Malade et épuisé, Bilem n’est plus le même

Malade et épuisé, Bilem n’est plus le même

Accusé à tort de terrorisme, le Lillois de 34 ans a été emprisonné sept mois à Alger.

Par Haydée Sabéran, Libération. 2 juillet 2001, Lille correspondance

C’est pas une erreur judiciaire, les policiers algériens savent travailler. C’est un micmac fait à l’avance. » Le visage sombre, le sourire rare, Mohamed Bilem, un Lillois de 34 ans, vient de passer sept mois en prison en Algérie à la place d’un autre, pour terrorisme. Il encourait la peine de mort. Il est libre, mais malade et épuisé. Dans sa chambre d’hôpital à Lille, il ne s’épanche guère. « A quoi ça sert? Ce qui compte, c’est le non-lieu, que mon nom soit nettoyé. »
L’affaire commence le 11 octobre. Il débarque en Algérie, en visite. C’est son second séjour, il ne connaît pas l’Algérie, parle peu la langue. Au port, les policiers l’arrêtent. « Ils m’ont dit: « C’est pour le service militaire. » Je savais que non, puisque j’avais été exempté en France. » Il dort une nuit dans le couloir d’un commissariat vide, puis est transféré à la gendarmerie d’Alger. Sans plus d’explications.
Son frère Ahmed achète un gendarme, et découvre qu’on lui reproche d’avoir participé à un attentat en octobre 1994. Or, à cette date, Mohamed était en prison en Espagne. Quand la preuve écrite leur parvient, formelle, les gendarmes se ravisent: Bilem serait recherché pour une tentative de meurtre en avril 1993 sur un général, à Rouiba, dans la banlieue d’Alger. Nouveau silence. « On me sortait de temps en temps. Je ne comprenais pas pourquoi. C’était la sécurité militaire qui amenait des témoins, pour m’identifier. »
Après onze jours de garde à vue, il est réveillé en pleine nuit. Interrogatoire. On lui présente une photo d’identité floue, prise en 1983 avec un cousin qui a rejoint plus tard les rangs du FIS. Devant un juge, Mohamed Bilem est confronté au général, à sa secrétaire. « Ils m’ont formellement reconnu mais avec des différences, de taille et de grosseur. » Il est incarcéré, en préventive, dans le quartier des terroristes de la prison El-Harrach d’Alger. Dans sa cellule, dix-huit codétenus. « On dort par terre, dans l’humidité, les cafards et la saleté. Deux néons sont allumés jour et nuit. Il n’y a pas de vitres aux fenêtres, pas de chauffage. En hiver, les couvertures ne suffisent pas. »
Aides. Il tombe malade. La maladie de Crohn, une inflammation du tube digestif, douloureuse, qui, sans soins, peut se révéler fatale. Le médecin ne l’examine pas. « Il pose des questions, regarde la tête du client, signe une ordonnance et démerde-toi pour les médicaments, le budget est épuisé. » Son frère se bat pour lui faire parvenir les médicaments. Ahmed, seul lien avec l’extérieur, voit Mohamed au parloir, une fois par semaine, derrière « une vitre et des grilles sales ». Le consulat de France ne lui rend pas visite: en Algérie, ce Lillois est algérien.
Il s’adapte à ses codétenus. « Quand tu vis avec eux, tu dois vivre comme eux. » Cinq prières quotidiennes, y compris celle de la nuit, qui le réveille. « S’ils n’avaient pas été là, je n’aurais pas tenu le coup. Ils m’ont aidé moralement, comme on aide un copain. » Selon son avocat, Mohamed, habitant en France, sans réseaux, est un coupable idéal pour boucler un dossier de terrorisme, en ces temps de concorde civile. A Lille, la famille se mobilise auprès des élus, de la presse, d’Amnesty. Son énergie paie. En décembre, le général reconnaît publiquement qu’il ne sait pas qui a tiré sur lui et n’a « aucun intérêt à la condamnation d’un innocent ». L’espoir renaît. Mohamed apprend la patience. « Je savais que ce serait très long. Là-bas, les vieux ont tout leur temps. Magistrats, juges… tous ceux qui sont au pouvoir sont vieux. » Toutes les demandes de libération sont rejetées. Pour tenir, il se fixe une peine imaginaire: « Je m’étais donné deux ans. Je ne voulais pas me faire d’illusions, tant qu’on ne m’avait pas dit « tu es libre ». »
Urgence. Le 29 avril, on le lui dit. Il n’y croit pas. « Les gardiens font parfois ce genre de blague. » Il est libre, mais sous contrôle judiciaire. Son état de santé se dégrade. Autorisé à quitter le pays un mois plus tard, il est opéré d’urgence à son arrivée à Paris: péritonite et perforation de l’intestin. Jeudi à Lille, il était toujours hospitalisé, le corps abîmé et la rage au ventre contre cette Algérie des généraux qui lui a volé sept mois. Sa sœur Fadila s’est résignée: « Ils ne nous ont pas rendu le même Mohamed. ».