Les étudiants arrêtés sur liste des renseignements
SELON LES TEMOIGNAGES
Les étudiants arrêtés sur liste des renseignements
El-Kadi Ihsane, Le Quotidien d’Oran, 22 mai 2002
Plus de deux cents étudiants poursuivaient, hier après-midi, loccupation du campus de Bouzaréah, revendiquant la libération de leurs camarades arrêtés au lendemain du passage chahuté du président Bouteflika. Il se précise pendant ce temps que les arrestations ne sont pas directement liées aux troubles de dimanche dernier.
Les étudiants arrêtés, suite à la visite chahutée du président Bouteflika, à luniversité des sciences humaines de Bouzaréah, le 18 mai dernier, lont été sur la base de fiches des renseignements généraux de la police et de ceux de la DRS selon des témoignages recueillis auprès du comité des étudiants pour la libération des détenus (CELD), constitué au lendemain de la vague darrestation. Le procureur de la République, auprès du tribunal de Bir Mourad Raïs, a dailleurs renoncé à retenir la procédure de flagrant délit suggérée par les rapports de police.
Melle Ammour Samia, «soussou à la fac» précise-t-elle, est étudiante en fin de cycle en psychologie. Elle était déléguée de son institut au sein de la coordination des comités dAlger, le CCA, qui avait animé les activités de solidarité dans les campus algérois avec les manifestants du printemps noir. Elle rappelle tout dabord que laccueil fait au président de la République à luniversité de Bouzaréah, ce jour-là, nétait pas, « contrairement à ce qui a été dit dans la presse », un acte « anti-Bouteflika », mais une manifestation de solidarité avec les détenus de Kabylie et défense de la démocratie de lenseignement, face aux projets de réforme de luniversité en cours ».
Des mots dordre sociaux ont été dailleurs scandés au passage du cortège présidentiel. Il se précise que les quelques jets de pierre ont été le fait déléments isolés, « des radicaux autonomes », généralement réfractaires au travail militant organisé. La vague darrestations qui a suivi ce débordement, elle, navait aucun lien direct avec les faits. Les deux premiers étudiants arrêtés, laprès-midi du 18 mai, ont été Akrouf Omar, étudiant en sociologie, et Benmeghar Amar qui prépare son CAPA. Ils étaient venus à la porte de lenceinte universitaire pour afficher un appel à une activité commémorative du 19 Mai, journée de létudiant. Tous deux font partie de la fondation Matoub et du CCA. Ils étaient surtout connus des services de police, depuis les marches devant le palais du gouvernement du printemps 2001. Larabi Samir, étudiant en sociologie, membre du CCA, a, lui, été arrêté en tentant de sinterposer au moment de linterpellation dAkrouf et Benmeghar.
Le Parti socialiste des travailleurs (PST) a demandé sa libération immédiate dans une déclaration dans laquelle on apprend que Larabi Samir en est militant. Bentayeb Ghani, le quatrième étudiant en sociologie, interpellé le jour des faits, la été également en fin daprès-midi, non pas pour une quelconque responsabilité dans les jets de pierre sur le cortège présidentiel mais parce quil est connu par les services pour son activité de délégué-étudiant dans le CCA.
Le scénario des 17 arrestations, recensées le 19 mai dernier, est encore plus éloquent sur les critères utilisés dans la répression. Medjekoun Boudjemaâ a été arrêté le matin en sortant de sa cité universitaire, à Hydra, près de lITFC (institut de finances). Militant du collectif Nedjma et délégué au CCA, il avait participé la veille à une assemblée générale à la cité universitaire qui avait décidé dun rassemblement, le lendemain, à luniversité de Bouzaréah pour revendiquer la libération des quatre étudiants déjà arrêtés. Les animateurs de cette assemblée générale, pour organiser la solidarité avec les premiers détenus, ont, pour la plupart, été arrêtés à leur tour, dès le matin du 19 mai. Cest le cas de Bourebaba Omar, étudiant en psychologie, Ouali Hacène, étudiant en bibliothéconomie – arrêtés dans le bus, au départ de Hydra -, de Hamidi Madjid dit « Che Guevara », étudiant en sociologie, de Rezig Slimane, étudiant à lENS interpellé près de lITFC, de Chaïbi Rachid et de Kraïchi Ahcène.
Point commun de tous les détenus : berbéristes, militants de gauche ou démocrates. Ils ont tous été des animateurs des mobilisations des campus dAlger, depuis une année. Certains dentre eux avaient déjà été interpellés par la police, suite à la marche organisée, par le CCA, en mai 2001, vers le siège du gouvernement.
Mais laffaire qui illustre spectaculairement la manière dont ont été conduites les arrestations, au lendemain du passage du président Bouteflika, à Bouzaréah, est bien celle de Khellil Abderrahmane et son ami Sid Ahmed Mourad. Le premier, militant connu de la LADDH, ligue des droits de lhomme, présidée par Me Ali Yahia Abdennour, était venu à Bouzaréah, en compagnie du second, militant FFS, senquérir de la situation après les arrestations.
Les services nont pu résister à la tentation de linterpeller. Khellil Abderrahmane est un militant fort connu, notamment, pour son engagement aux côtés des familles des disparus. Il a été inquiété, à de nombreuses reprises, par les services de sécurité comme, par exemple, à Relizane où il était délégué de la LADDH, lors des procès de Hadj Smaïn. Son ami Mourad a été arrêté parce quil avait le tort de laccompagner ce jour-là…
Au siège de SOS-disparus, Salima Ghezali, membre de la LADDH, parle de « harcèlement méthodique des défenseurs des droits de lhomme. On la vu à Labiod Sid Cheikh et à Relizane. Il y a deux affaires dans cette vague de répression, celle des étudiants que lon arrête pour étouffer la contestation et celle des militants des droits de lhomme, désormais, pourchassés partout pour que plus rien ne bouge ».
Pour Ahmed Djedaï, premier secrétaire du FFS, rencontré, lundi, au tribunal de Bir Mourad Raïs où étaient présentés au parquet les 21 détenus, « les éléments de la DRS ont piloté, de bout en bout, les arrestations des étudiants. Nous avons des témoignages qui montrent quils dirigeaient les opérations ».
Les étudiants, membres du comité pour la libération des détenus (CELD), poursuivent, à Bouzaréah, loccupation de leur faculté. Le jour, les services de sécurité qui assiègent le campus depuis trois jours «nous interpellent par nos prénoms à travers les grilles : «sortez dehors si vous êtes des hommes» ! Ils nous connaissent depuis longtemps. Ils travaillent avec des listes ».
Le recteur de luniversité dAlger, M. Hadjar, sest déplacé à Bouzaréah et a fait savoir aux étudiants mobilisés quil ne les reconnaissaient plus comme « ses étudiants ». « Il nous a lâchés. Cest le signe avant-coureur dun assaut des forces de sécurité à lintérieur de lenceinte universitaire ».