Corruption, détournements et affaires scabreuses

UN OFFICIER DE LA PROTECTION CIVILE BRISE LA LOI DU SILENCE

Corruption, détournements et affaires scabreuses

Le Soir d’Algerie, 29 août 2002

Un événement ! L’omerta, caractéristique des corps paramilitaires, vient d’être rompue pour la première fois par un officier de la Protection civile. Le capitaine Omar Saâda dénonce dans un livre qui vient de paraître, la Déchéance administrative, le drame d’un officier (aux Editions B.L., août 2002), les agissements d’un groupuscule influent et perverti d’officiers de la Protection civile, méfaits qui ont eu lieu à la wilaya d’Illizi mais dont les ramifications vont jusqu’à la Direction générale de la Protection civile (DGPC), à Alger. Jusqu’ici, aucun responsable ni officier de ce corps n’avait publiquement dénoncé les faiblesses, voire les dérives de l’institution. A la faveur de son parcours, le capitaine Saâda va même plus loin et décrit avec précision la corruption, les détournements de biens publics, les falsifications de documents, le régionalisme et les tentatives d’intimidation qui minent cette institution.

Samar Smati – Alger (Le Soir) –  » Un trio pervers et corrompu lancé sans scrupules dans une logique aussi bien dévastatrice que préjudiciable au patrimoine public. Ils sont les auteurs de détournements spectaculaires, et ce, pendant plusieurs années. En effet, c’était une dilapidation impitoyable, furtivement cautionnée par le silence complice d’une minorité d’acolytes au niveau de l’administration centrale qui leur garantissaient les apports financiers, au demeurant, couverture et protection », écrit Omar Saâda, en préambule. L’histoire débute un matin d’août 1998, quand le capitaine Saâda, alors officier à l’Ecole nationale de la Protection civile de Bordj-El- Bahri, est convoqué par un haut responsable, explicitement nommé dans La déchéance administrative, à la Direction générale de la Protection civile (DGPC), sise à Hydra. Ce dernier lui annonce sa nomination à la tête de la direction de la Protection civile de la wilaya d’Ilizi. Une wilaya qui se distingue par le fait que « le directeur était le seul à détenir la charge d’ordonnateur dans le budget d’équipement. Il disposait, donc, de toutes les prérogatives dans la gestion de ce dossier englobant une enveloppe financière prohibitive ». L’auteur explique sa promotion: » (ce responsable), entre autres, avait tout intérêt d’agir ainsi. Il devait choisir un responsable sur mesure pour cette wilaya distincte. Un gestionnaire qui répondrait à des conditions précises comme base de départ. Un critère était d’ores et déjà rempli par ma personne : le manque d’expérience dans la gestion des infrastructures ». A travers les pérégrinations de cet officier, on assiste non seulement à une déchéance mais également à une débâcle administrative. En suivant son installation à Illizi le 19 août 1998, la passation de consignes et sa prise de contact avec ses subordonnés, l’on apprend que des officiers, en particulier son prédécesseur, nommément cités dans ses écrits, ont détourné l’argent alloué à la Protection civile et à son fonctionnement, au détriment des structures et
du personnel réquisitionnant les postes importants :  » les jours suivants, j’ai pu savoir qu’effectivement certains agents venant de (*), tous grades confondus, organisés en petit royaume, avaient la mainmise sur toutes les structures du service. Nul n’avait le droit de commenter leur graves dérives et injustices envers les autres, d’autant que les officiers qui devaient objectivement dénoncer et combattre ces agissements gardaient le silence en bénéficiant en contrepartie d’un minable quota mensuel de produits alimen taires ; et les plus revendicatifs, étaient illégalement mutés aux unités lointaines de la wilaya* ». Ces mêmes officiers ont, d’après l’auteur, des relais au niveau de la DGPC, qui leur procure protection et privilèges. L’on apprend des choses étonnantes dans ce livre. Même ce à quoi on s’attendrait le moins. Comme, par exemple, les relations entre certains membres de la Protection civile, l’administration locale et un ex-« émir », repenti de son état, mais qui trouvent leur explication dans les trafics en tous genres créés par ces mêmes personnes. Au fur et à mesure que le capitaine Saâda prend connaissance des actes perpétrés, il se rend compte de la manipulation dont il a été victime. Il tentera, par ailleurs, d’alerter ses supérieurs sur la gravité des faits commis et sur les pertes considérables occasionnées. Ses multiples rapports  » confidentiels » atterriront dans les mains de ses détracteurs, ceux qui ont essayé de ternir son image auprès de la population locale. Ils les utiliseront pour intenter des actions en justice à son encontre. Il sera même condamné en première instance, et par contumace, en étant loin d’Illizi, à deux ans de prison ferme. Il fera appel et son avocat sera celui de la Protection civile. Il verra l’ensemble des accusations levées. Entre-temps, la Protection civile entame des poursuites judiciaires à l’encontre des personnes concernées par les malversations. Treize affaires. Celles-ci n’ont toujours pas abouti. Tout est consigné dans La déchéance administrative.Trois ans de vie et de début de travail acharné et de rencontres. Trois ans pour comprendre comment des officiers n’accepteront plus jamais un poste de responsabilité. Pour comprendre également que ce qui touche le corps de la protection civile touche l’ensemble des institutions de l’Etat. Le capitaine Omar Saâda est aujourd’hui officier de garde à la direction de la Protection civile de la wilaya de Boumerdès. Un retour à l’une de ses premières affectations, après une demande de démission, une grève de la faim, cinq requêtes et maints rapports. Son livre, plus qu’un témoignage, est un  » cri de détresse ». Un appel au secours, pour la sauvegarde d’un corps qui est « ébranlé par un sinistre d’une ampleur ésotérique provoqué par ceux qui inscrivaient leur savoir-faire destructeur au fond d’une composante sereine par la vertu manipulée depuis longtemps par le mensonge et la duperie ». A la fin de cette publication, le capitaine Omar Saâda supplie les instances civiles, militaires administratives et judiciaires de bien vouloir enquêter sur la véracité de ses dénonciations. Ces accusations très graves rendues publiques n’engagent, certes, que leur auteur. Cependant, suite à cet éclairage interne qui brise l’obligation de réserve d’un officier, fonctionnaire de l’Etat, et qui pourrait valoir à son auteur de passer devant un conseil de discipline et sa suspension de l’institution, reste à savoir si les personnes responsables, que ce soit à la tête de la Protection civile ou à la tête de l’Etat, répondront à son appel*
S. S.

LE CAPITAINE OMAR SAADA AU « SOIR D’ALGERIE »
« J’assume ce que j’ai écrit »

Le capitaine Omar Saâda, dans une interview express accordée au Soir d’Algérie, revient sur les motivations qui l’ont poussé à briser la loi du silence et à rendre public son témoignage. Le Soir d’Algérie: Etes-vous proche de la retraite ? M. Omar Saâda : Oui, dans quelques mois tout au plus.
L.S. : Alors, pourquoi avoir publié votre livre maintenant, brisant ainsi l’obligation de réserve ?
O.S. : De quelle obligation de réserve parlez-vous ? Il n’y a rien de compromettant à l’égard de la Protection civile. Je dénonce, toutefois, les agissements et les affaires scabreuses de quelques individus, décidés à briser leur pays. On en marre et je ne suis pas le seul à le dire. Mais j’ai décidé, à travers mon propre parcours, de dévoiler la triste vérité.
L.S. : N’avez-vous pas peur des actions en justice qui pourraient être menées contre vous par les personnes citées dans La déchéance administrative ?
O. S. : Non, pas du tout. Je suis même disposé à coopérer avec les services de la justice. Parce que, en le faisant, ils seront obligés de confirmer ou d’infirmer mes dires. Et là, la vérité éclatera. Je n’ai pas voulu faire le « policier des autres », mais quand on essaye de me corrompre ou de salir l’honneur de mon travail et de mon institution, je ne peux pas me laisser faire. Tout ce que je peux dire, c’est que je suis disposé à aller jusqu’au bout. Beaucoup de responsables administratifs, civils et mil
itaires, ont reçu une copie de mon livre, à commencer par le président de la République. Les présidents et responsables de partis politiques, également. Il faut que de tels agissements cessent.
L.S. : Vous êtes revenu à Boumerdès, sans responsabilités : en accepteriez-vous un jour ?
O.S. : Tant que la situation est la même, non. Une responsabilité qui vous condamne à deux ans de prison ferme, alors que vous n’aviez fait que votre travail, assumé votre mission, non, je ne pense pas. Je n’ai fait que dénoncer des agissements qui portaient atteinte au fonctionnement même de mon service. J’ai passé des moments difficiles. Je me posais des questions, je ne comprenais pas ce qui m’arrivait. Aujourd’hui, je suis revenu à Boumerdès, je m’occupe de ma famille. Je suis disposé à aller jusqu’au
bout. J’assume ce que j’ai écrit mais, un poste de responsabilité, après tous ces déboires, non, je ne pense pas*
L.S. : Y a-t-il eu des réactions après la parution de votre livre ?
O. S. : Oui. Enormément de gens m’ont appelé, même des personnes que je ne connaissais pas mais je n’ai pas encore eu de réactions officielles.
S. S.

Point de vue de la direction générale

Contacté pour une audience concernant les graves accusations publiées dans La déchéance administrative, le drame d’un officier », le directeur général de la Protection civile, « retenu par des préoccupations majeures liées à la protection des personnes et des biens en cette période de l’année marquée par les inondations et leurs conséquences désastreuses sur la vie des citoyens », n’a pu répondre favorablement à la requête du Soir. Toutefois, le directeur général a donné, par fax envoyé à la rédaction, un avis sur le livre du capitaine Omar Saâda : « Concernant l’ouvrage que vous citez et les renseignements que vous sollicitez, je peux vous affirmer sans me tromper que l’objet de votre intérêt ne me concerne nullement et il en est de même de l’institution que j’ai l’honneur et le privilège de diriger. Aussi les propos contenus dans ledit ouvrage n’engageraient que leur responsable, comptable devant les tribunaux, si une action en justice devait être éventuellement engagée ».
S. S.