Tirs croisés et pistes parallèles
Tirs croisés et pistes parallèles
El Watan, 17 novembre 2002
Lagression de lavocat Rachid Ouali, militant du RCD, et qui semble faire suite à une opinion politique exprimée publiquement, met, encore une fois, en avant la situation désastreuse des droits humains et des libertés dans le pays.
Sous couvert de la nuit, des hommes, à lidentité inconnue comme dhabitude ont attaqué lavocat, proférant, selon le témoignage de la victime, menaces et propos insultants. Des pratiques qui ont tendance à se répéter depuis quelques mois sans que cela fasse scandale. Des militants de parti, des hommes engagés dans le combat pour les droits de la personne et, parfois, de simples citoyens font lobjet dintimidations, denlèvements nocturnes et de détentions arbitraires. «Le harcèlement des militants des droits de l’homme (Hadj Smaïn à Relizane, Larbi Tahar à Labiod Sid Echikh, Khellil Abderahmane à Alger) fait clairement ressortir cette collusion des divers appareils de l’Etat contre les droits les plus élémentaires des citoyens à la visibilité. En s’attaquant aux militants des droits de l’homme, le pouvoir vise en fait à empêcher toute transparence, tout témoignage sur les injustices subies par des citoyens livrés à la violence et à l’arbitraire», constate la Ligue algérienne de défense des droits de lhomme (LADDH), dans un rapport publié en septembre 2002. Qui est derrière ces pratiques ? Et quelle en est la finalité? Dans ses déclarations à la presse, Rachid Ouali, membre également du Rotary Club, a annoncé être menacé depuis quil a proposé, lors dune réunion du RCD, de traduire le président Bouteflika en justice pour «haute trahison». Est-ce à dire quil y a un lien direct à faire entre cette proposition et les menaces dont Ouali affirme faire lobjet ? Dans le climat délétère dans lequel évolue le pays, toutes les hypothèses sont possibles. Sil est difficile de penser à un retour brutal aux pratiques policières des années 70, il demeure évident que lenvie détouffer les opposants est fortement présente chez Bouteflika comme chez ses adversaires. Et dans cette guerre sourde, tous les moyens sont bons. A Alger, sans que cela soit vérifié matériellement, lon évoque de plus en plus lexistence d«une police parallèle». Au service de qui ? De Bouteflika ? De son entourage ? De ses adversaires parmi les militaires ? Leurs périphéries ? Difficile de le savoir dans un pays installé dans lopacité et limpunité. La justice ne fonctionne pas.
Les plaintes déposées, notamment par des responsables du RCD et du FFS, nont pas abouti. Dans le sens où ces investigations, si elles ont réellement eu lieu, ne sont pas arrivées à situer le X coupable et à lidentifier. Les victimes nont aucun autre moyen de le vérifier. Elles ne lauront probablement jamais. Saïd Sadi a parlé, une fois, de groupes «qui échappent aux structures traditionnelles de lEtat». Il na pas détaillé même si, par moments, lon pensait quil faisait allusion au Département de renseignement et de sécurité (DRS, ex-Sécurité militaire), habitué à ce genre de procédé dintimidation.«En procédant à la neutralisation de tous ceux qui uvrent à faire prévaloir le droit sur l’arbitraire, en privant les citoyens de tout recours légal, les autorités sapent encore davantage le peu de crédit accordé à la voie légale et renforcent les citoyens, notamment les plus jeunes, dans la conviction que seule la violence paie», estime encore la LADDH. Assistons-nous à lélaboration dun nouveau plan, celui de la peur, pour réduire à néant le débat contradictoire et «dévitaliser» toutes les énergies d’opposition à lentreprise présidentielle et à celle des autres ? Lannée 2003 sera-t-elle celle de toutes les régressions ? Dans le pays, depuis plusieurs mois, les activités politiques plurielles, en dehors des «zones» préélectorales, sont presque interdites. Les harcèlements des militants des partis, de la société civile autonome et des mouvements citoyens ne sont, tout compte fait, que la continuation de cette logique de fermeture. Aussi, agresser un avocat, militant dun parti, dans un parking dhôtel ou déchirer la robe dun autre avocat dans un tribunal ne seront-ils que des actes, banalisés par le silence et la terreur entretenus par tous les mécanismes. Les convictions. Et les calculs.
Par Fayçal Métaoui