Procès des «charniers» de Relizane

 

Procès des «charniers» de Relizane

Des «repentis» témoins, des échauffourées et près de 5 heures d’audience

Benelhadj Djelloul B., Le Quotidien d’Oran, 30 décembre 2001

Le procès des «charniers» de Relizane, comme certains le désignent, et qu’a abrité le tribunal de la ville, aura tenu toutes ses promesses. Dès les premières heures de la matinée, un dispositif sécuritaire important avait été déployé tout autour des quatre coins du tribunal.

Un procès riche, même si Mme le juge a renvoyé le verdict final jusqu’au 5 janvier prochain. Le plaignant, Fergane (Relizane), Abed (commune de Djediouïa), les frères Achir (commune de Sidi M’hamed Benaouda), et 5 autres patriotes se sont constitués partie civile, pour accuser Mohamed Hadj Smaïn (membre de la LADDH) de diffamation, dénonciation calomnieuse et déclaration sur des crimes imaginaires et ce, suite à deux articles de presse successifs, datant de février dernier, dans lesquels ils sont cités nommément, comme étant les auteurs de l’assassinat du dénommé Chahloul et de plusieurs autres personnes, ainsi que d’avoir enseveli leurs corps dans ce que les familles des disparus appellent «les charniers» de Djediouïa et de Sidi M’hamed Benaouda… Ce fut tout d’abord Hadj Abed, de la commune de Djediouïa, compagnon d’armes de Fergane, qui a été appelé à la barre. Comme à son habitude, très émotif, il est revenu sur l’assassinat de son fils et de son frère, et sur le fait que le propre fils de Hadj Smaïn est un terroriste qui avait rejoint un groupe armé avec l’arme de son père. Il s’est étonné d’être discrédité, aujourd’hui que la paix est de retour. Ensuite, c’était le tour de Fergane d’affirmer, le visage pâle et les mains tremblantes, que les charniers étaient des histoires de journaux et des fantasmes de plumes légères. Pour lui, il a été un patriote exemplaire qui a toujours agi sous le contrôle de l’ANP.

Le dénommé Chahloul, dont le fils l’accuse de l’avoir emmené de force avant de l’assassiner, faisant croire à sa mort, lors d’un accrochage avec les terroristes au lieu-dit «8ème kilomètre», était l’un de ses proches collaborateurs et il regrette effectivement sa mort dans cet accrochage… Fergane, tout comme son avocat Me Ykhlef, ont tenté, durant leurs interventions, d’attirer l’attention de Mme le juge sur l’esprit vindicatif de Hadj Smaïn qui a agi, selon eux, aux noms des familles de disparus, pour régler un compte personnel avec Fergane, après qu’une commission de l’ONM lui ait retiré sa carte de Moudjahid…

D’autres plaignants ont défilé à la barre et, quoique le climat ne s’y prêtait guère, leurs surnoms «Nahel», «Zaouch» et «Lamba» ont poussé aux rires toute l’assistance… L’intervention du procureur de la République, lors de l’audition de l’accusé Hadj Smaïn, a été vite entrecoupée par les objections des avocats de la défense, Me Bentobdji et surtout Me Benadoubaba. Ces derniers inviteront Hadj Smaïn à refuser de répondre à ses «provocations». Le procès s’éloignait de plus en plus des chefs d’inculpation retenus et s’orientait petit à petit vers la question des enlèvements, des exécutions sommaires et des charniers… Lorsque les témoins de l’accusation sont entrés dans la salle, il y eut un moment d’étonnement : il s’agissait de repentis du GIA, trois au total, qui ont affirmé, sans y avoir participé, que c’était lors d’un accrochage au 8ème kilomètre, que le dénommé Chahloul a été assassiné… Les témoins de la défense, malgré le harcèlement de l’avocat de l’accusation, ont profité de l’occasion pour fustiger Fergane. Tous issus de familles de disparus, dans différentes régions de la wilaya, ils affirment que Fergane était bien là, lors de l’arrestation de leurs proches. La Renault 25 de la commune de Sidi M’hamed Benouda a été citée dans trois versions différentes…

En ce qui concerne les documents d’appui fournis à l’occasion, les lieux filmés étaient pour Me Ykhlef, avocat de Fergane, des endroits bombardés par l’ANP et les images de casernes de gendarmerie et de cantonnements de garde communale. Les témoins de la défense ont soutenu par contre que, suite à des informations de plus en plus insistantes, ils avaient contacté M. Smaïn qui avait filmé, en leur compagnie, les charniers de Sidi M’hamed Benaouda et celui de Djediouïa.. L’intervention finale de Me Ykhlef a consacré l’existence d’une diffamation et d’une dénonciation colommieuse, demandant un dédommagement de 300.000 DA pour chacun des plaignants et ce, après un long plaidoyer contre les représentants des droits de l’Homme, notamment les organisations étrangères, voulant sans doute parler de Me Khemaïs Ksaïla, de l’Observatoire de la défense des défenseurs des droits de l’Homme, présent dans la salle. Me Bendoubaba Lakhdar, avocat de la défense a parlé, quant à lui, de triomphe de la justice algérienne. Insistant sur la distinction entre la lutte antiterroriste et l’enrichissement personnel. Pour lui, il n’y avait nullement diffamation. Le procureur de la République a requis, après 5 heures d’audience, 1 ans de prison ferme contre Hadj Smaïn et 5.000 DA d’amende, avant que le juge ne mette le verdict en délibéré pour le 5 janvier prochain… A noter qu’à la sortie, des échauffaurées ont éclaté, mais elles ont pu être maîtrisées par le service d’ordre.

 

Voir:
Le procès des «charniers» de Relizane jugé le 29 décembre (Quotidien d’Oran, 09.12.01)

Mohamed Smain: Harcèlement / Liberté de mouvement

L’ancien chef des patriotes de Relizane accusé de l’assassinat de l’un de ses hommes

Militias implicated in Algeria’s reign of terror

La dérive sanglante des milices en Algérie

Les familles des disparus manifestent à Relizane

algeria-watch: Nouvelles exactions et arrestations de membres de familles de disparus à Relizane

L’énigme des charniers