Peut-on parler d’une politique des hydrocarbures en Algérie?

Peut-on parler d’une politique des hydrocarbures en Algérie?

Interview de Hocine Malti*, Algeria-Watch, 23 mai 2008

QUESTION : Comment se présente la donne pétrolière mondiale ? Le pic pétrolier a-t-il été atteint ? La hausse des prix est-elle une tendance durable ?
REPONSE : Je suppose que ce que vous appelez donne pétrolière mondiale, c’est l’évolution de la production mondiale de pétrole, l’évolution de la consommation et par voie de conséquence celle des prix. Il s’agit là, à vrai dire, d’une très vaste question qui fait l’objet d’études permanentes de la part des grandes compagnies pétrolières internationales, des organisations internationales telles que l’AIE, l’OCDE, l’OPEP, ainsi que de la part de certains gouvernements dont ceux des grandes puissances mondiales, les Etats-Unis en particulier. C’est une question tellement importante que ces études sont remises à jour au moins une fois l’an.

Ceci étant dit, il faut savoir que tant la production que la consommation de pétrole dans le monde n’ont cessé d’augmenter et continueront d’augmenter, probablement en dents de scie, mais la tendance restera nettement à la hausse. Viendra cependant le moment où la production atteindra ce que l’on appelle le « peak oil » dont nous parlerons plus tard.

L’augmentation de la production est fonction de plusieurs facteurs. D’abord des facteurs qui relèvent de la technique pétrolière proprement dite, dont les réserves en premier lieu. Malgré des hauts et des bas, les réserves pétrolières mondiales n’ont cessé d’augmenter. Ainsi, en Algérie, à titre d’exemple on a aujourd’hui des réserves identiques à ce qu’elles étaient il y a une trentaine d’années, ce qui signifie qu’elles ont augmenté si l’on prend en considération la production enregistrée durant ces années. A contrario, on peut dire que la production globale a augmenté au moins d’autant.

L’augmentation de la production dépend aussi de l’amélioration des techniques de déplétion des gisements, donc des avancées de la recherche scientifique. L’industrie pétrolière utilise aujourd’hui des techniques qui ont pour résultat que le taux de récupération des quantités de pétrole en place dans les gisements a tendance à passer du taux moyen standard de 25 à 30% à 50 voire 60%. Pour un même laps de temps, on va donc produire deux fois plus que ce que ce qui se faisait auparavant et inversement, à production constante, on double la durée de vie du gisement. D’un autre côté, l’amélioration des techniques de recherche pétrolière a pour conséquence que l’on découvre tout le temps de nouveaux champs pétroliers. C’est le cas, en Algérie, de la région de Berkine, dans laquelle il n’y avait que quelques poches de pétrole connues, voici une vingtaine d’années de cela, qui est devenue le deuxième bassin pétrolier du pays.

La production pétrolière dépend bien entendu aussi de facteurs financiers. Il est clair qu’elle augmentera en proportion des sommes investies dans le domaine de l’exploration pétrolière, dans l’amélioration ou l’augmentation de la taille des installations de production sur les champs en exploitation, ainsi qu’avec l’augmentation des capacités de transport. Encore faut-il que ces investissements soient faits à temps. Ainsi, l’une des causes de la crise pétrolière mondiale actuelle se trouve être le retard pris dans la construction de nouvelles capacités de raffinage, aux Etats-Unis en particulier. La raison qu’invoquent les grandes multinationales pour ce retard dans l’investissement, c’est la crainte du lendemain, la peur d’un avenir incertain, disent-elles. En réalité, elles ont voulu avoir, comme on dit, le beurre et l’argent du beurre, c’est-à-dire faire des profits colossaux sans faire les investissements correspondants.

Parmi les facteurs financiers, il faut également citer l’augmentation des prix du pétrole. A plus de 100 dollars le baril – 130 au dernier fixing – certains gisements pétroliers qui étaient considérés non rentables, le sont devenus.

En dehors des paramètres technico-financiers, les facteurs politiques et climatiques ont une très grande influence sur la production et la consommation de pétrole. Quand on examine les courbes de production et de consommation du pétrole à travers le monde, durant les trente dernières années prises à titre d’exemple, on constate qu’elles sont toutes deux croissantes. On constate aussi un décrochage de ces courbes, une chute au lendemain de chaque grand évènement mondial, suivie aussitôt d’une nouvelle augmentation et que l’ascendance des courbes devient encore plus importante qu’elle ne l’était jusque là. C’était le cas en 1979/1980 au lendemain de la révolution iranienne, en 1991 après la première guerre du Golfe, en 2001 après les attentats du 11 septembre, mais aussi après l’invasion de l’Irak ou après le passage du cyclone Katrina qui a dévasté les installations pétrolières du golfe du Mexique.
Il est certain aussi que la consommation pétrolière a nettement augmenté ces dernières années en raison du développement rapide de certains pays dits émergents, dont le fameux quatuor des BRIC (Brésil, Russie, Inde et Chine).

Jusqu’à quand la production et la consommation pétrolières vont-elles augmenter ? Nul ne peut le dire avec précision. On peut cependant affirmer que l’on est encore très loin du point d’inversion des deux courbes. S’agissant de l’évolution de la production pétrolière mondiale, il existe une théorie dite du « peak oil » qui représente, dans le temps, le moment où la production globale de pétrole sera à son maximum et après lequel le rythme de production entrera dans sa phase de déclin ultime. Cette théorie a été émise pour la première fois en 1956 par King Hubbert, qui situait ce pic entre 1965 et 1970. D’autres experts ont par la suite repris cette même théorie et ont avancé 1980, puis 2000, puis 2005 comme dates à partir desquelles la production mondiale de pétrole se mettrait à décliner inexorablement. Ils se sont tous trompés. Les uns ont représenté la courbe de production sous forme de cloche, pour d’autres elle prendrait la forme d’un plateau qui durerait entre dix et vingt ans. Quant à la partie descendante, ils la voient tous durer une vingtaine à une trentaine d’années. Les dernières prévisions font état d’un « peak oil » qui interviendrait en 2030, la fin de l’ère du pétrole devant avoir lieu, selon ces prédictions, entre l’année 2080 et la fin du 21ème siècle.

Quant à la hausse des prix du pétrole, elle est inéluctable et durable. On est passé, en moins de trois ans, d’un niveau de 20/25 dollars le baril à 130 dollars et plus bientôt; durant les douze derniers mois, les prix ont doublé. Tous les experts pétroliers s’accordent à dire que l’on va très vite atteindre le seuil des 200 dollars le baril. Certains prédisent même un baril de pétrole à 600 dollars d’ici à 2015. Ceci ne veut pas dire que les pays producteurs vont voir leur PIB ou le pouvoir d’achat de leurs citoyens être multipliés par 2 ou par 3.

’abord en raison de l’érosion permanente du cours du dollar. Dans le cas particulier de l’Algérie, où l’on importe tout, depuis les céréales et le lait, jusqu’à la voiture et l’avion, on pourrait même s’attendre à un tassement du niveau de richesse du pays, et ce pour plusieurs raisons. En effet et en parallèle à l’augmentation des prix de l’énergie, on constate une augmentation tout aussi importante des prix des biens et services importés. Par ailleurs, l’Algérie vend son pétrole en dollars, mais achète beaucoup en euros, une monnaie dont le cours ne cesse d’augmenter.

Il est clair que la croissance démographique joue aussi un rôle important. Mais les deux problèmes principaux de l’Algérie sont d’une part, l’incurie des gouvernants qui s’entourent de gens rarement compétents, puisque les critères essentiels qui président au choix des collaborateurs sont la servilité et le régionalisme. Et puis il y a d’autre part, cette mafia d’hommes du pouvoir, civils et militaires, qui se partagent la rente pétrolière, qui ont transformé le pays en un énorme bazar dans lequel prospèrent leurs sociétés d’import-import. Ils ont, bien sur, été assez intelligents pour laisser quelques miettes au reste du peuple.

QUESTION : Ce qui se passe en Irak autour de la loi sur le pétrole en terme de dénationalisation est très grave. Il s’agit d’un sujet majeur : serait-ce le biais pour casser l’OPEP ? Quel est l’avenir de l’OPEP selon vous ?
REPONSE : Il est aujourd’hui clair pour tout le monde que la guerre puis l’occupation de l’Irak par les Etats-Unis avait pour but de s’accaparer des immenses richesses pétrolières du pays. Les Américains y ont installé un gouvernement fantoche auquel ils ont confié la tâche de préparer une nouvelle loi sur les hydrocarbures. En réalité, ils ont fait élaborer le texte de cette loi par une société conseil américaine, la Bearing Point et l’ont faite approuver par le Fonds Monétaire International, avant de la soumettre à l’aval du gouvernement et du parlement irakiens. Cela ne vous rappelle-t-il pas ce qu’ils ont fait en Algérie ? Bénéficiant de la complicité du ministre de l’énergie, ils avaient, de même, fait élaborer par une société conseil new-yorkaise, Pleasant and Associates, la nouvelle loi algérienne sur les hydrocarbures, sous le couvert de la Banque Mondiale. Il a fallu que des pressions soient exercées de toutes parts sur Abdelaziz Bouteflika pour qu’il fasse finalement marche arrière et annule les dispositions les plus scélérates de cette loi. Je profite de cette occasion pour signaler à vos lecteurs et à l’opinion publique en général que les Américains n’ont toujours pas renoncé à leur projet de mettre la main sur le pétrole et le gaz algériens. Tant que Chakib Khellil sera ministre de l’énergie, il faut s’attendre au pire de leur part.

Mais revenons au pétrole irakien. Grâce aux résistances de certains patriotes irakiens, ils ont renoncé à accorder la propriété des réserves pétrolières aux compagnies étrangères. Ils ont par contre fait introduire dans la nouvelle loi des dispositions qui permettront demain à Exxon-Mobil, Chevron-Texaco et BP (ce sont ces trois sociétés qui vont décrocher la grande majorité des contrats pour l’exploitation des gisements du pays) à engranger des profits comme ils n’en ont jamais eus nulle part. Officiellement, c’est le système standard des accords de partage de production qui régira les relations Etat – Compagnies ; ils y ont cependant introduit des clauses qui permettent aux sociétés exploitantes de récupérer 75% du chiffre d’affaires généré pour couvrir leurs investissements et dépenses d’exploitation et de s’octroyer un bénéfice de 20%. Par ailleurs, les contrats auront une durée de 30 ans (tout comme il était prévu dans la loi algérienne) durant laquelle ils ne pourront pas être renégociés et en cas de litige, il sera fait recours à l’arbitrage international. Les compagnies pétrolières ne seront pas soumises au paiement de tout impôt et pourront procéder à des transferts d’argent hors du pays, sans aucun contrôle.

Les Américains ont essayé d’introduire une autre disposition très controversée dans la loi. Ils voudraient que chacune des trois principales régions du pays (le Kurdistan au Nord, le Sud majoritairement chiite et le Centre mixte chiite-sunnite) gère les champs pétroliers qui s’y trouvent et perçoive les revenus dégagés. C’est une disposition extrêmement grave qui aboutirait certainement à terme au démembrement du pays, en plus des très nombreux autres dangers qu’elle représente pour le peuple irakien et pour l’OPEP également. Malgré le fait que le gouvernement actuel est à la solde des Américains, tout comme une bonne partie des parlementaires, c’est cette disposition qui constitue la pierre d’achoppement qui a empêché la promulgation de la nouvelle loi.

S’agissant de l’OPEP, cette loi est dangereuse en ce sens qu’elle risque de constituer un précédent pour les relations futures entre les pays producteurs et les multinationales pétrolières. Elle accorde à celles-ci des avantages exorbitants qui, s’ils devaient être étendus aux autres pays, ne leur laisseraient que quelques miettes des richesses dont la nature les a dotés. Et puis surtout, cette loi enlève aux états concernés le droit de gérer leurs ressources pétrolières en fonction des intérêts de leurs pays et de leurs peuples pour le transférer aux multinationales. C’est confier au loup le contrôle de la bergerie. C’est un des néocons de l’entourage de George W. Bush, qui disait en février 2001, donc deux ans avant l’envahissement de l’Irak « Nous ramènerons ce pays 100 ans en arrière ». Le Conseil national de sécurité avait également programmé lors de l’une de ses toutes premières réunions, en février/mars 2001 qu’il destituerait Saddam Hussein afin qu’il n’ait plus le contrôle du pétrole irakien, mais qu’il ne le transférerait pas pour autant entre les mains d’un pouvoir irakien quelconque, mais plutôt aux multinationales afin de casser définitivement le pouvoir de l’OPEP. C’est ce scénario qui est en cours d’application aujourd’hui en Irak.

Il faut enfin savoir que l’administration américaine ne compte pas s’arrêter en si bon chemin, l’Irak n’est que la première cible, le but ultime est bien de prendre le contrôle des richesses pétrolières de tout le Moyen Orient – le Maghreb en fait partie du point de vue US – en commençant par l’Iran, ce qui est l’étape suivante. Il semblerait cependant que la crainte de la réaction des communautés chiites présentes dans tous les pays du Golfe ait fait retarder les frappes militaires contre ce pays, programmées elles aussi depuis l’avènement de George W. Bush à la Maison Blanche.

L’OPEP résiste pour le moment aux tentatives de destruction dont elle fait l’objet ; elle tiendra le coup tant que l’Arabie Saoudite gardera le contrôle de son pétrole, ce qui est le cas actuellement. Apparemment les Saoudiens ne sont pas prêts de céder ni sur la propriété de leurs réserves pétrolières, ni sur la priorité à accorder à leur compagnie nationale l’Aramco.

QUESTION : Que pensez-vous des investissements en cours dans le secteur de la pétrochimie, bonne ou mauvaise chose ?
REPONSE : Il n’y a pas de mon point de vue de mauvais investissement en matière de pétrochimie qui est un domaine extrêmement large. Il faut bien sûr s’assurer que le marché visé n’est pas sursaturé en produits que l’on veut manufacturer. J’en voudrais pour preuve le fait que pour les derniers projets lancés par la Sonatrach, des compagnies prestigieuses, telles que Total, Cepsa ou Sabic ont manifesté l’intention de s’associer – voire se sont associés – à la compagnie nationale. Ce que je ne comprends par contre pas c’est pourquoi Sonatrach s’est associée à Orascom pour la production d’ammoniac et d’urée à Arzew. Orascom est d’abord et avant tout une entreprise de téléphonie mobile. Est-ce parce que Mohamed Ali Chorafa, patron de la société au moment de son installation en Algérie, était directeur du protocole de l’émir d’Abu Dhabi, durant les années où Abdelaziz Bouteflika en était le conseiller ?

QUESTION : Sonatrach peut-elle être un grand acteur pétrolier à l’extérieur ?
REPONSE : A mon avis la Sonatrach aurait du se lancer depuis au moins quinze ou vingt ans dans des opérations à l’étranger, mais pas dans le domaine de l’exploration/production. C’est au plus tard vers la fin des années 80 qu’elle aurait du acquérir des participations dans des raffineries en Europe, voire posséder sa propre raffinerie. Elle aurait pu aussi acheter ou créer son propre réseau de distribution de produits pétroliers, comme l’on fait d’autres pays producteurs de pétrole. Elle se serait ainsi assurer un débouché permanent pour l’écoulement du brut algérien, comme elle se serait aussi ouvert la voie pour une installation dans d’autres secteurs, tels que celui du gaz ou de la pétrochimie, par exemple. Autre avantage non négligeable, elle aurait ainsi coupé l’herbe sous les pieds des nombreux intermédiaires qui tournent autour de la vente de la moindre cargaison de pétrole, puisqu’elle aurait ainsi cédé son pétrole à sa propre filiale. Il faut cependant savoir que ces intermédiaires sont tous des hommes puissants du régime ou leurs associés. Vous me direz que ceci explique probablement cela et qu’ils ne sont pas fous au point de laisser faire une initiative qui assècherait l’une des sources principales de leur enrichissement.

QUESTION : A-t-on vraiment besoin d’investir dans des centrales nucléaires alors qu’on a tant de soleil ?
REPONSE : Vous avez absolument raison de poser une telle question, c’est le bon sens même, un bon sens dont nos gouvernants sont malheureusement dénués. Sur les 2,5 millions de kilomètres carrés de notre territoire, il y a au moins 2 millions qui sont inondés de soleil durant toute l’année et qui sont de plus vides de toute population. Je ne suis pas spécialiste de la question, mais je suis certain que l’Algérie est en mesure de produire assez d’électricité à partir de l’énergie solaire pour couvrir tous ses besoins et pour en exporter aussi. Qu’est-ce que l’on voit par contre ? Des coupures d’électricité à répétition, depuis quelques années surtout. Il est certainement plus facile de dire que de faire, me direz-vous, mais tout est question de volonté politique. C’est parce qu’une telle volonté politique existait dans les années 60 et 70 que la Sonatrach est ce qu’elle est aujourd’hui. C’est aussi parce qu’elle en avait la volonté politique que l’Algérie a démarré son industrie pétrolière alors même qu’elle ne possédait que peu de moyens humains et matériels pour se lancer dans une telle aventure ou qu’elle a été pionnière de la technique du gaz naturel liquéfié jusqu’à posséder aujourd’hui probablement les plus grands spécialistes mondiaux en la matière. Quant à la technique nucléaire, il ne faut néanmoins pas la négliger. Il faudrait, à mon avis, en faire une matière de recherche scientifique, quitte pour cela à créer une centrale expérimentale de taille modeste qui permettrait précisément ce suivi.

QUESTION : En Afrique se déroule une féroce compétition pour les ressources énergétiques. Quelles seraient les évolutions possibles ?
REPONSE : L’Afrique recèle environ 10% des réserves pétrolières mondiales et reste néanmoins un continent sous exploré. Les gisements pétroliers africains semblaient être jusqu’à ces dernières années des chasses gardées des ex puissances coloniales (Grande Bretagne, France et à un degré moindre l’Italie) ou celles des grosses compagnies pétrolières américaines. Le réveil de la Chine et le développement fulgurant de son économie ont bouleversé la donne. Le pays est devenu gros consommateur d’énergie et s’est mis à la recherche de sources nouvelles, en Afrique entre autres. Les compagnies pétrolières chinoises ont pris beaucoup de permis d’exploration à travers tout le continent durant les quinze dernières années, tout comme elles ont racheté des gisements en cours d’exploitation ou pris des participations dans diverses opérations. La technique utilisée par les Chinois pour pénétrer le secteur pétrolier d’un pays donné est de faire accompagner leurs propositions d’acquisition par un « cadeau ». Je m’explique. En même temps que l’offre pétrolière, elles vont proposer de construire un hôpital, par exemple, dont elles feront don au pays concerné. Elles proposeront également de supprimer tout ou partie de la dette contractée par ce pays auprès de la Chine. L’autre technique utilisée par les compagnies chinoises est de faire du dumping dans leurs offres d’acquisition de droits sur des gisements pétroliers. C’est ce qui s’est passé en Algérie pour l’acquisition de droits d’exploitation sur le champ de Zarzaïtine.

Concomitamment à l’entrée de la Chine sur le continent africain, il y a eu l’arrivée des pétroliers texans au pouvoir aux Etats-Unis. Dès son entrée à la Maison Blanche, George W. Bush a mis en place un groupe de travail, le NEPD (National Energy Program Development), présidé par le vice président Dick Cheyney chargé de proposer la doctrine à adopter en matière d’énergie. Pour ce qui est de l’Afrique, le groupe de travail proposait au président de prendre les mesures nécessaires pour instaurer un climat favorable à l’investissement des compagnies pétrolières internationales et d’accompagner les efforts entrepris par certains pays, dont l’Algérie, dans l’ouverture de leurs secteurs pétroliers aux multinationales. Il proposait aussi de protéger tout particulièrement certains projets pétroliers exploités par des compagnies américaines (installations de production et pipelines), nommément cités, au Tchad, au Nigeria, au Bénin, au Togo et au Ghana. Mettant à profit l’affaire de l’enlèvement en mars 2003 de 32 touristes européens dans le Sahara algérien – soit dit en passant, une affaire montée de toutes pièces pour la circonstance – les Américains décrétaient que le Sahel était devenu une zone de non droit, infestée de terroristes, dont Al Qaïda allait faire un nouvel Afghanistan. Ce n’était bien sûr qu’un subterfuge destiné à expliquer au monde pourquoi l’administration de George W. Bush avait décidé de lancer la Pan Sahel Initiative (PSI), puis la Trans Saharian Counter Terrorism Initiative (TSCTI), destinées toutes deux officiellement à aider 10 pays riverains du Sahel, dont l’Algérie, à contrôler leurs frontières communes contre l’invasion d’Al Qaïda. Les Américains ont finalement dévoilé leurs véritables intentions en créant une nouvelle zone de commandement militaire spécial pour l’Afrique, l’AfriCom. Il ne s’agit ni plus, ni moins que protéger les intérêts des compagnies pétrolières américaines très présentes tout autour du Sahel et en Afrique en général.

Les conséquences de cette confrontation risque d’être dramatique pour les pays africains. Aussi bien les Etats-Unis que la Chine sont avides de pétrole. Tant que la confrontation sera contenue dans les limites normales du business pétrolier, les retombées sur les pays producteurs seront bénéfiques, pour peu que les pays hôtes sauront les mettre en concurrence loyale. Il est fort à craindre cependant des dérives guerrières, avec la présence de l’armée américaine sur le continent et surtout dans le cas où le candidat républicain venait à être élu président en novembre prochain. Selon la doctrine actuelle de George W. Bush, tout déficit des Etats-Unis en énergie est considéré comme une atteinte à l’économie nationale, au standard de vie américain et constituerait un grave danger pour la sécurité du pays. On a vu que pour assurer « la sécurité du pays » même à des milliers de kilomètres du territoire US, le président américain a fait la guerre à l’Afghanistan, à l’Irak et qu’il n’est pas dit qu’il n’attaquera pas l’Iran et la Syrie. Au même motif, il a envoyé des troupes au Kosovo, au Sahel, dans les républiques d’Asie Centrale ; il a soutenu des coups d’Etat au Venezuela, il en a fomenté d’autres en Ukraine, en Serbie, en Géorgie et en Biélorussie. Il ne serait nullement étonnant que le prochain président américain ne crée des foyers de tension artificiels en jouant, par exemple, les pays africains non producteurs de pétrole contre les autres ou, autre scénario, qu’il n’exerce de très fortes pressions sur certains gros producteurs afin de les pousser à choisir leur camp, celui des Etats-Unis ou celui de la Chine. Il appartient aux Africains de ne pas tomber dans ce panneau, de ne pas concevoir leur rôle de producteurs de pétrole comme élément d’une confrontation planétaire qui ne les concerne pas et qui ne peut se faire, en tout état de cause, qu’à leurs détriments.

QUESTION : Que pensez-vous de la problématique du gaz algérien ?
REPONSE : Très bonne question. L’Algérie actuelle n’a pas de politique claire en matière de gaz, je dirais même n’a pas de politique du tout. On vit sur l’acquis, on exécute les projets du passé, même si en apparence il s’agit de projets grandioses tels que la construction du Medgaz ou du Galsi. La seule nouveauté que l’on constate, ce sont les tentatives de vendre certaines quantités de gaz aux Etats-Unis. Vendre du gaz ne constitue pas une stratégie politique, alors que la scène gazière mondiale est en pleine effervescence et que l’Algérie est un acteur de premier plan sur cette scène de par ses réserves et de par son expérience dans ce domaine.

Voilà plus de deux ans que Russes, Iraniens et Vénézuéliens parlent d’OPEP du gaz. Quelle est la position de l’Algérie sur le sujet ? Elle a été d’abord contre l’idée de créer une telle organisation. Ce n’était une surprise pour personne à partir du moment où c’était le ministre de l’énergie qui avait pris une telle position. Peu de jours après, il était désavoué par le président de la république qui, lui, disait que l’idée était à étudier. Peut être qu’après tout ce n’était pas une mauvaise idée, reprenait le ministre. Depuis plus rien. On a plutôt l’impression que l’Algérie n’en veut pas. Ce n’est certes pas facile de mettre sur pied une telle organisation, mais encore une fois sans volonté politique on ne fera certainement rien. A moins qu’après le pétrole, on ne veuille laisser le gaz aussi aux mains des Américains.
Alors qu’il était encore en campagne électorale pour la présidence de la république, Nicolas Sarkozy avait émis l’idée de voir Gaz de France s’associer à la Sonatrach. François Fillon avait élaboré un peu plus le concept. Du côté algérien, pendant longtemps, silence radio. Puis vint enfin la première réaction du ministre de l’énergie pour dire qu’il n’avait rien à dire à ce sujet, vu qu’il n’y avait pas eu de demande officielle présentée par la partie française. Certes l’idée telle que présentée par celui qui allait devenir président de la république française était plutôt vague, mais visiblement du côté algérien on ne voulait pas d’association avec GDF, vu le dédain avec lequel on a traité l’affaire. A-t-on au moins étudié la question ? Certainement pas, car si l’on s’était penché un tant soit peu sur la question, on aurait constaté qu’elle présentait certains avantages dont celui d’ouvrir une porte royale à la Sonatrach sur les marchés français et européen. On a raté, à cette occasion, la possibilité de disposer de débouchés très importants pour le gaz algérien, au détriment d’autres concurrents. J’ai indiqué un peu plus tôt que l’Algérie aurait dû, depuis belle lurette déjà, s’installer sur le marché européen du pétrole en acquérant une raffinerie ou un réseau de distribution ; l’association avec Gaz de France offrait une telle possibilité dans le domaine du gaz. Il est certain que la proposition de Nicolas Sarkozy n’était pas dénuée d’arrières pensées, mais il appartenait au côté algérien d’être vigilant dans la négociation qui se serait engagée. D’autre part, une telle association n’est pas antinomique avec l’idée de participer à une OPEP du gaz. De nombreux pays producteurs de pétrole, membres de l’OPEP, ont également la casquette de consommateurs, par le biais de leurs compagnies nationales présentes sur les grands marchés mondiaux. La question que je voudrais poser à cette occasion également est celle de savoir pourquoi avoir totalement ignorer cette affaire. Est-ce encore une fois parce que les Américains l’ont exigé ?

Autre affaire qui démontre l’amateurisme avec lequel est traitée la question du gaz en Algérie, celle du projet de Gassi Touil. De quoi s’agit-il ? Ce projet a été lancé en 2004, en association avec les Espagnols de Repsol et Gas Natural. C’est le plus grand projet jamais réalisé en Algérie puisqu’il porte sur un investissement estimé à 3,5 milliards de dollars, encore plus que ce que l’on a fait par ailleurs avec BP sur In Salah. C’est un projet intégré en ce sens qu’il couvre 3 secteurs d’activités, l’exploration/production (forage et reprise de près de 70 puits), le transport par gazoduc de 6,5 milliards de mètres cubes par an et la production de GNL avec la construction d’une usine de liquéfaction d’une capacité de 4 millions de tonnes par an. En 2007, donc trois ans après la signature du contrat, le ministère de l’énergie décide de l’annuler au motif que les Espagnols ont pris du retard dans sa réalisation et annonce que la Sonatrach va le réaliser toute seule. Quelque soit le retard qui aurait été pris par les Espagnols, qui peut croire que la Sonatrach va être plus efficace que l’association Repsol/Gas Natural ? Qui peut croire qu’elle va rattraper les trois années écoulées depuis la passation du contrat ? Il est clair que ce n’est pas cela la véritable raison de la rupture du contrat. Au même moment, le ministre de l’énergie nous dit qu’il ne s’agit pas d’un problème politique ; il ne s’agirait donc pas de représailles prises par l’Algérie contre l’Espagne pour sa position sur l’affaire du Sahara Occidental. D’ailleurs si tel était le cas, l’Algérie devrait rompre tous ses contrats passés avec les entreprises américaines et françaises sachant que et le gouvernement français et le gouvernement américain ne soutiennent pas la position algérienne sur la question.
En parallèle avec le dossier Gassi Touil, des négociations algéro-espagnoles étaient en cours pour l’octroi de droits à la Sonatrach pour la distribution de gaz naturel en Espagne, proportionnellement à son pourcentage de participation dans le Medgaz ; les Espagnols n’étaient pas d’accord pour accorder ces droits. Visiblement c’est de ce côté-là qu’il faut chercher la raison de la rupture du contrat de Gassi Touil ; il s’agirait donc d’une affaire purement commerciale, d’une question de négociations. Dans un tel cas, il y a toujours moyen de trouver un accord, il suffit de savoir s’y prendre, de savoir défendre ses intérêts, tout en ayant en tête que le partenaire a lui aussi des intérêts. On n’a pas le droit de rompre aussi brutalement un accord passé depuis trois ans, de prendre le risque d’un retard encore plus important que celui qui aurait été pris par les Espagnols. On n’a pas le droit non plus de priver le pays d’un investissement étranger aussi important, au moment où l’on fait tout par ailleurs d’attirer des capitaux étrangers. Les 3,5 milliards de dollars que la Sonatrach va avoir à débourser toute seule auraient certainement trouvé meilleur emploi. Connaissant les contraintes auxquelles font face les entreprises nationales algériennes, ce ne sera probablement pas 3,5 milliards de dollars qui seront investis dans cette affaire, mais probablement beaucoup plus, d’abord et avant tout en raison de l’inflation enregistrée entre 2004 et aujourd’hui. On n’a pas le droit non plus de déclencher avec une telle légèreté une action juridique, comme c’est le cas actuellement, ni de prendre le risque d’être classé pays à risques par des agences, telle que Standard & Poor ; celle-ci vient en effet d’accorder une très mauvaise note à l’Algérie dans ce domaine, et d’attirer l’attention des investisseurs étrangers quant aux mauvaises surprises qui les attendaient, dans le cas où ils voudraient engager des capitaux en Algérie. Quelques soient les arguments évoqués par les Espagnols pour refuser la demande de la Sonatrach de distribuer du gaz dans leur pays, qui peut imaginer un instant que si une sérieuse négociation avait été engagée avec eux, ils se seraient arc-boutés sur leurs exigences au point de renoncer avec gaité de coeur à un projet aussi grandiose que celui de Gassi Touil ?

Si l’on essayait de résumer la politique algérienne en matière de gaz, telle que menée par le ministre de l’énergie, on dirait qu’il refuse de s’associer aux « révolutionnaires » que sont l’Iran et le Venezuela, et à la Russie dans la création d’une OPEP du gaz ; or ces trois pays sont considérés comme ennemis par les Etats-Unis. Par ailleurs, il ne veut pas d’une association avec les Français de Gaz de France, tout comme il est entré, avec légèreté en conflit avec les Espagnols. Il ne veut donc pas d’une collaboration avec les Européens non plus. Il cherche par contre à vendre du gaz aux Américains quitte à rester en tête-à-tête avec la première puissance mondiale dans ce domaine. Est-ce de l’inconscience ou est-ce de la compromission ? A vous de juger.

* Ex-vice président de la Sonatrach