La dissolution de l’Armée islamique du salut ne met pas fin à la crise algérienne

La dissolution de l’Armée islamique du salut ne met pas fin à la crise algérienne

Antoine Menusier, Le Temps 13 janvier 2000

Alors que la loi de concorde civile devient caduque, l’Armée islamique du salut a annoncé mardi qu’elle déposait les armes en échange d’une amnistie de ses combattants.
Cette décision résulte d’une négociation secrète menée par l’armée régulière qui s’est toujours opposée à un règlement entre l’AIS et le pouvoir civil. Les GIA restent encore actifs.

Il était moins une. Alors qu’expire ce jeudi l’application de la loi de concorde civile promulguée six mois plus tôt, le président algérien, Abdelaziz Bouteflika, n’était pas sûr, mardi, d’obtenir la dissolution de l’Armée islamique du salut (AIS). La nouvelle est tombée en fin d’après-midi. Le chef de l’AIS, Madani Mezrag, a confirmé dans un communiqué parvenu à l’AFP la fin de l’organisation. Même si la loi de concorde civile vaut pour les Groupes islamiques armés (GIA), toujours actifs, et non pour l’AIS, la dissolution crée un formidable effet d’annonce. Cette décision fait suite à une amnistie accordée le même jour par le chef de l’Etat aux combattants de l’AIS, dont le nombre se situerait entre 800 et 3000, à plus de 10 000 selon le porte-parole de l’instance exécutive du Front islamique du salut (FIS) à l’étranger, Abdelkrim Ouldadda.

Solution «à l’algérienne»

Les maquisards de l’AIS ont décidé «volontairement de remettre toutes leurs armes et les moyens militaires en leur possession», a indiqué mardi la présidence de la République. Mais aucune précision n’a été fournie sur le matériel de guerre dont dispose l’organisation. Cette remise des armes n’en est pas moins essentielle aux yeux des militaires algériens, qui craignent les réactions de la base de l’AIS à ce «dénouement» de dernière minute. Un malentendu ou une bavure de l’armée régulière suffirait à rallumer l’ardeur de maquis indociles. Responsable de la région de Jijel, à 300 kilomètres à l’est d’Alger, l’«émir» national Madani Mezrag n’est pas le seul dirigeant de l’AIS. Ahmed Benaïcha, dans l’ouest (Chlef), et Mustapha Kertali, dans les monts de Laarba, aux portes d’Alger, contrôlent des maquis affiliés à l’organisation et sont réservés vis-à-vis de la politique de concorde civile du président Bouteflika. L’amnistie décrétée par le chef de l’Etat devrait rétablir les combattants de l’AIS dans leurs droits civiques. C’était là l’une des exigences de Madani Mezrag, qui a donné lieu ces dernières semaines à d’intenses tractations avec le pouvoir. Cette amnistie générale ne vaut pas pour les GIA, auxquels ont été attribuées les tueries perpétrées durant le mois de ramadan qui vient de s’achever. La dissolution de l’AIS sera interprétée à Alger comme une victoire du président Bouteflika, qui avait bien besoin d’engranger un tel résultat face à l’opinion publique, d’abord acquise à la politique de réconciliation nationale, puis gagnée par le scepticisme devant la recrudescence, depuis novembre, des massacres. Dans les faits, l’accord passé avec l’AIS renvoie à une autre réalité. L’armée, qui détient le pouvoir en Algérie, s’est toujours opposée à un règlement par les politiques de la guerre civile qui a fait plus de 100 000 morts depuis 1992. Elle a fait obstruction à un projet de règlement de la crise conclu à Rome en janvier 1995 par des partis de l’opposition et des représentants du FIS. En 1997, elle a négocié en secret un accord avec l’AIS, décrite comme le bras armé du FIS, dont la mise en ouvre n’apparaît qu’aujourd’hui sans qu’on en connaisse toutes les clauses. Mais c’est surtout l’assassinat du numéro trois du FIS, Abdelkader Hachani, le 22 novembre à Alger, par des «inconnus», qui semble indiquer qu’un règlement politique du conflit est hautement indésirable. L’armée ne veut pas entendre parler d’une réapparition du FIS, dissous en 1992, dans le champ politique. Elle craint, probablement à juste titre, que le retour du FIS, même sous une autre appellation mais avec ses dirigeants historiques, Abassi Madani et Ali Benhadj, écartés de la vie publique, ne crée une dynamique judiciaire qui oblige certains généraux à répondre de leurs actes commis durant la guerre civile. La solution trouvée avec l’AIS est une solution «à l’algérienne», entre guerriers, où la parole donnée vaut plus que tous les textes. Suffira-t-elle à ramener la paix? Les GIA demeurent actifs. Des éléments de l’AIS devraient intégrer les forces régulières pour combattre les maquis hostiles à la concorde civile. Mais pourra-t-on faire l’économie d’un règlement politique, sans lequel les investisseurs étrangers hésiteront longtemps encore à s’engager? L’armée s’y résoudra le jour où elle aura l’assurance de n’encourir aucune poursuite.

La problématique FIS

L’AIS «normalisée», reste la menace incarnée par le FIS. Le pouvoir a déjà entrepris de le diviser. Il existe deux branches du Front. L’une, l’instance exécutive à l’étranger représentée par Rabah Kebir, est favorable au dialogue avec Alger; l’autre, le Conseil de coordination du FIS (CCFIS), ne l’est pas à l’heure actuelle. Le CCFIS est dirigé par Ahmed Zaoui, qui réside au Burkina Faso depuis son expulsion de Suisse en 1998. Le porte-parole du mouvement est Mourad Dihna. Il vit à Genève. Ce dernier se dit «soulagé» de la dissolution de l’AIS, une organisation «infiltrée par les services secrets», dont «le pouvoir se servait pour brouiller les cartes». La problématique FIS réapparaît et il s’en réjouit. Il accuse l’instance exécutive de Rabah Kebir de s’être fait manipuler par le pouvoir. L’instance exécutive rejette ces critiques. Elle reconnaît avoir engagé le dialogue avec Abdelaziz Bouteflika. Mais, depuis l’assassinat d’Abdelkader Hachani, elle a durci le ton pour ne pas paraître dupe. Son porte-parole, Abdelkrim Ouldadda, affirme ainsi que le retour à la paix dépend d’une solution politique et ajoute que, parmi les clauses «secrètes» de l’accord conclu par les militaires avec l’AIS, il en est une qui prévoit la «réhabilitation du FIS». L’application de la loi de concorde civile voulue par le chef de l’Etat a officiellement pris fin. «Cette loi n’aura pas été un succès total, admet un proche des milieux gouvernementaux. Seuls 2000 combattants du GIA en ont profité pour se rendre. Elle est aujourd’hui caduque mais ses effets perdureront quand même. Abdelaziz Bouteflika continuera de manier la carotte et le bâton.»