« Larbi Belkheir est derrière l’assassinat de Boudiaf »

Entretien avec Bensaïd Ahmed Lakhdar, secrétaire général de la Coordination nationale des enfants de chouhada (CNEC)

« Larbi Belkheir est derrière l’assassinat de Boudiaf »

Propos recueillis par Abla Chérif , Le Matin, 31 octobre 2001

M. Bensaïd a décidé de retirer sa confiance à Bouteflika après avoir pourtant fait campagne pour lui durant les élections présidentielles. Selon lui, il n’a tenu aucune de ses promesses. Pis, le Président de la République s’est entouré de personnes qui représentent l’échec de tous les régimes passés. Il cite l’un d’eux, Larbi Belkheir, chef de cabinet présidentiel, et l’accuse d’être l’homme qui tire les ficelles depuis de longues années dans le pays. Accusation grave : il ferait même partie des commanditaires de l’assassinat de Boudiaf.
« Je m’assume », affirme M. Bensaïd.

Le Matin : La CNEC fait partie des organisations qui ont soutenu Bouteflika durant la campagne électorale présidentielle. Pourquoi décidez-vous aujourd’hui de faire marche arrière ?

Bensaïd Ahmed Lakhdar : Nous avons choisi de soutenir Bouteflika parce que nous pensions qu’il allait réellement sortir le pays de la crise, qu’il allait se pencher sur les véritables problèmes qui empoisonnent chaque jour la vie des Algériens, qu’il serait capable de les résoudre ou d’enclencher au moins un processus, mais il n’en est rien. Bouteflika n’a rien fait de ce qu’il a promis : le terrorisme continue à sévir, les institutions ne fonctionnent pas, la situation sociale empire, la pauvreté gagne du terrain malgré les richesses du pays Ils ont eux-mêmes annoncé avoir eu 42 milliards de revenus en deux ans ; en quoi ont-ils servi le peuple à qui il voulait rendre sa dignité ? Nous n’avons jamais connu une telle situation ; aujourd’hui, même l’union du pays est menacée, c’est l’anarchie totale.

En clair, vous regrettez de l’avoir soutenu ?

Absolument, nous regrettons de l’avoir aidé. Durant la campagne électorale, je disais que si j’avais soutenu Bouteflika, c’est parce qu’il allait nous aider à sortir le pays de la crise, et j’y croyais. Je croyais sincèrement à ces promesses.
Mais ce même Bouteflika disait aussi, durant la campagne : « Je rentrerai chez moi si je n’arrive pas à tenir mes promesses. » Il est temps pour lui de faire un bilan et de constater qu’il n’a rien fait, qu’il admette qu’il a échoué. Il ne reste qu’une solution : rentrer chez lui ou faire le ménage autour de lui.

Vous voulez dire qu’il est otage d’un cercle ?

Non, il est totalement responsable de cette situation. Il porte entièrement la responsabilité de ce qui se passe par exemple en Kabylie où nous comptons de très nombreux adhérents. Etait-il si difficile de gérer la mort de Massinissa ? Ne pouvaient-ils pas se rendre sur place, assister aux funérailles pour calmer les esprits et agir en présentant ce gendarme à la justice ? Non, ils ont laissé la situation pourrir, et à présent, ils manoeuvrent en créant de faux aârouch. N’ont-ils pas compris que l’heure est grave ? Mais Bouteflika est entouré par des individus qui travaillent pour que cette situation empire. Et c’est son rôle aussi de débarrasser le pays de ces individus.

De qui s’agit-il ?

Je vais vous citer nommément l’un d’eux : Larbi Belkheir. Deux jours avant que Bouteflika n’annonce sa candidature, nous l’avons rencontré pour lui dire la chose suivante : « Il y a une liste de personnes dont il ne faut pas s’entourer car ils symbolisent les régimes révolus et travaillent pour nuire au pays, Larbi Belkheir en fait partie. » Celui-ci avait voulu assister à cet entretien, mais nous avons refusé.

Que vous a répondu Bouteflika ?

Il a dit que c’est Chadli qui a mené le pays où il se trouve, mais il a ramené la même équipe.

Que reprochez-vous concrètement à Larbi Belkheïr ?

Nous l’avons accusé publiquement, y compris dans des meetings, d’être derrière le 5 octobre. Il est l’architecte de l’éviction de Chadli et la venue de Boudiaf. Nous pensons qu’il fait partie des personnes qui l’ont assassiné.

C’est une accusation très grave que vous portez là

Je le sais et je l’assume.

Qu’est-ce qui fait que vous en êtes arrivé à cette conclusion ?

Avez-vous déjà vu un Président se déplacer à l’intérieur du pays sans son ministre de l’Intérieur ? Ecoutez, je connais Boudiaf depuis 1984 ; une fois Président, il m’avait chargé d’une mission qui lui paraissait importante : je devais me rendre dans les camps du Sud où avaient été emprisonnés des milliers de personnes, car il voulait connaître leur opinion d’autant qu’on l’accusait d’avoir mené cette opération alors que c’est Larbi Belkheir qui en était responsable en réalité. Une fois ma mission accomplie, je lui ai fait un compte rendu, et c’est à ce moment qu’il m’a appris qu’il voulait entamer une visite à Aïn Témouchent et à Oran. Je lui avais dit que ce n’était pas le moment car il était entouré par une équipe peu fiable. Il ne m’a pas écouté, mais à son retour, je lui ai fait remarquer que la manière avec laquelle avait été organisé son voyage (en matière de sécurité) était une embuscade. Je l’ai mis en garde contre Larbi Belkheir, et il m’a avoué, pour la première fois, qu’il ne se sentait pas en confiance avec lui, qu’il se rapprochait trop de lui. Puis vint Annaba. La veille de son départ, je lui ai demandé d’emmener des ministres avec lui pour écouter les doléances des citoyens, mais il ne l’a pas fait.

Quel intérêt avait-il à l’assassiner ?

Boudiaf refusait d’être une marionnette dans leurs mains.

Quelle pourrait être l’implication de Larbi Belkheïr dans la situation actuelle ?

C’est lui le vrai président de la République, toutes les institutions sont entre ses mains. C’est lui qui tire les ficelles dans le pays depuis de longues années. Je vais encore évoquer le sujet de la Kabylie, car il me tient à coeur ; en tant que secrétaire général de la CNEC, je suis peiné de voir une région qui a tant donné durant la guerre de Libération se retrouver dans une telle situation. Des choses très graves pourraient encore arriver, il faut arrêter les dégâts dès à présent.