Mohamed Bilem nie toute implication dans une tentative d’assassinat contre un général algérien

L´incarcération en Algérie d´un jeune homme suscite une mobilisation à Lille

Mohamed Bilem nie toute implication
dans une tentative d´assassinat contre un général algérien

Nadia Lemaire, Le Monde, 5 décembre 2000

Depuis le 11 octobre, Mohamed Bilem, un Franco-Algérien de trente-quatre ans, né et domicilié dans l´agglomération lilloise, est incarcéré en Algérie, à la prison d´El Harrach, près d´Alger. Il est accusé par les autorités d´avoir participé, le 24 avril 1993, à une tentative d´assassinat contre Kamel Abderrahim, un général en retraite, qui fut alors gravement blessé. Depuis, sa famille et ses amis demeurant dans le quartier populaire de Lille-sud se mobilisent pour réclamer sa libération, multipliant les démarches auprès des autorités algériennes et françaises, et pour prouver son innocence.

En octobre 2000, lorsque M. Bilem se rend en Algérie pour un court séjour, accompagné de sa mère et de l´un de ses frères, à peine débarqué, il est interpellé, par la police et placé en garde à vue. On lui reproche d´abord la participation à un attentat commis le 27 octobre 1994. Sa famille lilloise affirme qu´à cette date il purgeait une peine pour trafic de cannabis en Espagne. Le 20 octobre 2000, le secrétaire général adjoint de la préfecture du Nord reçoit un document de l´administration pénitentiaire espagnole confirmant son incarcération de mars 1994 à août 1996. Le dossier est alors transmis aux autorités algériennes.

Mais Mohamed Bilem n´est pas libéré car, dans un second temps, les autorités algériennes l´accusent d´être impliqué dans une tentative d´attentat, en avril 1993. A nouveau, ses proches clament son innocence, assurant qu´il ne s´est jamais rendu en Algérie avant l´été dernier. « Son premier visa d´entrée date de juin 2000 et son premier séjour de juillet », insistent-ils, papiers officiels à l´appui. Des témoignages de sa présence dans l´agglomération lilloise en avril 1993 sont recueillis. Rien n´y fait. Des demandes de remise en liberté et de non-lieu déposées par son avocat en Algérie, Me Bouchachi, désigné par Amnesty international, sont rejetées.

Pour Pascal Cobert, l´un des avocats lillois de M. Bilem, président de la Ligue des droits de l´homme dans le Nord, « il n´y a rien qui permette sérieusement de mettre en cause Mohamed. Au contraire, tout l´innocente. Contre lui, il n´y a qu´une vague reconnaissance sur une photo floue prise il y a dix-sept ans et sur laquelle même sa mère a du mal à le reconnaître ». Il s´agit d´un e photo d´identité prise à Lille en 1983, où Mohamed figure aux côtés d´un de ses cousins, Omar Chergui, venu d´Algérie rendre visite à sa grand-mère installée à Lille. « C´était la première fois que nous rencontrions ce cousin », assure Fadila, la sœur de Mohamed.

Par la suite, Omar Chergui est devenu militant du FIS. Il a été suspecté d´avoir participé à certains attentats et est entré dans la clandestinité. C´est lors d´une perquisition à son domicile, en 1993, que la photo où figurait Mohamed, alors âgé de dix-sept ans, a été retrouvée. Depuis, Omar Chergui a bénéficié de la loi algérienne sur la « concorde civile » et n´est plus inquiété. Il est venu faire une déposition à la gendarmerie d´Alger, innocentant son cousin.

Lors de l´enquête de la gendarmerie algérienne, explique l´avocat, une dizaine de témoins ainsi que le général victime de l´attentat déclareront « croire reconnaître » Mohamed Bilem, évoquant « des traits de ressemblance ». « Si un mandat d´arrêt a été lancé, aucune demande d´extradition n´a été faite, ni aucune recherche effectuée », insiste l´avocat. Il n´a pas été inquiété lors de son premier séjour, en juillet 2000. « Entre 1993 et octobre 2000, date de l´arrestation de Mohamed et de la relance de la procédure, on est face à un trou complet et inexpliqué », ajoute Me Cobert.

« COUPABLE IDÉAL »

Après son interpellation, Mohamed a été présenté, seul, aux différents témoins de l´époque et à la victime de l´attentat. Le général blessé déclarera avoir « le pressentiment » qu´il s´agit bien du même homme, mentionnant néanmoins une différence de corpulence et de taille. Les témoins retrouvés déclareront ég alement « croire le reconnaître à 90 % », tout en soulignant des différences physiques importantes. Mais, selon Pascal Cobert, l´affaire a pris un tour de plus en plus inquiétant puisque lorsqu´ils ont été à nouveau interrogés la plupart des témoins déclarent cette fois « croire reconnaître l´homme à 99 % ». « C´est troublant, insiste l´avocat, tout le monde emploie les mêmes mots, les mêmes expressions. » Autre point obscur, selon Me Cobert : l´enquête menée en 1993 évoquait trois coups de feu tirés par un groupe de trois à quatre hommes en voiture. Désormais, certains témoins parlent de huit coups de feu tirés sur le général par Mohamed Bilem seul…

« C´est une sorte de coupable idéal, qui peut permettre de boucler une vieille affaire. Il n´est impliqué dans aucun réseau. Il ne représente aucun danger pour les autorités algériennes, plaide l´avocat. Si on ne montre pas que les autorités françaises suivent cette affaire avec attention, les conséquences pourraient être dramatiques. » Une nouvelle demande de mise en liberté ; sera déposée le 12 décembre. En cas de rejet, Pascal Cobert ira plaider en appel en Algérie, aux côtés des deux avocats algériens de M. Bilem. Dans l´intervalle, la famille de ce dernier continue d´interpeller les autorités françaises, qui « se réfugient » derrière la double nationalité de Mohamed, déplore l´avocat. Plusieurs &e! acute;lus du Nord comme le député (PS) Bernard Roman ou le secrétaire d´Etat (Vert) Guy Hascoët se sont néanmoins émus de la situation et ont promis d´alerter Hubert Védrine, précisant qu´il ne s´agit pas d´interférer dans les affaires algériennes mais de s´enquérir du sort d´un concitoyen.

 

Le Monde daté du mercredi 6 décembre 2000

 

 

 

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