Témoignage du Transfuge « Adlane Chabane »
Témoignage du Transfuge « Adlane Chabane »
El-Watan-El -Arabi, 02 janvier 1998
Après avoir terminé mes études universitaires, j’ai pris la décision de rejoindre les rangs de l’armée. Je suis devenu un « professionnel », cad comme les officiers sortis des grandes écoles de guerre ou comme ceux qui ont choisi cette fonction après des études universitaires. Ces derniers ont fait leurs preuves et possèdent une légitimité professionnelle de par leurs diplômes supérieurs et de par leur amour du pays. Leur principale caractéristique est qu’il ne peuvent aujourd’hui cautionner le mal qui ronge l’institution militaire et qui a porté un coup très grave au moral des troupes… Je ne trahirais aucun secret si je disais que cette situation a transformé l’Algérie en un système mafieux au point où bon nombre d’officiers ont été contraints à quitter l’institution militaire et même à fuir le pays comme je l’ai fait moi même.. À mon avis, il faudrait que l’armée soit professionnelle et qu’elle demeure dans ses casernes. Et dans le milieu des officiers, il y en a beaucoup qui font la remarque suivante: » si nous sommes incapables de gérer cette guerre civile, l’armée ne pourra jamais gouverner ce pays politiquement et économiquement. Il est important de privilégier les solutions politiques sur les solutions militaires. Il faut aussi changer l’image de l’armée pour éviter son implosion. Il y a trop de dépassements et d’exactions, et trop de mort. Il faut agir autrement.
Depuis 1988 j’ai occupé plusieurs fonctions. J’ai été sous le commandement du général Lakhal Ayat puis sous le général Mohamed Betchine qui occupe aujourd’hui les fonctions de ministre d’état et de premier conseiller au président Liamine Zeroual. J’ai aussi servi sous les ordres du général Mohamed Mediene dit Tewfik avant de collaborer avec les principaux responsables dans les différents secteurs de la sécurité militaire (SM).
J’ai quitté l’Algérie depuis 06 mois et je vis aujourd’hui en Europe ou j’ai demandé l’asile politique. J’avais plusieurs fois déposé ma démission sans résultat. Je ne vous cacherai pas qu’il y a entre 300 et 400 officiers dans toutes les armes qui ont soit démissionné soit fuit après 15 années de service. De plus, ceux qui quittent l’armée normalement, ne reçoivent aucune aide ou compensation ou retraite militaire.
J’ai pris la décision de démissionner de l’armée pendant le détournement de l’avion d’Air France par un groupe du GIA. J’ai observé que la manière dont l’armée à gérer cet épisode était une catastrophe et je l’ai personnellement vécue comme une humiliation personnelle. Nous avions en Algérie une expérience dans ce genre de problèmes puisque nous avions reçu plusieurs avions détournés dans les années 70. Je croyais que nous possédions des unités de commandos spécialisées dans la libération des otages. Après cet épisode, j’ai compris que nous allions perdre la confiance du peuple….
En fait, il y a une unité commando créé en 1990 au commandement général de Meftah à 15 km d’Alger. Mais elle a prouvé qu’elle ne pourrait pas libérer les otages en un temps très court, suite à des essais dirigés par les services secrets français. C’est ce qui a décidé le ministre de l’intérieur Charles Pasqua et le premier ministre Edouard Balladur d’ordonner le déplacement de l’appareil à l’aéroport de Marignane à Marseille…
Une armée qui est commandée, contrôlée et manipulée par l’actuelle SM ne peut en aucun cas être une armée populaire surtout lorsqu’elle est incapable de protéger ses citoyens. Pour les algériens il n’y a pas l’armée mais il y a la sécurité militaire qui est présente partout. Depuis qu’on a sombré dans la guerre civile, les algériens ne respectent plus l’armée. De plus ils se moquent d’elle pour n’avoir pas pu gérer le détournement de l’avion d’Air France. Les militaires ne peuvent plus se montrer en uniforme. Ils ne peuvent plus mettre le képi à l’arrière de leurs grosses voitures pour impressionner comme ils le faisaient avant. De plus, ces militaires se cachent dans des endroits sous une garde renforcée…
Il y avait un désaccord entre les officiers qui ont servi dans les rangs français et qui ont rejoint les rangs de l’ALN en 1958 et ceux qui ont commencé la guerre de libération des 1954. Est venue se greffer d’autres désaccords entre les « analphabètes » qui sont des officiers de haut rang qui reçoivent leurs grades pour leur appartenance à des clans, et entre les « professionnels » et les « universitaires ». 80% des « analphabètes » appartiennent aux clans de l’est.
Entre 1992 et 1994, plus de 2000 officiers « universitaires » ont été renvoyés de l’armée suspectés d’être des sympathisants du FIS. Parmi les plus connus, on a le Général Larbi Si Lahssen » directeur du bureau politique de l’armée » et le colonel Mohamed Tahar Abdesslem qui s’occupait du dossier du moyen orient. Beaucoup d’autres officiers ont été écartés du centre de décision soit parce qu’ils avaient refusé de rentrer dans des clans, soit parce qu’ils avaient refusé d’être manipule par la mafia. Ces derniers peuvent évidemment revenir dans l’armée à condition qu’ils acceptent de se soumettre aux règles en vigueur. On peut ainsi les retrouver dans des institutions officielles ou dans le sénat.
Toute rébellion est sévèrement réprimée. Ses auteurs sont exécutés, ou emprisonnés dans des camps de concentration dans le Sud qui regroupent jusqu’à aujourd’hui des dizaines d’officiers de tous les rangs, parmi eux, des officiers qui occupaient en 1992 des fonctions dans la direction de la défense aérienne à Reghaia. Le moral des officiers est aujourd’hui au plus bas, du fait des salaires insuffisants, de l’inexistence de logements pour eux, et des conditions de travail difficiles.
Il y a eu démantèlement d’un réseau islamiste dans la base navale d’Alger, à l’académie de Cherchell et dans les casernes de Boughzel et Ain Oussera ou il y a d’importants dépôts de munitions et d’armes. Il y eu aussi la rébellion du capitaine Zemani qui a été promu au grade de commandant et qui a attaqué la base de Ain Arnat à Setif où il a détruit 4 hélicoptères et un dépôt de munitions. À la fin 1996, un commandant de la base navale d’Alger a déposé une bombe dans le mess des officiers à la Défense Nationale. En 1995 seulement, environ 200 militaires de différents grades ont déserté pour rejoindre les rangs des islamistes…
La sécurité désinforme, contrôle et terrorise suivant les méthodes utilisées dans les pays communistes. De temps à autre, lorsqu’il y a des crises au sein de l’armée, la SM organise des rencontres entre les différents protagonistes donnant l’impression qu’il y a une forme de démocratie, mais il n’en est rien. Tout est décidé entre les 3 ou 4 généraux qui partagent le pouvoir. Ces derniers montrent qu’ils ne sont pas d’accord entre eux. mais en réalité ils forment un seul bloc dès qu’il s’agit de piller les ressources en devises du pays.
Contrairement à ce qui circule dans la presse, les massacres ne sont pas nouveaux. Depuis 1994, les massacres sont conduits par les services de sécurité, et particulièrement par une section spéciale de la sécurité militaire qui les organise et les exécute. C’est la « Direction centrale de la Sécurité Militaire ». Elle agit dans le cadre d’un « centre opérationnel » qui est constitué d’une unité de commandos dirigée par le colonel Othmane Tartak surnommé Bachir. Le but est de terroriser les familles d’islamistes dans les quartiers islamistes pour les isoler des autres familles qui peuvent leur être d’un grand soutien.
Cette unité spécialisée a pour base la caserne de Ben Aknoun à Alger. Au début, cette unité était constituée de 6 à 10 éléments vêtus de la « Kachabia » ou de la « Djellaba » qui laissent pousser des barbes d’une dizaine de jours. Leur méthode de travail est la suivante: au milieu de la nuit ils sont transportes dans des véhicules civils dans les quartiers islamistes comme Cherarba, les Eucalyptus, Sidi Moussa, Meftah, etc.. Les éléments rentrent dans les localités et ciblent des familles bien précises, celles auxquelles appartiennent les islamistes recherches. Ils frappent à la porte en criant: « ouvrez nous sommes les Moudjahidines ». Des que la porte s’ouvre, les occupants sont tous tués. Au petit matin, le bilan s’élève d’environ une trentaine de morts. Les maisons sont détruites ensuite, durant la journée.
Ces actions se sont développées avec le renforcement de cette unité spéciale par l’arrivée d’autre commandos, de policiers et de miliciens. C’est devenu la catastrophe et il y a eu meurtres, pillages et viols à très grande échelle. Le pays est ainsi rentré dans un engrenage dangereux, et le plus dangereux de tout, c’est qu’il y a un nombre croissant d’individus qui commettent ces massacres comme s’ils étaient frappés d’une « épidémie du massacre ». Souvent, les tueurs s’adonnent à la drogue pour calmer leurs nerfs….
Ces expéditions punitives étaient aussi considérées comme des actions préventives visant à éviter que les sympathisants du FIS rejoignent les maquis après avoir été libérés des camps du Sud.
Il faudra attendre la fin de la guerre pour connaître le véritable nombre des disparus…il y en a qui disent qu’il n’y aurait que 400 disparus. Mais si on parcourt les cimetières et qu’on compte le nombre de morts classés « X algérien » on est vite pris d’un malaise. Il y a des milliers de disparus et ce sont tous des islamistes ou considérés comme tel. Leurs familles sont sommées de se taire sous peine de représailles.
Il y a encore des camps de concentration dans le Sud, vers lesquels sont envoyés ces disparus. Je peux citer les camps de Bordj Omar Idriss, Oued Namouss, Djenane Bourezg, etc.. Les conditions de détention sont inhumaines.
Je suis prêt à témoigner devant une commission d’enquête internationale. Je n’ai jamais participé aux séances de torture, mais la torture se pratique à grande échelle dans les casernes, particulièrement à Bouzareah, et à la caserne « Antar » à Hydra, et à Ben Aknoun, sans oublier les centres de police dans lesquels la torture se pratique normalement.
Les généraux reçoivent les rapports concernant les prisonniers.
Le pays n’est pas entrain de se développer. La corruption est partout dans le pays. Le monopole de l’état a été remplacé par le monopole d’une nouvelle caste d’affairistes qui sont dans leur majorité des analphabètes, comme certains généraux à la retraite ou encore actifs, d’anciens ministres, d’anciens responsables du FLN. L’état, ou ce qu’il en reste est désormais entre les mains de cette mafia politico-financière.
Pour obtenir la ligne de crédits la plus infime il faut impérativement associer un haut fonctionnaire « militaire » car les lignes de crédit étrangères ne sont accordées qu’aux hauts fonctionnaires…
La plupart des candidats à des postes à l’étranger, comme les diplomates, les journalistes, les représentants de Sonatrach ou d’Air Algérie doivent donner une commission en devises étrangères à ceux qui les aident à trouver ce poste.
Toutes les histoires d’importation et d’exportation (libérées du monopole officiel) ne sont pas fondées. Tous les algériens connaissent cela et connaissent beaucoup d’histoires à ce sujet. Voilà ce qu’il est advenu de l’Algérie et voilà à quoi sert l’armée (à décharger les bateaux des généraux et de leurs familles quand les dockers sont en grève).
Le monde de la presse a choisi son camp…La vie des journalistes est entre les mains du pouvoir qui leur assure la protection, leur donne des armes et les abrite dans des endroits bien gardés. Le pouvoir leur garanti aussi la publicité nécessaire à leur survie…