Un « officier libre » témoigne sur l’autre guerre, au sein de l’armée
Un « officier libre » témoigne sur l’autre guerre, au sein de l’armée
François CAMPREDON, MADRID, 18 mai 1999 (AFP)
Le Mouvement algérien des officiers libres (MAOL), qui a récemment dénoncé une centaine d’arrestations au sein de l’armée algérienne, est décidé à « faire imploser le système perpétué en Algérie par des généraux mafieux », a déclaré le porte-parole de ce mouvement, le colonel B. Ali dans un entretien avec l’AFP en Espagne. Le MAOL, qui existe « de manière structurée » depuis l’été 97, compte dans ses rangs, à l’étranger, une soixantaine d’officiers, « la plupart dans la clandestinité », et « un nombre important » en Algérie, notamment dans les services de sécurité, selon le colonel B. Ali.
« C’est un mouvement qui prend de l’ampleur, car de plus en plus d’officiers d’active remettent en cause ouvertement la politique des généraux », dit cet officier qui se présente comme d’origine kabyle, âgé de 41 ans, sorti major de sa promotion à l’Académie militaire de Cherchell (Algérie) en 1987, formé en URSS (1988-1989), et responsable de la « gestion sécuritaire » au Secrétariat général de la Défense nationale jusqu’à sa désertion en août 1998.
« On croyait combattre un ennemi, on tue des innocents, des familles entières pour des généraux qui ont amassé des fortunes », ajoute ce colonel pour qui « beaucoup de massacres ont été réalisés par l’armée ». Le premier communiqué du MAOL date de début mars 1999. Il mettait en garde les candidats à l’élection présidentielle du 15 avril « contre la tentation de marchander avec les parrains du système », avec « l’oligarchie militaire ».
« On m’a demandé de signer les communiqués du mouvement parce que je suis le plus connu, les officiers supérieurs me connaissent. Ils savent que derrière cette organisation il y a des gens sérieux », explique le colonel B. Ali.
Le MAOL rejette catégoriquement toute qualification de pro-islamiste qui lui a été récemment accolée, affirme ne soutenir aucun parti et exige le retour de l’armée à son rôle strictement constitutionnel. « Nous n’avons pas de lien, ni de près, ni de loin, ni avec le FIS (Front islamique du salut – interdit) ni avec un quelconque groupe islamiste », dit-il. Le colonel B. Ali affirme qu’au Secrétariat général de la Défense nationale au ministère de la Défense « tous les bilans en pertes humaines des effectifs de sécurité transitaient par mon bureau ».
S’appuyant sur ces bilans, il précise que depuis 1992, date de l’interdiction du FIS, jusqu’à son départ en 1998, la guerre a fait 173.000 morts dont 25.000 à 26.000 militaires ou autres membres des forces de sécurité (milice, police, auxiliaires). Le gouvernement fait état de 30.000 morts civils et militaires et des sources occidentales avancent le chiffre de 100.000.
« C’est une guerre inutile qu’on a imposé aux militaires », dit-il. « Des maquis entiers, des vrais et des faux, ont été décimés », selon le colonel B. Ali.
Il explique que, sa vie étant menacée, il lui a été conseillé de quitter l’Algérie l’année dernière. « La DRS (ndlr: Direction du renseignement et de la sécurité dépendant du ministère de la Défense) m’aurait mis une balle dans la tête, puis l’armée m’aurait fait des funérailles officielles en mettant cet assassinat sur le compte du GIA » (Groupe islamique armé), dit-il.
Le MAOL a publié au lendemain du scrutin présidentiel, le 16 avril, un communiqué détaillant « les vrais résultats des élections », selon lesquels le taux de participation a été de 23,03 % contre 60,25% officiellement. « Si le gouvernement n’a pas démenti nos chiffres c’est parce qu’il sait que nous avons la disquette informatique des résultats », assure-t-il. Le mouvement, dont les membres communiquent entre eux par l’internet, édite aussi à l’étranger une lettre au moins une fois par mois, El Wathika (le document) destinée à circuler dans les casernes algériennes. « On n’a pas la culture du coup d’Etat, dit-il, mais on va faire imploser le système par nos dénonciations », ajoute le colonel qui menace de révéler prochainement le nom de celui qui a donné l’ordre de tuer le chanteur berbère Lounes Matoub, symbole de la cause kabyle, assassiné à Tizi Ouzou (Algérie) le 25 juin 1998.
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