Chronique naissante des arrestations politiques

Chronique naissante des arrestations politiques

Le recours aux arrestations et aux incarcérations comme méthode de gestion politique déborde désormais la seule mouvance du FIS. Grande convergence entre Bouteflika et la police politique : il faut que la peur reste dans le bon camp.

Malek Sohbi, Libre Algérie, 2-16 juillet 2000

Les indices prolifèrent. Les arrestations pour délit d’opinion reviennent comme un instrument classique de la gestion politique en parallèle au recours à l’assaut de la troupe contre les manifestants. Comme encore la semaine dernière à Alger contre la marche de la Fondation Matoub Lounès.

L’affaire Aïnouche est probablement la plus symptomatique de cette régression des appareils. Mais elle est loin d’être seule. La mouvance islamiste du FIS continue bien sûr d’être harcelée au mépris le plus total de la loi. Abdelhamid Benhadj, le frère d’Ali, a été arrêté durant une semaine. Même la mouvance proche du président est concernée par la méthode forte, mouvance dans laquelle l’arrestation mystérieuse du juriste Ali Mebroukine s’apparente à une mesure de rétorsion contre un personnage qui a pris ses distances à l’égard du président Bouteflika et qui l’a fait savoir à ceux qui aiment tant courtiser le chef de l’Etat. Plus préoccupante encore la faiblesse des ripostes organisées face à la montée des pratiques policières qui porte la date génétique des pires années de la police politique.

Dans le cas d’Abdelhamid Benhadj, il ne fallait pas compter sur des comptes rendus de la presse «indépendante» pour signaler le fait. Pourtant, l’arrestation du frère d’Ali Benhadj, commerçant à Kouba, à son domicile la nuit du 18 juin et sa disparition pendant une semaine, n’est sans doute pas une information banale pour ceux qui traquent quotidiennement les signes d’une très redoutée «détente» entre le pouvoir et l’aile politique du parti dissous. Il semble que cette arrestation d’Abdelhamid était rattachée à la grève de la faim entamée par Ali Benhadj il y a quelques jours dans le but d’améliorer les conditions de sa détention dans la prison militaire de Blida. Le droit de visite notamment n’y est que très restrictivement respecté. Ali Benhadj entame depuis cette semaine la dixième année de sa peine de douze ans de prison.

Ce n’est qu’apèrs sa lourde condamnation à une année de prison ferme par la tribunal de Blida que le cas de M. Aïnouche, professeur d’université, ancien membre du Conseil national de transition (CNT) et encore récemment membre du Front démocratique (FD) de Sid Ahmed Ghozali, a suscité les premières réactions. Voilà un militant politique qui, pris dans l’élan oratoire de son intervention dans une réunion publique du FD à Larbaâ, évoque avec dérision quelques conséquences caricaturales que pourraient avoir la promiscuité des amitiés arabes du Golfe du président Bouteflika. Une procédure démarre à son encontre et froidement le conduit au bout de quelques semaines en prison. Non sans qu’entre-temps, le très brave leader du FD ait pris le temps de prendre ses distances hygiéniques à l’égard de cet «ex-militant» aux allégories trop réalistes. Il est entendu que l’attitude «exemplaire» du FD dans cette très grave affaire de liberté d’expression consomme la reddition de l’essentiel de la classe politique. Les intimidations peuvent se poursuivre, il y aura toujours de bonnes raisons de «soutenir les tendances lourdes de Bouteflika».

Dans l’affaire Ali Mebroukine, juriste ayant pignon sur rue à Alger, spécialiste du droit international, c’est ici franchement l’omerta qui règne. Inutile dans ce cas d’espérer une réaction pour faire reculer cette déferlante répressive qui se dessine. Invité à Paris quelque temps avant la visite présidentielle, Ali Mebroukine s’est mystérieusement vu annuler la suite de ses rendez-vous organisés à l’initiative du Quai d’Orsay. Une version affirme qu’il a subi à Paris même les pressions des services de sécurité algériens afin qu’il interrompe son séjour français. Rentré à Alger, il est aussitôt arrêté et incarcéré. L’expression usurpation de fonction est rapportée par le site Internet Algeria Interface comme une des raisons de son arrestation. Ses proches, eux, choisissent de se taire plus d’une semaine après son arrestation.

Ali Mebroukine a-t-il été invité en France en tant que personnalité indépendante ou en tant qu’ancien soutien du président Bouteflika ? Là semble se situer le problème. Le fait est que ce qu’il a développé de sa vision de la situation et du parcours politique présidentiel a déplu à Alger. Mais voilà que ce qui aurait pu dans un autre contexte conduire à un simple rappel à l’ordre débouche aujourd’hui sur le recours à la répression policière et à la détention arbitraire.

La tendance à la gestion du climat politique par l’intimidation de la police politique s’affirme très sérieusement sous le regard plus que complaisant des politiques. Heureusement que tous les ressorts de la résistance ne sont pas le monopole des élites. A Iferhounène, près d’Aïn El Hammam, en Grande Kabylie, une blague racontée par un comédien à Sadek, lors de journées théâtrales, a conduit à son arrestation. Les gendarmes du coin n’avaient pas apprécié qu’il y soit question des services de sécurité. La mobilisation populaire a abouti à sa libération le jour même.

Le régime de Zeroual-Betchine avait aussi tenté de «se faire respecter» en mettant notamment en prison pêle-mêle des cadres gestionnaires du secteur public. La police politique avait laissé faire. Elle a retourné la dérive contre ses acteurs le moment venu, faisant mine de ne pas y avoir participé.

Dans le cas de l’actuelle campagne naissante de répression contre l’expression libre des opinions, il y a cette fois une collusion plus solide entre la présidence de la République et les services de sécurité.

Sous le couvert de faire respecter l’image du président de la République, la police politique tente d’installer la peur chez les citoyens qui osent parler. Dans l’intérêt bien compris de tous.