Escadrons de la mort: laveu de Zeroual
Par Abed Charef, Le Quotidien d’Oran, 6 décembre 2001
Les escadrons de la mort ont existé. Ils ont tué. Ils sont encore dans limpunité.
Laveu est dur. Très dur. Il émane de lancien président Liamine Zeroual. Selon Louisa Hanoun, lancien chef de lEtat avait reconnu, au cours dune rencontre officielle, lexistence descadrons de la mort qui activaient en Algérie au milieu des années 90. Zeroual avait affirmé que ces groupes nétaient pas «institutionnels», ne relevaient pas de structures officielles, mais dépendaient de «groupes dintérêts» plus difficiles à identifier. Selon la version de Liamine Zeroual, les escadrons de la mort algériens nétaient donc pas constitués de la même manière que ceux dAmérique Latine, où on retrouvait une dominante de policiers, militaires et hommes des services spéciaux.
Louisa Hanoun avait posé au chef de lEtat une question relative à ces escadrons il y a trois ans, alors que le quotidien «Demain lAlgérie» venait de publier une information faisant état de leur existence. A lépoque, linformation avait été considérée comme une simple velléité de faire du zèle de la part dun journal proche de Mohamed Betchine, alors en guerre contre lestablishment. Louisa Hanoun avait, de son côté, estimé que linformation était dune extrême gravité et sen était inquiétée devant Zeroual qui lui avait confirmé leur existence.
Par sa réponse, le chef de lEtat voulait visiblement disculper les institutions officielles, tous services de sécurité confondus, dont il était officiellement le chef suprême. Peut-être voulait-il également donner une piste à suivre, lui qui en était arrivé à une situation dimpuissance totale face à des clans plus forts que lui. Toujours est-il que cet aveu confirme ce qui était, sinon admis, du moins soupçonné.
Avec de fortes présomptions, étayées par les récits de parents des victimes, dun côté, et de lautre côté, par les témoignages fracassants danciens officiers déserteurs, comme Habib Souaïdia et Mohamed Samraoui. Auparavant, au moins une organisation clandestine, aux contours opaques, sétait manifestée pour affirmer quelle allait rendre coup pour coup, dans la plus pure tradition des escadrons de la mort. Il sagissait de lOJAL (Organisation des jeunes officiers libres), qui avait affirmé son intention de sen prendre aux islamistes soupçonnés de collaborer avec les groupes armés. Elle avait trouvé un certain écho dans les milieux éradicateurs les plus radicaux, particulièrement depuis que Rédha Malek, alors chef du gouvernement, avait déclaré que «la peur doit changer de camp». Il avait fait cette déclaration à Oran, lors des obsèques de Abdelkader Alloula.
Dautres structures plus obscures encore ont, semble-t- il, agi dans le même cadre. Parfois sur la simple volonté dun «chef de guerre» local. Le maire de Relizane, Hadj Ferguène, a été publiquement accusé denlèvement et dassassinat dans des affaires similaires. Noureddine Aït-Hamouda, de son côté, a été mis en cause dans lassassinat de Matoub Lounès. Peu de gens osaient toutefois évoquer publiquement lexistence descadrons de la mort structurés par le pouvoir. Pourtant, ces escadrons se recrutent traditionnellement dans les mêmes milieux : les services de sécurité et les forces paramilitaires. Pour des raisons qui sont toujours les mêmes : ils ont les armes et la formation, ils sont motivés par des histoires de vengeance ou de prévention, ils sont des partisans de «lordre», ils pensent servir le pouvoir et bénéficier de limpunité.
Tout ceci avait, avec le temps, abouti à lapparition de la fameuse question du «kituki». Ceux qui posent cette question sont des complices des islamistes, selon le pouvoir et ses défenseurs les plus acharnés. Mais le phénomène ne semble guère faire de doute. Des exécutions extra-judiciaires, pour utiliser leuphémisme juridique, ont bien eu lieu. Officiellement, elles sont imputées à des «dérapages», des «bavures» dont les auteurs sont punis, aussitôt identifiés, selon la version officielle. Mais cet argument ne suffit guère à lever les doutes. Car, dans la confusion et lextrême tension qui avaient marqué le milieu des années 90, toutes les conditions étaient réunies pour permettre lémergence de ces escadrons de la mort.
Lengrenage classique terrorisme-répression, labsence de perspective politique, la complicité de larges courants dopinion «modernistes» qui avaient décidé de fermer les yeux sur laction dun régime militaire, pourvu quil barrât la route aux intégristes, tout ceci devait inévitablement déboucher, non seulement sur lapparition de ces escadrons, mais sur limpunité prolongée dont ils ont pu bénéficier. Curieusement, alors que des terroristes, auteurs de crimes de sang, ont été blanchis, à la faveur dune application bâclée de la loi sur la concorde civile, les membres des services de sécurité, auteurs dactes illégaux, peuvent toujours être poursuivis. Du moins, formellement, car il reste à apporter la preuve de lexistence de ces escadrons et leur implication dans des actions précises. Les dossiers rassemblés par les familles de disparus peuvent offrir des cas précis pouvant être instruits et donner lieu à des poursuites.
Mais le plus intéressant sera de voir si lAlgérie est en mesure dappeler, à la barre des témoins, un ancien président de la République pour des propos quil avait tenus dans lexercice de ses fonctions à des personnalités politiques officielles. Lui demander de fournir, par exemple, les informations qui lavaient incité à tenir ces propos, de donner des explications sur les groupes dintérêt en question, dans quelles actions ils avaient pu être impliqués. Cela devrait déboucher finalement sur des poursuites, pour rendre justice aux victimes et sanctionner les coupables. Cela lèvera le voile sur un volet des plus opaques de la décennie la plus sombre que lAlgérie ait vécue.
Mais tout ceci est de la fiction pure. Aucune structure nosera déposer plainte. Aucun procureur nosera convoquer Liamine Zeroual. Aucune révélation ne sera faite. LAlgérie est un pays où tout le monde ferme les yeux et observe strictement la loi de lomerta. La vérité est trop dangereuse à assumer, aussi bien pour les protagonistes que pour le pays lui-même, un pays déstructuré, fragilisé, vulnérable. Mais il sera encore plus vulnérable sil nassume pas pleinement ses propres dérives.
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Louisa Hanoune déclare
« Des escadrons de la mort dirigés par de puissants centres dintérêts algériens »
Le Jeune Indépendant, 4 décembre 2001
« Des escadrons de la mort régis par des centres dintérêts existent et tuent en Algérie », a déclaré le leader du Parti des travailleurs, Mme Louisa Hanoune. Selon elle, cest lex-président de la République, Liamine Zeroual, qui le lui aurait confié. A lorigine dun édito de Demain lAlgérie qui parle de trois cents escadrons de la mort en Algérie, Louisa Hanoune affirme sêtre insurgée auprès de lex-président de la République devant de telles affirmations non démenties. Le président Zeroual avait répondu que « le cas nétait pas similaire à certains pays de lAmérique du Sud, où des institutions étatiques, militaires avaient leurs escadrons qui exécutaient des syndicalistes et des intellectuels.
« Mais javoue queffectivement ils existent chez nous. [ ] Des escadrons de la mort dirigés par des centres dintérêts puissants. ». Une telle affirmation remet complètement sur la sellette lorigine de certains groupes terroristes et lève le voile sur nombre daveux que beaucoup croyaient fantaisistes. N. B.
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Lire: Qui est mister Jeannot et Chapôt? (Demain l’Algérie, 07.09.98)