé massivement, notamment pour rattraper le retard accusé en matière d’infrastructures. «C’était nécessaire, même si leur nature et leurs coûts sont discutables», estime l’expert interrogé. Désormais, pense-t-il, «il faut que les secteurs privés fassent levier de ses infrastructures pour prendre le relais en substituant une production nationale – médicaments, agriculture, biens de consommation, etc. – à l’importation». Et pour cela, «il faut mobiliser les ressources inutilisées des banques et reformer le carcan administratif». Jusque-là, le modèle d’une croissance tirée par la dépense publique a été privilégié par les responsables en charge de l’économie nationale, désormais, «nous devons relancer notre économie par la production», estime notre interlocuteur. Pour ce dernier, «quel que soit le parti au pouvoir, on doit tout faire pour relancer l’investissement productif national et international quelle que en soit l’exigence, même la réforme du 51/49 pour les secteurs autres que stratégiques».

Technocrates ou politiques !

Pour mener à bien ces objectifs, l’expert plaide pour «un gouvernement technocratique et compétent qui puisse définir une stratégie économique, financière et industrielle». Pour Habib Yousfi, le plus important est que les responsables, qui auront la charge du prochain gouvernement, soient «liés par une stratégie de développement économique». Pour le reste, leur choix «relève du président de la République». En tout état de cause, conclut-il, «le prochain gouvernement sera de transition dans la mesure où l’institution législative sera appelée à amender la Constitution et c’est au lendemain de cet amendement que les véritables stratégies économiques seront peut-être mises.
Safia Berkouk